Alors qu’augmente la défiance envers les
institutions et les élus, Élisa Lewis et Romain Slitine recensent et présentent
des alternatives qui expérimentent une réappropriation de la démocratie.
Les Indignés en Espagne, les Occupiers aux États-Unis, les Nuit Deboutistes en France ont mis en
place des mécanismes et des pratiques, formes démocratiques horizontales et
égalitaires, qui ont démontré la possibilité d’une implication citoyenne
massive dans des débats sereins y compris sur des sujets complexes. Il s’agit
désormais de dépasser le mode de démocratie représentative issue des
révolutions du XVIIIe siècle qui n’ont finalement que remplacé une
aristocratie héréditaire par une aristocratie choisie. La crise d’efficacité et
la perte de légitimité qui favorisent la progression de l’extrême droite, la
prise de conscience de la discrète confiscation du pouvoir par les
technocrates, nourrissent un désir de retrouver une capacité à peser dans le
débat public entre deux échéances électorales. Les auteurs ont rencontré les
acteurs d’une série d’initiatives, d’expériences qu’ils racontent et analysent
pour en présenter l’intérêt mais aussi les limites.
Le parti Podemos a été créé en Espagne en janvier
2014 pour « convertir une indignation en projet politique ». Des
cercles ont été créés à tous les niveaux et des outils numériques mis en place
pour impliquer les citoyens dans les réflexions, l’élaboration des programmes
et les prises de décision. Véritable incubateur d’idées, catalyseur de la
mobilisation et de l’intelligence des citoyens, Podemos a réussi à gagner la
bataille culturelle et idéologique (chère a Antonio Gramsci) en imposant ses
sujets et son vocabulaire dans le débat public. D’autres tentatives ont proposé
d’associer les citoyens à l’élaboration d’un programme comme LaPrimaire.org ou
« Ma Voix » en France, le Partido de la Red (la Parti du réseau) qui
proposait de « pirater le système » en Argentine, le Parti Pirate
apparu en Suéde. À chaque fois, il s’agit de ne plus cantonner les militants à
des tâches non stratégiques, de favoriser l’élection de candidats non issus de
la classe dirigeante et de maintenir la connexion des élus avec leur électorat.
C’est tout simplement une inversion de la logique qui domine depuis 200 ans,
exprimée notamment dans l’article 27 de la Constitution française de 1958 qui
interdit la pratique du mandat impératif que Rousseau défendait pourtant comme
moyen de respecter la souveraineté nationale. Ces initiatives misent sur les
outils numériques pour développer une « démocratie liquide »,
c’est-à-dire favoriser les prises de décision par l’ensemble des citoyens.
Depuis deux siècles, en France notamment, le peuple est infantilisé,
jugé incapable et délibérément écarté. En Suisse par contre, depuis 1848 il a
la possibilité de déclencher un référendum d’initiative populaire pour modifier
la Constitution. La Finlande a instauré un mécanisme similaire… en 2012. En
Argentine, des développeurs ont créé le logiciel open source Democracy OS pour permettre discussion entre citoyens
et recherche de consensus sur des propositions de loi. Après la crise de 2008,
les citoyens islandais s’organisent pour rédiger une nouvelle constitution.
Pourtant, elle ne sera finalement par adoptée par les élus qui se sont entendus
sur une stratégie d’obstruction, véritable hold-up démocratique. Après
l’analyse de ces exemples, les auteurs préconisent la convocation d’assemblées
citoyennes pour dépasser la « myopie » des régimes représentatifs
focalisés sur les échéances électorales.
Peu de médias ont échappé à la concentration et les
lanceurs d’alerte sont très souvent poursuivis. Pourtant, l’ouverture des
données publiques permet une plus grande vigilance. Ainsi le collectif Regards
Citoyens traite, organise et publie les données relatives à l’activité des
parlementaires. Le manque de transparence suscite la suspicion surtout quand on
sait qu’il y a 30 000 lobbyistes à Bruxelles, soit autant que de fonctionnaires
à la Commission Européenne ! Le succès des sites de pétitions en ligne
démontre un intérêt pour les débats publics même si ce type de mobilisation
n’est pas toujours suffisant. Aussi, des associations comme Alliance citoyenne
à Grenoble appliquent les principes du sociologue Saul Alinsky. Se définissant
comme « tisseurs de colère », ils mènent des campagnes d’écoute pour
identifier des revendications collectives et organisent la coopération pour une
mobilisation ciblée qui va établir un rapport de force susceptible de
transformer les choses par la négociation. À Rio de Janeiro, l’association
MeuRio mise sur l’utilisation des outils numériques. Les citoyens sont invités
à s’inscrire comme « veilleurs » pour défendre une cause et s’engagent
à se déplacer en cas d’alerte. Ainsi, l’école d’une favela menacée de
destruction par les chantiers de la Coupe du Monde de football a pu être sauvée
par 17 000 volontaires. La technologie modifie le rapport de force.
L’offre institutionnelle de participation se limite
encore trop souvent à un consensus de façade. Pourtant dès 1980, à Porto
Alegre, les premières expériences de budgets participatifs ont permis aux
habitants à travers des assemblées locales de décider des priorités
d’investissement. Ce dispositif s’est développé en Amérique Latine et
fonctionne désormais dans 2 800 communes dans le monde. En 2015, la ville de
Paris a mis en place à son tour une plateforme pour collecter des propositions.
Sans idéaliser ces expériences qui peuvent s’avérer parfois de simple opération
de communication politique, les auteurs les encouragent pour impliquer toujours
plus les citoyens. C’est l’ambition de la nouvelle municipalité de Grenoble et
aussi de celles de Madrid et Barcelone qui souhaitent remettre en cause la
nature du mandat représentatif par une gestion directe grâce à internet qui
supprime bien des impossibilités techniques.
Seulement une poignée de communes sont réellement autogérées, à l’instar
de Marinaleda (Andalousie) depuis 40 ans. Élisa Lewis et Romain Slitine se sont rendus à Saillant, commune de
la Drôme. En 2010, les 1 250 habitants se sont mobilisés contre la décision du
maire d’autoriser l’implantation d’un supermarché. Fort de leur succès, six
mois avant les élections municipales, ils envisagent de constituer une liste, travaillant
avant tout sur un projet pour ensuite décider collectivement de ceux qui le
porteront. Depuis, la nouvelle équipe fonctionne sur trois principes :
transparence et accès à tous à toutes les informations, collégialité et
participation citoyenne. Par exemple, le nouveau plan d’éclairage a été
optimisé collectivement comme aucune entreprise extérieure ne pourra jamais le
faire. Leur réussite résulte de l’énergie collective de la lutte initiale mais
aussi de la proposition d’un contre-modèle aux pratiques autoritaires plutôt
que d'une élaboration théorique.
Le Minlab à Copenhague, le Design Lab à Helsinki, le Laboraorio para la Ciudad
fonctionnent comme des incubateurs de projets. Il s’agit d’utiliser la ville
comme un cerveau collectif mobilisant les expertises d’usage, les savoirs et
les idées des habitants. La gestion des communs (qui n’appartient à personne et
bénéficient à tous) notamment devrait bouleverser la tradition politique du
monopole.
Au terme de leur enquête, Élisa Lewis et Romain
Slitine concluent que la subversion du système verrouillé et vertical, le
passage d’une démocratie de délégation à une démocratie de l’action sont en
cours. Pour cela, ces expériences devront faire système et ne pas se multiplier
sans être portées par une vision politique de transformation du monde. Ils
mettent en garde contre la résistance du système actuel et évitent plutôt
l’écueil de l’optimisme béat, exposant également les limites de chacune de ces
initiatives. Ils incitent à une implication citoyenne, pour sortir de la passivité
et de l’attente.
LE COUP D’ÉTAT CITOYEN
Ces initiatives qui réinventent la démocratie.
Élisa Lewis et Romain Slitine
224 pages – 15 euros.
Éditions de la Découverte – Paris – septembre 2016
En complément, on pourra également lire :
- PODEMOS - Sûr que nous pouvons ! qui relate plus longuement l’émergence de ce parti et reprend quelques textes fondateurs.
- PODEMOS - Sûr que nous pouvons ! qui relate plus longuement l’émergence de ce parti et reprend quelques textes fondateurs.
- OCCUPY de Noam Chomsky qui considère ce mouvement comme la première grande riposte populaire depuis les années 1970.
- « Comme si nous étions déjà libres » de David Graeber qui raconte Occupy Wall Street et livre une profonde réflexion sur les principes démocratiques.
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