Pour quoi faire ?

11 février 2017

LES DISPENSAIRES AUTOGÉRÉS GRECS


Les premiers dispensaires sociaux solidaires sont apparus en Grèce pour venir en aide aux réfugiés du Moyen-Orient. Puis, avec les mémorandums qui ont provoqués l’effondrement du système de soins et de protection sociale, la population grecque, avec une croissance vertigineuse de besoins, à son tour se tourna vers eux.

 L’objectif des institutions européennes d’abaisser les dépenses de santé à 6% du P.I.B. revient à purement et simplement sacrifier la santé des populations. Entre 2008 et 2013, elles ont diminué de 22% ! 35 000 lits d’hospitalisations ont disparu au niveau national. Les effectifs du personnel soignant ont baissé de 25%. 6 000 médecins ont quitté les hôpitaux et 7 000 sont partis à l’étranger faute de travail. Le marché des cliniques privées destinées aux malades solvables s’est considérablement développé dans le même temps.
Pourtant la santé est un bien commun universel, un droit inaliénable défini par la Déclaration universelle des droits de l’homme, l’O.M.S. et le pacte des Nations unies. Elle doit être placée en dehors du cadre de la propriété et être protégée démocratiquement. « Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires. » (Article 25)
Or, la crise a durement frappé la population. Un rapport de 2014 estime que le nombre d’enfants vivant dans des familles sous le seuil de pauvreté a augmenté de 80% entre 2008 et 2014, passant de 23% à 40 % ! Le salaire annuel médian est passé de 10 800 euros en 2008 à 8 600 euros en 2013. Le nombre de suicides recensés est en hausse de 45% entre 2007 et 2011. La violence exercée par l’administration fiscale est telle, n’hésitant pas à saisir les biens des familles, que des personnes se suicident à l’annonce d’une maladie grave pour éviter d’être une charge.

Depuis 2012, une cinquantaine de dispensaires se sont auto-organisés sur trois principes fondateurs :
-      travail totalement bénévole,
-      soins gratuits pour les patients,
-      indépendance complète vis à vis de l’État, des O.N.G., des partis politiques, des organismes privés et de tout sponsoring.
Leur fonctionnement est horizontal, sans hiérarchie. 700 solidaires volontaires y participent, donnant de leur temps à titre gracieux, dans une optique militante et non-caritative. La relation aux patients n’est pas condescendante, ni philanthropique mais solidaire. Ce n’est pas de l’assistance mais une contribution de tous selon ses possibilités. En retour de l’aide reçue, les patients peuvent participer à des actions concrètes (collecte de médicaments, entretien des locaux… ). Ils sont aussi incités à se mobiliser pour exiger une politique plus sociale et résister au régime d’austérité. Il y a réciprocité des échanges avec une volonté de former une communauté de pratiques et de pensée, défendant des valeurs autres que la politique néolibérale imposée par l’Europe. En 2015, les dispensaires ont élargi leurs activités à l’approvisionnement alimentaire et vestimentaire.
Les organisations humanitaires traditionnelles ne remettent pas en cause la société, ni ne cherchent à en modifier le fonctionnement. Les dispensaires participent à la résistance à l’austérité.
Les citoyens ne se contentent plus de protester contre la baisse de leurs revenus : ils se battent pour défendre des droits fondamentaux, aspirent à la construction d’une société nouvelle. Les valeurs prônées sont le rejet des valeurs matérielles associées à la production et à la consommation. C’est un phénomène de réorganisation sociale par la base.

L’autogestion est à la fois un moyen de lutte frayant un chemin et un moyen de réorganisation de  la société. C’est également une culture irriguant la conscience collective.
La philanthropie, la charité renvoient à la vision d’une société éthique dans laquelle des citoyens motivés par l’altruisme, focalisés sur la paix sociale, remplissent leurs devoirs en soulageant et moralisant les pauvres par des actions palliatives. Le don peut se convertir en instrument de domination.
La solidarité comme principe de démocratisation de la société, au contraire, est axée sur l’entraide mutuelle autant que sur l’expression revendicative. Elle suppose une égalité de droit entre les personnes engagées et ne divise pas le monde entre ceux qui donnent et ceux qui reçoivent sans donner : tous contribuent selon leurs capacités et tous ont vocation à en bénéficier selon leurs besoins. Pouvoir donner en retour est d’une grande importance pour conserver dignité et estime de soi.


Les auteurs de ce livre ont rencontré de nombreux acteurs de la santé lors d’une mission en Grèce. Les témoignages des solidaires, des soignants et dirigeants des hôpitaux, des syndicalistes, du ministre délégué à la santé, illustrent avec une grande précision la situation sanitaire dramatique du pays. Des rapports officiels et divers communiqués complètent ce panorama que nous avons tenté de synthétiser ici. Cette enquête remarquable rend formidablement compte d’une expérience à grande échelle de solidarité concrète, de résistance et de création collective. C’est un appel à la constitution d’un front social et politique à l’échelle européenne.




LES DISPENSAIRES AUTOGÉRÉS GRECS
Résistances et luttes pour le droit à la santé
Christine Chalier, Éliane Mandine, Danielle Montel, Bruno Percebois, Jean Vignes
162 pages – 8 euros
Éditions Syllepse – Collection « Arguments et mouvements » – Paris – juillet 2016

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