« C'est chez moi ici
Dans des îles à 7000 km de l'Europe
Ils ont répandu des pesticides
Parce qu'il ne voulait pas que la production baisse
Ils ont eu le choix
Et ils ont choisi le profit
Et la monoculture intensive
Le pesticide s’est infiltré dans les terres de l’île
Et des terres dans les cours d'eau
Et des cours d'eau dans la mer
Et dans les légumes et les fruits et les fleurs qui y poussaient
Et les animaux qui mangeaient l'herbe qui poussait sur cette terre
Et les crevettes qui nageaient dans ces cours d’eau
Et les poissons qui vivait dans la mer
Et il s'est accumulé et accumulé
Le pesticide on en retrouve partout
Dans le cordon ombilical des mères
dans le bassin des pères
Dans les corps des enfants et des grands-parents
Dans les fœtus de quelques jours
Chez les gamines trop tôt grandies
Chez les enfants mal développés
Dans les cancers dans les eaux et dans les terres
Et dans les légumes et les crevettes et les arbres et nos racines
Et ça restera pour sept cents ans
Pour les siècles à venir »
Béatrice Bienville déploie un dispositif narratif qui croise cette histoire familiale avec une trame documentaire, rapportant la conversation de producteurs avec Jacques, Ministre de l’agriculture en 1972 (Wikipédia nous apprend qu’il ne s’agit pas d’un personnage fictif mais de… Chirac) qui se fait tirer l’oreille pour œuvrer à autoriser le pesticide malgré sa dangerosité qu’il connait très précisément, des chercheurs américains, abattus pour avoir découvert la présence de chlordécone dans le sang d’un ouvrier décédé, et aussi Emmanuel Macron, en roue libre, dans un quasi monologue incompréhensible (mais parfaitement authentique !). Plusieurs scènes sont particulièrement édifiantes : lorsqu’Élodie prépare un bébélé avec sa fille Zoé et lui explique les raisons du coûts des denrées (3,50 € le kilo de farine et d’autres produits, y compris l’eau en bouteille, apportés de France en cargo parce que la culture locale est interdite, la terre étant empoisonnée), lorsque Lyne passe un examen gynécologique alors qu’elle est enceinte de Josuah et qu’on lui conseille de ne pas le garder, étant extrêmement contaminée, faute de précaution quand elle utilise le chlordécone à son travail.
Au-delà des raisons économiques, l’auteure explore également d’autres pistes, parmi différentes croyances. Tout ça parce que Bondye a puni Adam et Ève pour avoir écouté les conseils de Zandoli, le lézard et goûté à la banane, le fruit défendu ?
« Le sol sera maudit à cause de toi !
C'est à force de peine que tu en tireras ta nourriture
Tous les jours de ta vie ! […]
Et tu mangeras de l'herbe des champs
Et il y aura des champignons qui détruiront vos cultures
Et des ouragans et des charançons
Et tu utiliseras des pesticides et des engrais et des tracteurs et du plastique
Et tu cultiveras pour exporter jusqu'à en crever ! »
Ou bien est-ce une malédiction pour avoir tout chamboulé alors que « Dieu, ou le destin, ou la nature, selon là où vous porte votre foi, a mis des arbres à un endroit de la terre, pour qu'ils y poussent et qu'ils y portent des fruits » ?
Si l’état des lieux, très habillement présenté, comme on peut le voir, est affligeant, Béatrice Bienville ne semble pas du genre à se résigner. Zoé ne peut plus se contenter de ses diplômes et militer pour l’environnement. Elle se retrousse les manches, reprend les terres de son oncle et développe une « agro-ferme » :
« C'est pas seulement biologique
C'est une agriculture logique
C'est pas logique sur une île de faire de la monoculture intensive
Je fais ça aussi pour le sol
Pour contribuer à reconstituer à notre échelle ce qu'on a détruit
Nos forêts.
Le sol. »
Béatrice Bienville a su mêler intelligence et sensibilité pour donner à comprendre les conséquences de la recherche du profit à tout prix.
Ernest London
Le bibliothécaire-armurier
CHLRDCN
Trop beau pour y voir
Béatrice Bienville
80 pages – 12 euros
Éditions Théâtrales – Montreuil – Avril 2025
www.editionstheatrales.fr/livres/chlrdcn-1784.html
On ne peut résister au plaisir de proposer ici cette chanson dont les paroles constituent une scène à part entière de cette pièce :
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