Pour quoi faire ?

2 juillet 2017

LA HAINE DE L’OCCIDENT

Depuis plus de cinq cents ans, les Occidentaux dominent la planète. L’actuel ordre économique du monde imposé par les oligarchies du capital financier occidental est le produit des systèmes d’oppression antérieurs, notamment de la traite et de l’exploitation coloniale. Le Sud regarde comme un schizophrène cet Occident dont la pratique dément constamment les valeurs qu’il proclame. Jean Ziegler cherche à comprendre l’hostilité suscitée par l’arrogance des pays du Nord, à localiser les racines de cette haine pour construire une société planétaire réconciliée, juste, respectueuse des identités, des mémoires et du droit à la vie de chacun.

Pendant toute la durée des croisades, jusqu’au XIVe siècle, les « Occidentaux » étaient assimilés aux chrétiens, aux « Infidèles ». Puis, pendant la conquête coloniale, du XVIe au XIXe siècle, s’étaient les « Blancs » or, ceux-ci n’ont jamais représenté plus de 23,8% de la population mondiale et à peine 13% aujourd’hui. L’Occident se définit aujourd’hui essentiellement, selon Fernand Braudel, par son mode de production, le capitalisme. Il prétend imposer sur toute la surface du globe les « Droits de l’homme » et la forme de gouvernement qu’il appelle « la démocratie ». Jean Ziegler distingue clairement la haine raisonnée de sa face sombre, la haine pathologique qui peut aller jusqu’à la pratique du terrorisme.

La mémoire blessée des peuples autrefois colonisés est devenue aujourd’hui une force historique puissante. La mémoire collective obéit à des rythmes inexplicables.
La conférence de Bandung, à Java, en avril 1955, donna naissance au Mouvement des non-alignés qui contesta l’oppresseur occidental au nom des cultures singulières des peuples du Sud. Ce mouvement identitaire se réunit tous les trois ans. Il sombra rapidement dans l’oubli, personne ne prêtant attention à ses décisions.
En janvier 1966, fut inaugurée à La Havane la Conférence internationale de solidarité avec les peuples en lutte qui sera plus connu sous le nom de Tricontinentale. Il s’agissait de multiplier et de réunir les fronts de résistance anti-impérialiste pour disperser les forces d’oppression occidentales. Elle végéta cependant pendant des décennies.
Réuni à La Havane en septembre 2006, le Mouvement des non-alignés reprit brusquement de la vigueur et occupe désormais une place importante notamment au Conseil des droits de l’homme créé par l’O.N.U. en mars 2006.

Pour fonder leurs revendications de justice réparatrice, de compensations financières et de repentance, les peuples invoquent avec obstination deux crimes commis par l’Occident : la traite des Noirs et la conquête coloniale. Vingt millions d’hommes, de femmes et d’enfants africains ont été déportés outre-Atlantique pour servir de main-d’œuvre dans les plantations et les mines.
Le racisme selon Claude Lévi-Strauss est « une doctrine qui prétend voir dans les caractères intellectuels et moraux attribués à un ensemble d’individus, de quelque façon qu’on le définisse, l’effet nécessaire d’un commun patrimoine génétique ». Il est l’essence même du colonialisme. Il exclut par avance toute relation de réciprocité et de complémentarité avec le colon qu’il ravage tout autant qu’il détruit le colonisé. Jean Ziegler insiste sur la dimension pathologique attachée à la conquête coloniale en revenant sur certains crimes particulièrement abominables.

Il constate qu’aujourd’hui le monde est paralysé par les exigences légitimes des peuples du Sud et la mémoire triomphante, aveugle, arrogante, imperméable au doute de l’Occident face à ses propres crimes de masse.
L’échec retentissant de la conférence de Durban, début septembre 2001, tentative de réconciliation organisée par Kofi Annan, Secrétaire général des Nations unies et Mary Robinson, Haut-Commissaire des Droits de l’homme, est significatif de la profondeur et de la gravité des blessures des peuples du Sud, de l’intensité de leur haine pour l’Occident.
Le discours de Nicolas Sarkozy prononcé à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, 26 juillet 2007, réhabilite les colons et refuse de leur attribuer la souffrance des Africains : « C’est la souffrance de tous les hommes. » Il conseille aux Africains qui ne sont « pas assez entrés dans l’histoire », de « sortir de la répétition pour s’inventer un destin », de cesser de vivre « en harmonie avec la nature », au « rythme des saisons », de « s’élancer vers l’avenir », d’accéder au progrès… c’est à dire de se soumettre au modèle occidental. « Jeunes d’Afrique, vous êtes les héritiers de tout ce que l’Occident a déposé dans le cœur et l’âme de l’Afrique. » ose-t-il. Il leur conseille de rechercher l’autosuffisance alimentaire par le développement des cultures vivrières alors même que celles-ci sont détruites par le dumping occidental. La blessure sera profonde.
Quelques mois plus tard, lors d’une visite en Algérie, le président Bouteflika lui demande la reconnaissance des méfaits commis en cent trente-deux ans d’occupation. Sarkozy propose une commission d’historiens algériens et français pour explorer le passé. C’est comme si le gouvernement allemand avait proposé une commission germano-polonaise ou germano-israëlienne pour mettre au jour la vérité sur la Seconde Guerre mondiale.

Quatre systèmes de domination se sont succédés : les conquêtes, le commerce triangulaire, le système colonial et l’actuel ordre du capital occidental globalisé. La violence exercée par la fameuse « Main invisible » du marché, la monopolisation des richesse par les oligarchies transcontinentales perpétuent, en les aggravant, les trois systèmes d’oppression antérieurs. Partout où les oligarchies capitalistes sont à l’œuvre, elles agissent selon les mêmes méthodes, par la maximalisation et la monopolisation des profits, par la destruction de la norme étatique, par la surexploitation des ressources naturelles et du travail humain. Les oligarchies financières chinoises, indiennes reproduisent le système mondial de domination et d’exploitation mis en place par les Occidentaux. Elles sont concurrentes et solidaires avec elles.


Les Occidentaux ont une capacité schizophrénique à dire la loi pour les autres sans se l’appliquer à eux-mêmes.

Jean Ziegler prend l’exemple du Nigéria, huitième producteur de pétrole du monde et premier d’Afrique, condamné à importer 100% des produits raffinés dont il a besoin. Mis sous tutelle des compagnies pétrolières occidentales qui, par la corruption, favorisent leurs intérêts, le Nigéria est l’un des vingt pays les plus misérables de la planète. Le récit que fait Jean Ziegler, depuis la guerre du Biafra jusqu’à la construction d’une luxueuse capitale ex-nihilo loin de Lagos et des autres ports devenus poubelles de l’Occident, est affligeant et édifiant. Pour éviter les émeutes de la faim qui pourraient mettre en danger les exorbitants privilèges des sociétés occidentales, la Banque mondiale déroge à ses statuts. Le Nigéria, pays parmi les plus riches de la terre, reçoit chaque année 2 des 5 milliards de dollars prévus pour la réalisation de projets de développement dans l’Afrique subsaharienne, en principe exclusivement réservés aux pays pauvres.

Il raconte l’élection, le 21 janvier 2006, d’Evo Morales, premier président indien d’Amérique du Sud, en Bolivie, avec une triple stratégie : lutte contre la misère, destruction de l’État colonial et édification d’un État national. La Bolivie possède les plus importantes réserves de gaz de toute l’Amérique latine et des réserves pétrolières équivalentes à celles de l’Arabie Saoudite. Le 1er mai 2006, au directeur des installations gazières qui lui propose de les lui faire visiter, Evo Morales répond qu’il est venu en prendre le contrôle au nom du « rétablissement de la souveraineté énergétique ». Grâce aux études réalisées par des ingénieurs norvégiens, il sait quelles conditions acceptables il peut proposer aux sociétés occidentales. Pour la première fois depuis cinq cents ans, un indien a fait mettre un genou à terre à l’Occident. Ce récit est tout aussi intéressant et incite à un peu plus d’optimisme. Pourtant, l’auteur explique aussi que dans l’Oriente, où vivent les descendants des nazis allemands, hongrois, roumains, autrichiens, lettons, ukrainiens,… Evo Morales est l’ennemi à abattre. Des milices d’extrême droite, comprenant notamment des Oustachis qui allaient en ex-Yougoslavie « chasser des musulmans » pendant les conflits récents, avec les institutions locales et la complicité de l’Ambassadeur des États-Unis à La Paz, appellent à la sécession et à la création d’un « nouvelle nation », blanche et alliée à l’Occident.


Jean Ziegler propose de rompre avec ce système destructeur par la reconstitution mémorielle, par la prise de conscience des droits humains, par la construction nationale dans les pays du Sud. Le Sud ne veut plus d’un Occident universel. Le Sud et l’Occident sont colocataires d’une même planète.
Ses analyses sont toujours aussi pertinentes. Au-delà des grandes lignes qui pourront sonner comme des lieux-communs pour certains, beaucoup de ses exemples sont particulièrement intéressants.



LA HAINE DE L’OCCIDENT
Jean Ziegler
304 pages – 20,30 euros.
Éditions du Seuil – Paris – octobre 2008
Pages - 7,10 euros
Édition Le Livre de poche - février 2010




Du même auteur :

L’EMPIRE DE LA HONTE

RETOURNEZ LES FUSILS ! Choisir son camp

DESTRUCTION MASSIVE – Géopolitique de la faim

 

 

1 commentaire:

  1. aucun commentaire!?
    c'est profond, lucide, noir et quand même humaniste. Merci au (dit) sulfureux Jean Ziegler.
    Je ne peux m'empêcher d'abonder d'un billet de blog solitaire qui recroise ces analyse et aspect...
    https://blogs.mediapart.fr/lies-tipo/blog/280417/pourquoi-n-avons-nous-pas-le-choix-du-vote-fn-2eme-tour-france-insoumise

    RépondreSupprimer