Pour quoi faire ?

1 novembre 2015

DOL


La richesse des trois personnes les plus riches du monde correspond au P.I.B. des 48 pays les plus pauvres. Comment en est-on arrivé là ?
Philippe Squarzoni raconte, avec cette bande dessinée, sa prise de conscience politique personnelle.




En 2002, Jacques Chirac est élu avec 80% des voies, face à Jean-Marie Le Pen arrivé au second tour des élections présidentielles. Pourtant, Jean-Pierre Raffarin, son premier ministre va mener une politique de droite décomplexée : baisse des impôts qui profite essentiellement aux plus aisés en augmentant leur épargne (50% des contribuables ne sont pas imposables car leurs revenus sont trop faibles), limitation de l’accès à la C.M.U., des indemnisations chômage (pour la septième fois en 20 ans ! ),…

« Comment peut-il manquer aujourd’hui de l’argent pour maintenir et prolonger les conquêtes sociales issues du Conseil National de la Résistance alors que la production de richesse a considérablement augmenté depuis la libération, période à laquelle l’Europe était ruinée ? » Raymond Aubrac.

Comment en est-on arrivé là ? Philippe Squarzoni cherche à comprendre. Il lit, se documente, interroge des économistes, des chercheurs et il raconte.


Dans les années 30, trois tendances inquiètent le capitalisme qui craint sa remise en cause : la décolonisation, la montée des luttes sociale et la révolution de 1917. Il y a alors un pacte social tacite : une organisation du travail militarisé contre une certaine répartition des richesses avec la socialisation du salaire indirect : protections contre le chômage, la vieillesse et la maladie. Les politiques économiques recherchent le plein emploi. L’inflation fait fonctionner le compromis social, avec l’aide du contrôle monétaire de l’État.

Puis en 1979, a lieu un coup d’état économique. La priorité n’est plus le plein emploi mais la lutte contre l’inflation. Il s’agit de revaloriser les profits. C’est la fin du compromis social. Reagan et Thatcher seront les principaux artisans de cette politique. Parallèlement s’opère un passage du capitalisme industriel à un capitalisme financier. Désormais les revenus des actionnaires sont nourris par les prélèvements sur les travailleurs.

En 1989, avec la chute du mur, on passe d’une phase de reconquête à une phase de revanche. On assiste à une véritable politique de casse. Il s’agit de tout privatiser : l’éducation, la santé, la retraite,… C’est un projet de marchandisation total. La méthode sera toujours la même : créer du déficit pour imposer des reformes déclarées inévitables.

L’argument imparable pour justifier la réforme des retraites par répartition est que les français vivent plus vieux. Or, si en 1960, il y avait effectivement 4 actifs pour 1 retraité et en 2000 seulement 2 pour 1, ces 2 actifs produisent aujourd’hui 1,5 fois plus que les 4 d’hier ! Et d’ici à 2020, 1 actif produira plus que ces 2 là.
Au programme, allongement de la durée de cotisation, baisse des pensions et création de fonds de pension. Il faudra « réformer » régulièrement mais l’objectif réel visé n’est pas du tout la sauvegarde du système de retraite par répartition mais bien la mise en place de sa privatisation… enfin, pour ceux qui pourront encore y avoir accès.
8 points de valeur ajoutée ont été pris sur les salaires alors qu’ils pouvaient servir à financer les retraites et ont été distribués en dividendes aux actionnaires. Une augmentation de 0,37% des cotisations patronales pouvait pérenniser le système. Rôle de la presse, des syndicats, marges de manœuvres réelles, autres solutions… sont rigoureusement évoqués.

Pour la Sécurité Sociale, la méthode et les objectifs sont les mêmes. On crée un déficit pour imposer des réformes « inévitables ». Le « trou de la sécu » est plus un instrument de pression qu’un problème. Au lieu d’augmenter les cotisations quand les dépenses ont augmenté, on limite les remboursements, c’est-à-dire qu’on réduite les dépenses de santé.

La même recette est appliquée à l’assurance chômage : pour réduire le « déficit », on réduit l’accès aux indemnisations.

L’éducation nationale est elle aussi attaquée. Il s’agit de passer d’un projet d’émancipation collective par la culture à un service individualisé pour l’insertion sur le marché du travail.

Ce gigantesque transfert des richesses est nécessairement accompagné d’une politique répressive. L’augmentation organisée de la précarité entraine une augmentation de la petite délinquance. Les politiques masquent leur perte de légitimité  sur les problèmes sociaux en jouant sur le « sentiment d’insécurité » et compensent par une politique ultra-sécuritaire. Le coupable c’est le pauvre ! C’est au système pénal de gérer la misère, comme au États-Unis.
L’emprisonnement ne résout pas le problème de la délinquance si l’on n’agit pas sur les conditions économiques et sociales, au contraire. 65% des personnes condamnées à des peines de prison y retourneront alors que seulement 11% de celles qui ont bénéficié d’un sursis récidiveront.
Avec Sarkozy de Nagy-Bosca, on entre dans la lutte médiatique contre l’insécurité.
L’avènement de ce clown politique est décrypté méticuleusement ainsi que la complicité passive des médias.

Impossible de rendre compte de tout tant cet ouvrage est riche, dense et documenté. La démonstration est édifiante, nourrie de chiffres et d’exemples précis, sans saturer pour autant le propos.
Des solutions alternatives viables sont aussi évoquées, discutées, argumentées.
L’illustration — rappelons qu’il s’agit bien d’une bande dessinée  — peut paraître austère au premier abord mais elle est souvent maline. Beaucoup de trouvailles pertinentes viennent renforcer la démonstration, comme ces multiples références cinématographiques : Charlot, Les Raisins de la colère, Matrix… , utilisées en contre-point.

Un ouvrage absolument indispensable et dont la puissance synthétique nourrira bien des réflexions et des débats.



DOL
De Philippe Squarzoni.
306 pages 19,99 euros
Éditions Delcourt – Paris –  2012



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