Pour quoi faire ?

13 août 2023

LE CHEF CONTRE L’HOMME

« Nous ne devons pas oublier, écrivait Clara Zetkin en 1923, que le fascisme est le mouvement des éléments sociaux déçus et privés de moyens d’existence. » Les éléments qu'a observé Marcel Martinet « dans les pays où il semble exercer une domination d’une ampleur et d'une précision inouïe » confirme cette définition. Il se propose d'examiner les conditions historiques de son établissement et de son maintien, et rédige, fin 1933, cette analyse des mécanismes du fascisme qu’il invite à combattre, à commencer en cessant de respecter la hiérarchie, profondément ancrée dans les normes de toute société inégalitaire.
« Le mouvement fasciste est une révolte organisée de la petite bourgeoisie contre les conséquences du capitalisme. » écrivait « un allemand » dans Révolution prolétarienne, en août 1923. Ce que précisait un responsable du Parti socialiste d’Allemagne (SAP), dans la revue Masses, en 1933 : « Le fascisme est la marque même du déclin du capitalisme. Le capitalisme est devenu incapable d'assurer des possibilités de vie suffisantes aux masses. Les masses se mettent alors en mouvement : l'appareil politique de la démocratie s’effrite. Si le prolétariat échoue, le mouvement fasciste remporte la victoire. Ce mouvement de déclassés devient le glaive du capital financier. » Désespérée la masse du lumpenprolétariat, « renforcée par la masse de la petite bourgeoisie non encore prolétarisée mais possédée par l'effroi de la prolétarisation qui se rapproche », est prête à suivre n'importe quel sauveur. « Plus besoin de penser : le chef pense pour eux. […] Quant à l'action, leurs poings n'ont pas une docilité moins empressée, moins affamée d'une furieuse joie de vengeance (qui leur paraît la justice même), à démolir les ennemis du chef, qui sont leurs propres ennemis. » Cette religion de l'action, de l'action pour l’action, sans analyse ni soucis du contenu, qui conduit tout droit à la violence sans frein, est l'opposé de la violence révolutionnaire. « On prête à cette abdication totale de l'individu la dignité d'un consentement libre et réfléchi à une hiérarchie spirituelle. » « Le fascisme, qui exige la démission préalable et permanente de l'individu, c'est le mépris de l'homme. » Fondé sur l'absence de doctrine, il doit cependant se mettre en quête d’une, car il faut un contenu à la « foi » des hommes, et pour justifier idéologiquement le système, il invente, a posteriori et au jour le jour, une « philosophie hiérarchique ». En clair, « les régimes fascistes ne sont pas seulement le règne de la police, ils sont tout autant le règne de la fiction. Et le chef, détaché des siens, déclassé, le chef domine sur la fiction. »

Marcel Martinet prévient également que si l'idéologie bolcheviste continue « à restreindre ses perspectives à la mesure de l'État russe », à abandonner l’internationalisme, il tendra à ne plus se distinguer du fascisme. Il suit aussi « l'infiltration des tendances fascistes dans les mouvements politiques qu'on qualifie encore de mouvements de gauche », abdication qui renouvelle la faillite, en 1914, des partis socialistes devant la guerre, « intoxiqués par l'habitude des combinaisons politiques, de celles du “moindre mal“ ». En réponse, il préconise la suppression de toute hiérarchie matérielle, la disparition des classes.


Philippe Geneste propose une analyse de cette analyse, explication de texte s’appliquant à souligner l’actualité du propos de Marcel Martinet, alors que nous vivons l'accentuation de l'État sécuritaire, le travestissement de la violence d'État en dialogue républicain, la socialisation autoritaire par l'enseignement, l’imposition de la répression et de la soumission appuyée par l'octroi permanent de pouvoirs spéciaux : « Le refus de la hiérarchie nous semble l'action individuelle autant que collective susceptible de sortir de toute cette impuissance et un outil de lutte contre le capitalisme dans toutes ses variantes dont celle du fascisme. » Il met en garde contre « le mantra de la démocratie [qui] crée l'hallucination de la liberté quand une simple écoute désintoxiquée de ces discours suffit à voir la réalité autoritaire » et dénonce aussi les « hiérarchies masquées », « les hiérarchies non formalisées », comme on peut en trouver dans certaines AG. Une brève biographie de Marcel Martinet suit.

Concis mais dense.
 

Ernest London
Le bibliothécaire-armurier



LE CHEF CONTRE L’HOMME
Marcel Martinet
Suivi par LE REFUS DE LA HIÉRARCHIE
Philippe Geneste
78 pages – 18 euros
Éditions Quiero – Forcalquier – Janvier 2023
www.quiero.fr/spip.php?article212
Initialement paru dans le n°16 de la revue Esprit, datée du 1er janvier 1934.




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