Pour quoi faire ?

15 mai 2025

CHLRDCN

Lorsque son oncle Josuah meurt, Zoé rentre en Guadeloupe et retrouve Lyne, sa grand-mère, malade elle-aussi, empoisonnée pour avoir travaillé sans aucune protection dans les plantations de bananes traitées au chlordécone. Pièce de théâtre documentaire, avec des publicités d’époque, des explorateurs et un Ministre de l’agriculture, Dieu et Macron.

« C'est chez moi ici 

Dans des îles à 7000 km de l'Europe 

Ils ont répandu des pesticides 

Parce qu'il ne voulait pas que la production baisse

Ils ont eu le choix 

Et ils ont choisi le profit 

Et la monoculture intensive

Le pesticide s’est infiltré dans les terres de l’île

Et des terres dans les cours d'eau 

Et des cours d'eau dans la mer

Et dans les légumes et les fruits et les fleurs qui y poussaient

Et les animaux qui mangeaient l'herbe qui poussait sur cette terre

Et les crevettes qui nageaient dans ces cours d’eau

Et les poissons qui vivait dans la mer

Et il s'est accumulé et accumulé

Le pesticide on en retrouve partout 

Dans le cordon ombilical des mères 

dans le bassin des pères 

Dans les corps des enfants et des grands-parents 

Dans les fœtus de quelques jours 

Chez les gamines trop tôt grandies

Chez les enfants mal développés 

Dans les cancers dans les eaux et dans les terres 

Et dans les légumes et les crevettes et les arbres et nos racines 

Et ça restera pour sept cents ans 

Pour les siècles à venir »

Béatrice Bienville déploie un dispositif narratif qui croise cette histoire familiale avec une trame documentaire, rapportant la conversation de producteurs avec Jacques, Ministre de l’agriculture en 1972 (Wikipédia nous apprend qu’il ne s’agit pas d’un personnage fictif mais de… Chirac) qui se fait tirer l’oreille pour œuvrer à autoriser le pesticide malgré sa dangerosité qu’il connait très précisément, des chercheurs américains, abattus pour avoir découvert la présence de chlordécone dans le sang d’un ouvrier décédé, et aussi Emmanuel Macron, en roue libre, dans un quasi monologue incompréhensible (mais parfaitement authentique !). Plusieurs scènes sont particulièrement édifiantes : lorsqu’Élodie prépare un bébélé avec sa fille Zoé et lui explique les raisons du coûts des denrées (3,50 € le kilo de farine et d’autres produits, y compris l’eau en bouteille, apportés de France en cargo parce que la culture locale est interdite, la terre étant empoisonnée), lorsque Lyne passe un examen gynécologique alors qu’elle est enceinte de Josuah et qu’on lui conseille de ne pas le garder, étant extrêmement contaminée, faute de précaution quand elle utilise le chlordécone à son travail.



Au-delà des raisons économiques, l’auteure explore également d’autres pistes, parmi différentes croyances. Tout ça parce que Bondye a puni Adam et Ève pour avoir écouté les conseils de Zandoli, le lézard et goûté à la banane, le fruit défendu ? 

« Le sol sera maudit à cause de toi !

C'est à force de peine que tu en tireras ta nourriture

Tous les jours de ta vie ! […]

Et tu mangeras de l'herbe des champs

Et il y aura des champignons qui détruiront vos cultures

Et des ouragans et des charançons

Et tu utiliseras des pesticides et des engrais et des tracteurs et du plastique

Et tu cultiveras pour exporter jusqu'à en crever ! »

Ou bien est-ce une malédiction pour avoir tout chamboulé alors que « Dieu, ou le destin, ou la nature, selon là où vous porte votre foi, a mis des arbres à un endroit de la terre, pour qu'ils y poussent et qu'ils y portent des fruits »  ?


Si l’état des lieux, très habillement présenté, comme on peut le voir, est affligeant, Béatrice Bienville ne semble pas du genre à se résigner. Zoé ne peut plus se contenter de ses diplômes et militer pour l’environnement. Elle se retrousse les manches, reprend les terres de son oncle et développe une « agro-ferme » :

« C'est pas seulement biologique

C'est une agriculture logique 

C'est pas logique sur une île de faire de la monoculture intensive

Je fais ça aussi pour le sol

Pour contribuer à reconstituer à notre échelle ce qu'on a détruit

Nos forêts.

Le sol. »


Béatrice Bienville a su mêler intelligence et sensibilité pour donner à comprendre les conséquences de la recherche du profit à tout prix.


Ernest London

Le bibliothécaire-armurier



CHLRDCN

Trop beau pour y voir

Béatrice Bienville

80 pages – 12 euros

Éditions Théâtrales – Montreuil – Avril 2025

www.editionstheatrales.fr/livres/chlrdcn-1784.html



On ne peut résister au plaisir de proposer ici cette chanson dont les paroles constituent une scène à part entière de cette pièce :



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