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11 janvier 2018

MARIA NIKIFOROVA, LA RÉVOLUTION SANS ATTENDRE

Maria Grigorevna Nikiforova est née en 1885 dans la ville ukrainienne d’Alexandrovsk. Employée comme laveuse de bouteilles dans une distillerie de vodka, elle rejoint le groupe local d’anarchistes-communistes qui, au contraire des différentes tendances du marxisme et du populisme, ne pensaient pas nécessaire d’en passer par une quelconque transition bourgeoise pour atteindre la révolution. Les paysans et les ouvriers pouvaient se libérer immédiatement de leurs chaînes par une révolution sociale violente. Ils se battaient pour l’établissement direct de fédérations de communes libres au moyen d’insurrections armées.
Les anarchistes-communistes considéraient que les structures syndicales portaient en elles « le germe de la séduction politique » avec leur réformisme revendicatif et préféraient œuvrer en faveur d’un vaste mouvement d’expropriation. Ils prônaient ouvertement l’utilisation généralisée de la « terreur économique » (exécutions de patrons et de propriétaires terriens, expropriations, incendies de domaines et de propriétés…). De 1906 à 1908, le ministère de l’Intérieur recensa 26 268 attentats anarchistes, 6091 fonctionnaires et particuliers tués, plus de 5 millions de roubles (13 millions de francs) volés à main armés dans les caisse de l’État. De nombreux groupes, dont celui de Maria Nikiforova, s’orientèrent vers la « terreur sans motif » (bezmotivnyi) et pratiquèrent des attaques non plus seulement dirigées vers des dirigeants politiques ou économiques, mais contre la propriété et la bourgeoisie en tant que telles, afin de briser l’illusion d’un intérêt commun entre exploités et exploiteurs.
À partir de 1905, le gouvernement répliqua par une répression féroce, massacrant en un peu plus d’un an 15 000 révolutionnaires et en incarcérant 70 000 autres. Maria Nikiforova fut arrêtée, jugée pour diverses actions et condamnée à mort en 1908, sentence commuée en une peine de vingt ans de travaux forcés en raison de son jeune âge.
Elle participa a une émeute dans la prison sibérienne où elle avait été déportée en 1910 puis s’échappa. Elle gagna le Japon, les États-Unis, le Canada, Londres vers 1912, l’Allemagne, la Suisse, Paris, Barcelone où elle participa au braquage d’une banque.


La Première Guerre mondiale scinda la plupart des groupes révolutionnaires russes en deux, les partisans de la Triple-Entente et les internationalistes qui refusaient de choisir parmi les intérêts capitalistes des différents États. En 1917, celle qui était désormais connue sous le surnom de Maroussia et qui avait suivie une formation militaire, déserta le front de Salonique pour rejoindre Petrograd où elle se lança immédiatement dans la lutte contre le gouvernement Kerenski avec comme mot d’ordre « Tout le pouvoir aux soviets ! ». La Fédération des groupes anarchistes de Petrograd comptait 18 000 membres en octobre 1917 et préconisait une révolution sociale. Maroussia participa bien sûr à l’insurrection des « Journées de juillet », se rendant à Krondstadt pour donner une série de discours devant 8 à 10 000 marins et ouvriers. On la suit ensuite en Ukraine. Au début 1918, avec Makhno, elle œuvre aux désarmements des 18 unités cosaques envoyées par les partisans de l'ancien régime pour créer un front contre-révolutionnaire. À ce moment-là, elle prend en charge le commandement militaire et acquiert une dimension dépassant celle d’une figure locale énergique. Elle équipe alors la « Druzhina du combat libre », wagons blindés remplis de calèches munies de mitrailleuses qui allaient sillonner l’Ukraine.


Après la signature du traité de Brest-Litovsk auquel s’opposèrent les anarchistes, les bolcheviks pour asseoir leur pouvoir, entamèrent une campagne de propagande contre leurs anciens alliés et multiplièrent les arrestations. Maria Nikiforova passa, au printemps 1918, devant un « tribunal révolutionnaire d’honneur » mais fut acquittée. Mais le 25 janvier 1919, elle fut reconnue coupable de « discréditer le pouvoir soviétique par ses faits et gestes ». Début juin, Makhno fut déclaré hors-la-loi. Maroussia s’opposa à lui, préférant constituer des réseaux armés clandestins plutôt que d’essayer de préserver une certaine capacité militaire. Des groupes d’anarchistes underground multiplièrent les attentats, allant jusqu’à s’en prendre, le 25 septembre 1919, à un congrès du parti regroupant 150 personnes, en tuant 22, et blessant 55, détruisant le siège du parti communiste. La répression qui suivit les empêcha de faire sauter le Kremlin un mois plus tard.
Le 11 août 1919, Maroussia fut reconnue en compagnie de son mari dans les rues de Sébastopol, arrêtée, jugée le 16 septembre, condamnée à mort et exécutée.


Ce récit étoffe l’histoire des Révolutions russes que l’on voit trop souvent résumée à l’ascension des bolcheviks et la mise en place de leur régime totalitaire. Au-delà de cette destinée, c’est la complexité des luttes de l’époque qui est exposée.



MARIA NIKIFOROVA, LA RÉVOLUTION SANS ATTENDRE
L’Épopée d’une anarchistes à travers l’Ukraine (1902-1919)
Mila Cotlenko
Suivi de MAKHNO ET LA QUESTION DE L’ORGANISATION
Alfredo M. Bonanno
148 pages – 6 euros
Mutines Séditions – Collection « Le Fil noir de l’histoire » – Paris – Septembre 2014

http://mutineseditions.free.fr



Voir aussi : 

MAKHNO – Une épopée


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