Pour quoi faire ?

19 décembre 2018

LA VÉRITÉ SUR CESARE BATTISTI

« Afin que chaque français puisse atteindre, de manière objective et par l’usage de la Raison chère à Voltaire, à la vérité » au sujet de l’affaire Cesare Battisti, Fred Vargas a réuni ces textes et documents qui mettent en évidence, « par la seule présentation des faits et loin de toute logique partisane » tous les aspects de cette trahison. Au-delà du contexte de la menace d’extradition qui pesait alors sur lui, c’est tout le contexte des années de plomb qui nous est restitué et les enjeux de ce « passé qui ne passe pas ».
Alors que l’Italie connut entre 1969 et 1989, un « guerre civile de basse intensité », une série de lois spéciales furent édictées pour juger les militants de gauche arrêtés, violant la Constitution et de nombreux accords européens et internationaux.
Cesare Battisti rejoint en 1977 l’un de nombreux groupes armés d’extrême gauche, les Prolétaires Armés pour le Communisme (PAC). Arrêté en 1979 sans la moindre preuve matérielle, il s’évade en 1981 et rejoint le Mexique où il vit pacifiquement. Il fut condamné par contumace à la prison à vie sur l’unique base du témoignage du repenti Pietro Mutti, obtenu contre sa libération.
67,5% des violences de cette période sont imputables aux militants des organisations néo-fascistes, selon le Ministère de l’Intérieur, pourtant elles ne représentes que 1% des condamnations. Ainsi le 12 mars 2004, les auteurs présumés de l’attentat de la Piazza Fontana en 1969, liés à l'extrême droite, furent acquittés au motif qu’ils étaient accusés par des repentis !
En 1985, le président Mitterrand accorde l’asile aux réfugiés ayant rompu avec toute forme de violence politique, considérant que leurs condamnations sont contraires au droit. Lionel Jospin renouvellera cet engagement. En 2002, Chirac et son ministre de la Justice, Dominique Perben, trahissent la parole donnée en autorisant les extraditions réclamées par le gouvernement de Silvio Berlusconi et notamment Roberto Castelli, ministre de la Justice et membre de la Ligue du Nord.

Un long texte de Quentin Deluermoz, historien, revient sur le contexte politique propre à l’Italie dans ces années-là, avec un Parti communiste très puissant, jugé trop « bourgeois » par les groupes d’extrême gauche, la grande brutalité de l’État italien dans la répression de manifestations pacifiques poussant certain groupes vers des actions plus violentes (braquages, enlèvements, meurtres ciblés) et la justice d’exception, non démocratique, mise en place face à cette tension, pour réaffirmer la puissance de l’État et qui se prolonge jusqu’à aujourd’hui. En conclusion, il propose une autre voie pour « résoudre les problèmes de mémoires » : l’amnistie, acte politique par lequel l’État affirme autrement son pouvoir sur le passé et sur la cohésion nationale.

L’écrivain Wu Ming 1 détaille un à un les articles de loi qui mirent en lambeaux la Constitution, par exemple le décret-loi n°99 du 11 avril 1974 qui porta à huit ans l’incarcération préventive, véritable « peine anticipée », contraire à la présomption d’innocence (article 28, alinéa 2, de la Constitution), ainsi que ceux qui créèrent des « prisons spéciales », autorisèrent les procès par contumace, les « écoutes téléphoniques préventives » et les perquisitions sans mandat écrit, donnèrent secrètement et sans être transmis au Parlement, des « pouvoirs spéciaux pour lutter contre le terrorisme » au général della Chiesa.

Des documents témoignent de l’usage de la torture, expliquent la figure du « repenti », « clairement sortie du droit de l’Inquisition », celle du « dissocié » qui admettent leurs responsabilités pénales sans donner de noms, à la manière de l’ « abjuration » que l’Inquisition exigeait des hérétiques. Des extraits de rapport d’Amnesty International pointent un certains nombres de dysfonctionnements. Un court texte présente l’organisation secrète Gladio, crée au début des années 1950 par la CIA et les services secrets italiens, composées d’au moins un millier de membres, prêts à s’opposer les armes à la main à l’éventualité que l’Italie tombe sous le contrôle du Parti communiste.

Le procès de Cesare Battisti est ensuite abordé en détail dans ce contexte ainsi que le traitement de cette affaire par la presse, en France et en Italie. Plusieurs articles sont analysés pour démontrer le processus de désinformation à l’oeuvre, relayant la propagande italienne : les magistrats invités à s’exprimer participèrent à l’accusation lors du procès et à l’élaboration des lois d’exception sans que cette précision soit apportée, les condamnations d’Amnesty International ne sont pas évoquées, le fils de Torregiani est, par un habile raccourci, présenté comme une victime de Battisti alors que ce dernier n’était pas présent au moment de l’assassinat de son père. Il n'est jamais précisé que c’est une balle malencontreusement tirée par celui-ci qui paralysa son propre fils adoptif !
Dans une lettre ouverte à Battisti, Daniel Pennac rappelle qu’à peine neuf ans après la Commune de Paris, les condamnés furent graciés et amnistiés mais que l’Italie refuse le pardon vingt ans après les faits reprochés. Les courriers de Robert Badinter, l’Abbé Pierre, Erri de Luca, Stéphane Hessel, Michel Tubiana, président de la Ligue des droits de l’homme, et quelques autres, sont également reproduits.
Battisti aussi s’exprime pour expliquer combien il ne se reconnait pas dans l’homme qui porte son nom dans les journaux. Son avocat raconte pourquoi le protocole d’accueil conclu avec la France constituait « un laboratoire in vivo d’une des solutions pour l’Italie pour sortir des « années de plomb » » et que cette reddition de cent cinquantes clandestins a certainement évité bien des drames.
Une chronologie glaçante « met en évidence la continuité et l’escalade des attentats perpétrés par des éléments d’extrême droite souvent avec l’appui des services secrets (SID), de 1969 à 1982, afin de maintenir la « stratégie de la tension » dans le pays » : défenestration de l’anarchiste Pinelli, accusé à tort d’être responsable de l’attentat de la Piazza Fontana, campements paramilitaires fascistes financés par le ministre de la Défense, découverte de la loge P2 à laquelle appartenait, parmi plus de 900 personnalités, Silvio Berlusconi, et de l’organisation secrète de la Rose des vents, composée de plus de 1600 membres, qui préparait un coup d’État, etc.


Si l’évocation des extraditions par la France n’est bien sûr plus d’actualité, elle rencontre cependant brutalement les actuelles menaces qui pèsent de nouveau sur Cesare Battisti, réfugié depuis cette période au Brésil, avec les tractations entre les gouvernements italiens et brésiliens. Pour comprendre ces petits arrangements entre fascistes, cette enquête permet de décrypter ce processus de « diabolisation destinée à dissimuler l’indicible ». Revenir sur ces années avec une approche historique fournit toutes les clefs pour éviter les pièges émotionnels tendus.




LA VÉRITÉ SUR CESARE BATTISTI
Textes et documents rassemblés par Fred Vargas
242 pages – 7 euros
Éditions Viviane Hamy – Collection Bis – Paris – Mai 2004

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