Pour quoi faire ?

11 septembre 2016

TORTURE BLANCHE


En 2002, Philippe Squarzoni accompagne une mission de membres d’ATTAC à Jérusalem-Est et dans les territoires Palestiniens. Il raconte, au fil de ses rencontres, la situation des populations. Ces témoignages sensibles alternent avec des entretiens que ses compagnons de route très informés lui accordent.

 Ainsi, apprend-on qu’en 10 ans, depuis les accords d’Oslo de 1993, Israël a multiplié par deux le nombre ses colonies. Un simple schéma permet de comprendre le réseau de routes et de check points qui les relient entre elles, constituant un système d’alvéoles étanches, véritables ghettos. Cette stratégie permet d’asphyxier les palestiniens dans la Cisjordanie et la bande de Gaza pour les obliger à partir volontairement. En 1948-1950, lors de la fondation d’Israël, 900 000 ont été expulsés, ce qui ne serait plus possible aujourd’hui. Et les intégrer en tant que citoyens serait l’antithèse du sionisme.
Ce conflit n’est pas d’ordre religieux ou ethnique mais bien politique, opposant un mouvement d’occupation de nature coloniale et un mouvement de libération nationale. L’antisionisme ne s’attaque pas à une communauté, c’est une position politique.

Philippe Squarzoni ne nous assomme pas de rappels historiques mais va toujours à l’essentiel : l’idéal "socialiste" des premiers colons a été gâché par l’aventure coloniale. Le pays est bâti sur une injustice : l’expropriation des autochtones. Il ne sera évidemment jamais question de renvoyer les israéliens car on ne répare pas une injustice par une autre injustice. Une contradiction fondamentale demeurera donc dans le projet sioniste : comment concilier la paix avec la négation des droits d’une population ? C’est comme dans cette histoire du scorpion qui traverse une rivière sur le dos d’une grenouille et la pique. « C’est dans ma nature » explique-t-il en se noyant. Cependant, du fait de la diaspora, il y a une propension à l’universalisme dans la tradition juive.
Il analyse également la société actuelle et constate qu’au delà des dérives sionistes et coloniales, Israël est une caricature de la mondialisation néolibérale. L’Israël « socialiste » des années 50 était alors un des pays les plus égalitaires, les 20% les plus riches gagnaient seulement 3 fois les revenu des 20% les plus pauvres. Aujourd’hui, c’est le plus inégalitaire avec un ratio de 21,3 ! Et, comme ailleurs, les effets sociaux sapent la cohésion sociale et la légitimité des élites, alimentent la « menace terrorisme » et l’ « insécurité ».

On comprend comment tout est décidé pour fabriquer de la frontière. Le « bouclage intérieur » de la Palestine enferme deux millions et demi de personne en Cisjordanie et plus d’un million à Gaza. Puits et terres agricoles sont confisqués au nom de la sécurité.

Par son écoute attentive et la retranscription fidèle de ses rencontres, Philippe Squarzoni évite le piège du manichéisme. Dans le quartier de la vieille ville d’Hébron, où vivent 40 000 habitants sous couvre-feu, il souligne que les 4 000 colons juifs sont proches du Kach, parti d’extrême droite dont la violence et le racisme font honte à la majorité des israéliens : mise à sac de magasins, harcèlements, agressions sont quotidiens. Il participe également à une manifestation de pacifistes israéliens.

Si la complaisance des États-Unis, la passivité des régimes arabes et la lâcheté de l’Europe cessaient, le gouvernement israélien serait obligé d’arrêter de violer toutes les résolutions du Conseil de Sécurité de l’O.N.U. Avec l’Europe, Israël réalise 44% de ses importations et 28% de ses exportations !
Le discours simpliste d’une pseudo-symétrie  ne correspond pas à la réalité : une puissance militaire moderne écrase un peuple. Philippe Squarzoni évite également le piège de la légitimation de la violence. Il prend soin de distinguer les attentats contre des civils et les actes de résistance contre les forces d’occupation. Il rappel que le droit international reconnaît ces derniers et qu’il condamne l’occupation illégale.

Il conclut que l’issue ne sera trouvée que par la réparation de l’injustice commise envers le peuple palestinien. Seuls les Israéliens pourront stopper la violence en mettant fin à leur politique suicidaire, autiste et aveugle. La communauté internationale doit changer et agir pour défendre le peuple palestinien et préserver Israël du poids devant l’histoire que son obstination lui infligerait.


Le travail de Philippe Squarzoni est remarquable. Il ne fait jamais l’économie de ses doutes, jusqu’à la dernière page. Son ouvrage va à l’essentiel, montre la réalité d’une violence programmée quotidienne et décortique cette stratégie du chaos.



TORTURE BLANCHE
Récits de la 41e mission – décembre 2012
Philippe Squarzoni
90 pages – 12,50 euros
Éditions Delcourt – Paris – avril 2012
Première parution aux Éditions Les requins marteaux – septembre 2004

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