Comment le monde a-t-il pu assujettir l’alimentation,
qui représente le besoin le plus fondamental, aux règles du commerce
international ?
John Madeley démonte les rouages d’un système
organisé pour le profit et qui affame des millions de personnes.
Fin novembre, début décembre 1999, l’O.M.C. se
réunit à Seattle. Les négociations portent essentiellement sur des
considérations commerciales, sans tenir compte des préoccupations telles que
l’autosuffisance alimentaire ou le maintien des moyens de subsistance des
paysans. 50 000 manifestants, venus du monde entier, vont encourager les pays
en développement à se faire entendre. La suppression des tarifs douaniers et
des quotas n’est pas le seul objectif des grandes entreprises qui convoitent le
monopole des brevets et montent les gouvernements contre leurs propres
populations.
S’il est demandé aux pays en développement de
libéraliser leurs échanges, l’Europe maintient une Politique Agricole Commune
(P.A.C.) qui distribue 85% de tous les crédits à l’exportation de produits
agricoles dans le monde, soit la plus grande distorsion commerciale jamais
connue, et les États-Unis ont remplacé les subventions à l’exportation par une
aide directe à leurs agriculteurs.
La pêche est mise en péril par les subventions accordées
dans les pays occidentaux. Celles de l’Union Européenne ont entrainé une
augmentation des flottilles dotées de technologie de pointe, au détriment des
pêcheurs des pays en voie de développement.
L’échec de Seattle a démontré que la mondialisation,
le projet de libéralisation commerciale, ne sont pas inéluctables. Ce sont des
projets politiques qui appellent une réponse politique.
Les représentants des États de la planète, réunis au
Sommet mondial de l’alimentation, en novembre 1996, se sont engagés à réduire
de moitié le nombre d’affamés dans le monde d’ici 2015. Le coût de ce programme
est fixé à 60 milliards de dollars sur 15 ans, soit 4 milliards par an. Les
chiffres publiés par la F.A.O. en 1999 sont éloquents. Alors qu’il se produit
sur terre plus de denrées agricoles per
capita, un peu plus de 2 kilos d’aliments par jour, les pays du Sud
comptent 790 millions de personnes affamées. La souveraineté alimentaire ne
fait pas du commerce sa priorité. 14% des sols des pays en développement sont
accaparés par des cultures destinées à l’exportation et cette proportion ne
cesse d’augmenter. La dette du tiers-monde est passée de 9 à 572 millions de
dollars entre 1955 et 1980, pour atteindre plus de 2,2 milliards en 1998. Le
service de la dette (le remboursement des intérêts et du capital) coûte
annuellement plus de 200 milliards de dollars aux pays en développement, soit
quatre fois plus que ce qu’ils reçoivent dans le cadre des programme d’aide au
développement.
L’appauvrissement des sols et la désertification,
les catastrophes naturelles, le sous-financement de l’agriculture et la
méconnaissance du rôle des femmes, les guerres, l’absence de démocratie, les
changements climatiques, le manque d’eau, les difficultés d’accéder aux terres,
la réduction des services médicaux sont d’autres facteurs qui contribuent à
l’insécurité alimentaire que John Madeley met en avant, constatant que ni la
communauté internationale ni les gouvernements des pays concernés ne font les
efforts financiers et politiques pour résoudre ces problèmes.
Le commerce international des denrées alimentaires
est né du désir de certains pays de se procurer des produits qu’ils ne
produisaient pas. Au XIXe siècle, les colonies d’Afrique, d’Asie et
d’Amérique Latine se sont mises à utiliser une partie de leurs terres les plus
fertiles pour cultiver des produits destinés à l’exportation.
Si le commerce a permit d’élever le niveau de vie de
certains, c’est au détriment d’une multitude de personne. Ainsi, pendant la
famine en Irlande qui fit près d’un million de victimes en 1846-1847, les
grands propriétaires terriens exportaient de la nourriture vers le Royaume-Uni.
La libéralisation du commerce, c’est-à-dire la
réduction des entraves aux échanges commerciaux, remonte à la fin des années
40. En 1947, 23 pays ont signé l’Accord général sur les tarifs douaniers et le
commerce (G.A.T.T.) puis ils ont tenus, jusqu’en 1979, sept séries de
négociations en vue de libéraliser le commerce des produits manufacturés.
Débuté en 1986, l’Accord du cycle de l’Uruguay sur l’agriculture est signé en
1993 et a abouti à la création de l’O.M.C.
Les apôtres du libre-échange prétendent que l’argent
généré par les exportations de denrées alimentaires permet aux gens d’acheter
plus de nourriture qu’ils n’auraient pu en produire. Mais le marché libre
n’existe pas car le commerce mondial est asservi aux grandes entreprises. Les
conditions des échanges ont toujours défavorisé les pays en voie de
développement et la croissance profite toujours aux transnationales.
L’augmentation des exportations dans les années
1980-1990, visait à obtenir des devises étrangères pour payer la dette
extérieure, au détriment des politiques agricoles et de la sécurité
alimentaire.
John Madeley présente les organisations
internationales chargées de réguler le commerce mondial.
La Banque mondiale et le F.M.I. accordent des aides
financières aux pays en développement qui acceptent leurs Programmes d’ajustement
structurel (P.A.S.), imposant notamment de réduire les dépenses liées aux
programmes sociaux et d’éliminer les subventions à l’agriculture vivrière.
L’O.M.C. défini les règles d’une économie mondiale
sans frontière fondée sur le commerce.
La Conférence des Nations Unies sur le commerce et le
Développement (C.N.U.C.E.D.), créée en 1964, a lancé plusieurs programmes
ambitieux comme celui sur l’intégration des produits de base, avant de se voir
dépouillée de son pouvoir par les pays occidentaux. Son budget est passé de 6
milliards de dollars à 750 millions et ses fonctions sont limitées depuis 1992
à l’analyse, la recherche d’un consensus et l’aide technique.
La Politique agricole commune (P.A.C.) de l’Union
européenne est l’un des mécanismes les plus protectionniste au monde. Les
surproductions subventionnées inondent les marchés des pays en voie de développement
et les dévastent.
Dans une étude publiée en 1999, sur les effets de la
mise en œuvres de l’Accord du cycle de l’Uruguay, la F.A.O. a constaté un
afflux massif des importations agricoles dans les pays en développement sans
augmentation des exportations, avec pour conséquence immédiate 20 à 30 millions
de familles d’agriculteurs qui ont du quitter leurs terres. Les P.A.S. ont
réintroduit des frais pour l’éducation et les services médicaux, mais les
revenus des paysans ont diminué.
En Inde, par exemple, une entreprise française a
obtenu l’autorisation d’établir une usine d’aliments pour animaux de compagnie
sur des terres arables.
Les producteurs de lait de l’Union européenne ont
reçu 900 euros de subvention par tonne alors que le cours mondial est de 1160
euros. Les importations vers les pays du Sud mettent en péril leurs
exploitations laitières, jusqu’en Jamaïque.
Avant la mise en place du P.A.S., le gouvernement du
Zimbabwe subventionnait l’achat des principaux intrants agricoles (engrais et
traitements chimiques).
Les transnationales utilisent l’O.M.C. pour
déréglementer le marché mondial, limitant notamment les lois de protection de
l’environnement ou des droits de l’homme. En brevetant des variétés végétales,
elles tentent de contrôler les cultures vivrières des pauvres. Si les États-Unis
sont les seuls à les autoriser, l’Accord sur les A.D.P.I.C., entré en vigueur
en 1995, est une coalition d’industriels américains, européens et japonais.
Cependant il viole la Convention des Nations Unies sur la diversité biologique
entrée en vigueur en 1993 car il ne promeut pas le partage des profit mais la
privatisation des ressources génétiques. C’est un vol qui tire profit des
savoirs des agriculteurs du tiers-monde. L’aspirine synthétique de chez Bayer,
par exemple, dérive d’une plante médicinale traditionnellement utilisée chez
les arabes.
Un rapport a comptabilisé que les ressources
génétiques et le savoir des agriculteurs du Sud rapportent annuellement 4,5
milliards de dollars aux pays du Nord.
Une étude du Service de la recherche économique du
département américain de l’Agriculture indique qu’en 1998 la différence de
rendement entre les cultures génétiquement modifiées et les cultures
traditionnelles n’est pas significative. La semence « Terminator »
utilise un procédé de stérilisation qui empêche toute reproduction et oblige
les agriculteurs à les acheter chaque année au lieu d’utiliser une petite
partie de la récolte précédente. Face au tollé suscité, ce procédé n’est plus
utilisé mais remplacé par la technologie « Verminator » qui ne
stérilise plus la semence mais nécessite l’utilisation de produits chimiques
spécifiques et vendus par la même firme, pour activer certaines
caractéristiques comme la résistance à la sécheresse ou à la maladie.
Plutôt que de rechercher les profits, les O.G.M.
pourraient améliorer réellement la sécurité alimentaire, par exemple en
ajoutant des vitamines A aux plantes, sachant que cette carence rend aveugle
chaque année 3 millions d’enfants dans le monde. L’accroissement de la
tolérance du riz à la salinité marine ne pourra être mise au point avant 10
ans. Les techniques de croisement traditionnelles ont aussi permis d’obtenir
plusieurs variétés de blé tolérantes à la sécheresse.
Les agriculteurs triplent leurs revenus en
abandonnant l’arsenal chimique et en se libérant des dettes associées à l’achat
de semences et d’intrants chimiques coûteux.
La faim dans le monde n’est pas due à un écart entre
la production alimentaire et la densité de population ou le taux de croissance
démographique. Les O.G.M. n’éliminent pas la cause principale de la
famine : le manque d’argent ou de terre. Il n’y a pas de réelle pénurie
alimentaire. Aujourd’hui, il se cultive suffisamment de nourriture pour
alimenter toute la planète.
John Madeley rapporte ensuite des propositions précises
qui ont été émises par les O.N.G. au moment de la conférence de Seattle.
Beaucoup se déduisent de l’exposé précédent, aussi ne les reprendrons-nous pas
maintenant. En substance il s’agirait de commercer moins pour manger mieux et
d’établir comme priorité absolue la sécurité alimentaire dans l’Accord sur
l’agriculture.
Abondamment documentée, cette enquête dresse un état
des lieux précis du monde et avance des solutions évidentes. Tant que le
pouvoir des transnationales qui ne recherchent que le profit, ne sera pas
enrayé, l’alimentation ne pourra être garantie pour tous.
LE COMMERCE DE LA FAIM
La sécurité alimentaire sacrifiée à l’autel du libre
échange
John Madeley
Traduit de l’anglais par Françoise Forest
262 pages – 28 euros.
Édité par l’Alliance des Éditeurs Indépendants –
Collection « Enjeux Planète » – Paris – août 2002
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