Pour quoi faire ?

13 octobre 2016

LE COUP D’ÉTAT CITOYEN


Alors qu’augmente la défiance envers les institutions et les élus, Élisa Lewis et Romain Slitine recensent et présentent des alternatives qui expérimentent une réappropriation de la démocratie.

 Les Indignés en Espagne, les Occupiers aux États-Unis, les Nuit Deboutistes en France ont mis en place des mécanismes et des pratiques, formes démocratiques horizontales et égalitaires, qui ont démontré la possibilité d’une implication citoyenne massive dans des débats sereins y compris sur des sujets complexes. Il s’agit désormais de dépasser le mode de démocratie représentative issue des révolutions du XVIIIe siècle qui n’ont finalement que remplacé une aristocratie héréditaire par une aristocratie choisie. La crise d’efficacité et la perte de légitimité qui favorisent la progression de l’extrême droite, la prise de conscience de la discrète confiscation du pouvoir par les technocrates, nourrissent un désir de retrouver une capacité à peser dans le débat public entre deux échéances électorales. Les auteurs ont rencontré les acteurs d’une série d’initiatives, d’expériences qu’ils racontent et analysent pour en présenter l’intérêt mais aussi les limites.

Le parti Podemos a été créé en Espagne en janvier 2014 pour « convertir une indignation en projet politique ». Des cercles ont été créés à tous les niveaux et des outils numériques mis en place pour impliquer les citoyens dans les réflexions, l’élaboration des programmes et les prises de décision. Véritable incubateur d’idées, catalyseur de la mobilisation et de l’intelligence des citoyens, Podemos a réussi à gagner la bataille culturelle et idéologique (chère a Antonio Gramsci) en imposant ses sujets et son vocabulaire dans le débat public. D’autres tentatives ont proposé d’associer les citoyens à l’élaboration d’un programme comme LaPrimaire.org ou « Ma Voix » en France, le Partido de la Red (la Parti du réseau) qui proposait de « pirater le système » en Argentine, le Parti Pirate apparu en Suéde. À chaque fois, il s’agit de ne plus cantonner les militants à des tâches non stratégiques, de favoriser l’élection de candidats non issus de la classe dirigeante et de maintenir la connexion des élus avec leur électorat. C’est tout simplement une inversion de la logique qui domine depuis 200 ans, exprimée notamment dans l’article 27 de la Constitution française de 1958 qui interdit la pratique du mandat impératif que Rousseau défendait pourtant comme moyen de respecter la souveraineté nationale. Ces initiatives misent sur les outils numériques pour développer une « démocratie liquide », c’est-à-dire favoriser les prises de décision par l’ensemble des citoyens.

Depuis deux siècles, en France  notamment, le peuple est infantilisé, jugé incapable et délibérément écarté. En Suisse par contre, depuis 1848 il a la possibilité de déclencher un référendum d’initiative populaire pour modifier la Constitution. La Finlande a instauré un mécanisme similaire… en 2012. En Argentine, des développeurs ont créé le logiciel open source Democracy OS pour permettre discussion entre citoyens et recherche de consensus sur des propositions de loi. Après la crise de 2008, les citoyens islandais s’organisent pour rédiger une nouvelle constitution. Pourtant, elle ne sera finalement par adoptée par les élus qui se sont entendus sur une stratégie d’obstruction, véritable hold-up démocratique. Après l’analyse de ces exemples, les auteurs préconisent la convocation d’assemblées citoyennes pour dépasser la « myopie » des régimes représentatifs focalisés sur les échéances électorales.

Peu de médias ont échappé à la concentration et les lanceurs d’alerte sont très souvent poursuivis. Pourtant, l’ouverture des données publiques permet une plus grande vigilance. Ainsi le collectif Regards Citoyens traite, organise et publie les données relatives à l’activité des parlementaires. Le manque de transparence suscite la suspicion surtout quand on sait qu’il y a 30 000 lobbyistes à Bruxelles, soit autant que de fonctionnaires à la Commission Européenne ! Le succès des sites de pétitions en ligne démontre un intérêt pour les débats publics même si ce type de mobilisation n’est pas toujours suffisant. Aussi, des associations comme Alliance citoyenne à Grenoble appliquent les principes du sociologue Saul Alinsky. Se définissant comme « tisseurs de colère », ils mènent des campagnes d’écoute pour identifier des revendications collectives et organisent la coopération pour une mobilisation ciblée qui va établir un rapport de force susceptible de transformer les choses par la négociation. À Rio de Janeiro, l’association MeuRio mise sur l’utilisation des outils numériques. Les citoyens sont invités à s’inscrire comme « veilleurs » pour défendre une cause et s’engagent à se déplacer en cas d’alerte. Ainsi, l’école d’une favela menacée de destruction par les chantiers de la Coupe du Monde de football a pu être sauvée par 17 000 volontaires. La technologie modifie le rapport de force.

L’offre institutionnelle de participation se limite encore trop souvent à un consensus de façade. Pourtant dès 1980, à Porto Alegre, les premières expériences de budgets participatifs ont permis aux habitants à travers des assemblées locales de décider des priorités d’investissement. Ce dispositif s’est développé en Amérique Latine et fonctionne désormais dans 2 800 communes dans le monde. En 2015, la ville de Paris a mis en place à son tour une plateforme pour collecter des propositions. Sans idéaliser ces expériences qui peuvent s’avérer parfois de simple opération de communication politique, les auteurs les encouragent pour impliquer toujours plus les citoyens. C’est l’ambition de la nouvelle municipalité de Grenoble et aussi de celles de Madrid et Barcelone qui souhaitent remettre en cause la nature du mandat représentatif par une gestion directe grâce à internet qui supprime bien des impossibilités techniques.
Seulement une poignée de communes sont réellement autogérées, à l’instar de Marinaleda (Andalousie) depuis 40 ans. Élisa Lewis et Romain Slitine se sont rendus à Saillant, commune de la Drôme. En 2010, les 1 250 habitants se sont mobilisés contre la décision du maire d’autoriser l’implantation d’un supermarché. Fort de leur succès, six mois avant les élections municipales, ils envisagent de constituer une liste, travaillant avant tout sur un projet pour ensuite décider collectivement de ceux qui le porteront. Depuis, la nouvelle équipe fonctionne sur trois principes : transparence et accès à tous à toutes les informations, collégialité et participation citoyenne. Par exemple, le nouveau plan d’éclairage a été optimisé collectivement comme aucune entreprise extérieure ne pourra jamais le faire. Leur réussite résulte de l’énergie collective de la lutte initiale mais aussi de la proposition d’un contre-modèle aux pratiques autoritaires plutôt que d'une élaboration théorique. Le Minlab à Copenhague, le Design Lab à Helsinki, le Laboraorio para la Ciudad fonctionnent comme des incubateurs de projets. Il s’agit d’utiliser la ville comme un cerveau collectif mobilisant les expertises d’usage, les savoirs et les idées des habitants. La gestion des communs (qui n’appartient à personne et bénéficient à tous) notamment devrait bouleverser la tradition politique du monopole.


Au terme de leur enquête, Élisa Lewis et Romain Slitine concluent que la subversion du système verrouillé et vertical, le passage d’une démocratie de délégation à une démocratie de l’action sont en cours. Pour cela, ces expériences devront faire système et ne pas se multiplier sans être portées par une vision politique de transformation du monde. Ils mettent en garde contre la résistance du système actuel et évitent plutôt l’écueil de l’optimisme béat, exposant également les limites de chacune de ces initiatives. Ils incitent à une implication citoyenne, pour sortir de la passivité et de l’attente.


LE COUP D’ÉTAT CITOYEN
Ces initiatives qui réinventent la démocratie.
Élisa Lewis et Romain Slitine
224 pages – 15 euros.
Éditions de la Découverte – Paris – septembre 2016



En complément, on pourra également lire :

- PODEMOS - Sûr que nous pouvons ! qui relate plus longuement l’émergence de ce parti et reprend quelques textes fondateurs.

- OCCUPY  de Noam Chomsky qui considère ce mouvement comme la première grande riposte populaire depuis les années 1970.

- « Comme si nous étions déjà libres » de David Graeber qui raconte Occupy Wall Street et livre une profonde réflexion sur les principes démocratiques.

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