Pour quoi faire ?

17 mars 2019

LA CANAILLE À GOLFECH - Fragments d’une lutte antinucléaire (1977-1984)

Le choc pétrolier fut une chance inespérée pour le pouvoir qui saisit ce prétexte pour disséminer des centrales nucléaires. Conjointement se développa le mouvement anti-nucléaire, obstacle important à la politique du fait accompli, au départ majoritairement pacifiste, convaincu que l’indignation citoyenne suffirait à empêcher l’État d’imposer ce nouveau modèle de société. La manifestation de Malville, le 31 juillet 1977, avec la mort d’un manifestant, clarifiera d’un coup le niveau de conflit auquel l’État était disposé, provoquant une fracture au sein du mouvement entre les professionnels de l’écologie et des militants qui vont radicaliser leurs pratiques et leurs objectifs. Dès lors, la violence collective, les blocages et les sabotages devinrent des instruments valables, à la portée de tous. Cet ouvrage propose une chronologie des principaux faits marquants de la lutte anti-nucléaire en France entre 1962 et 1984, ainsi qu’un corpus d’articles, communiqués et tracts autour du projet de centrale de Golfech.

Les fausses promesses de Mitterrand de bloquer les constructions de centrale ont désamorcé la résistance, la reléguant dans l’attentisme, créant de faux espoirs, puis dans le défaitisme. Contre le seul abandon du projet de Plogoff, le Parti socialiste a repris le contrôle des luttes par la manipulation, écrasant les oppositions comme les CRS n’avaient jamais réussi à le faire, et a ainsi garanti la réalisation du projet nucléaire. L'accident de Tchernobyl a ralenti le développement mais a surtout permis « une grande expérimentation à ciel ouvert » des techniques de contrôle des populations et de la gestion militaire des désastres. « Aujourd’hui, le soi-disant pacifisme diffus dans notre société ne mène qu’à la justification idéologique du monopole de la violence de la domination. » Il n’est qu’un « paravent pour cacher la passivité face aux dévastations du capital, à la violence de l’État et aux embrouilles de la politique ». C’est pourquoi les auteurs de ce recueil, « quelques canailles », défendent dans leur préface « l’auto-organisation sans médiation » en développant des pratiques d’action directe. Disposés à « faire sortir la violence de la sphère des tabous dans laquelle l’a reléguée l’idéologie de la domination », ils refusent de l’enfermer pour autant dans celle du mythe. En ce sens, l’histoire de Golfech est une mine de suggestions tant par le « niveau industriel » de la pratique du sabotage que par le rapport entre les petits groupes et le mouvement.


Suit un long entretien avec un militant de la première heure qui revient sur l’histoire de cette lutte. Dès 1967, EDF a présenté un projet de digue à Malause, achevée en 1972, sans préciser son utilité future. « Il existe une planification qui n’est pas dévoilée, pour mieux l’imposer. » Des comités locaux se créent un peu partout. Un Groupement Foncier Agricole est formé pour racheter un morceau de terrain où devait être construit une des tours, montage juridique qui empêche l’expropriation. La mort de Vital Michalon à Malville remet en cause l’utilité des manifestations pacifiques et non-violentes pour bloquer l’État et les intérêts d’EDF. Des pages des registres d’enquête d’utilité publique sont arrachées dans les mairies, bloquant le processus. Cependant EDF n’attend pas et compte sur le fait accompli. Le nombre de sabotages a augmenté : voitures d’EDF brûlées, vitrines brisées, pylônes et locaux détruits à l’explosif. En novembre 1979 est créée une radio pirate : Radio Golfech, puis début 1980 un journal : Le Géranium enrichi. Tous les dimanches, les grillages du chantier sont coupés et le terrain envahi par les manifestants. Fin décembre 1980, Giscard signe le décret d’utilité public sans accorder le permis de construire : ils allaient construire la centrale sans l’officialiser. Tous les pouvoirs politiques et économiques de la région étaient contre. Mitterrand, en campagne, a promis qu’elle ne serait pas construite, entretenant un faux espoir. Élu, il a gelé les travaux de toutes les centrales, même si ceux-ci ont continué. Il a proposé un débat… à l’Assemblée nationale qui a voté pour leur poursuite. Juste après le débat, le 4 octobre 1981, quatre ou cinq mille personnes envahissent le chantier, font des dégâts aux machines. Les CRS sont dépassés. Ensuite, ils viendront à leur rencontre, réprimant durement, matraquant tout le monde pour créer un climat de terreur et les dissuader de revenir. La décision a été prise de mener des actions visant à démolir physiquement, bâtiments et machines, des entreprises travaillant sur le site. Tandis que des groupes écologistes s’orientaient vers la politique, les auteurs des attaques ne voulant pas devenir des « spécialistes » sont retournés vers d’autres luttes. Dés lors, la « lutte démocratique » s’est limitée « à gérer la future catastrophe lorsqu’elle se produira ». « Tant que tu ne t’attaques pas à leurs intérêts matériels, ils te permettront toujours de faire des comités pour faire pression afin qu’aucun incident n’arrive. »

Un certain nombres de tracts, d’affiches et d’articles sont reproduits, témoignant d’une intensité d’actions directes qu’il serait bon de rappeler à ceux qui critiquent les quelques « débordements » des manifestations d’aujourd’hui.
Ainsi, la revue d’expression anarchiste « À bas l’État » de septembre 1981, explique que « le nucléaire nécessairement fait partie du plan de restructuration du capital à bout de souffle, limité par des structures séculaires. Par conséquent, la lutte antinucléaire doit prendre place dans le combat anticapitaliste, et donc antiétatique, que nous devons mener. » « Une société sans classe ni État reste notre objectif et nous nous méfions fortement des phases de transition toujours récupératrices. » « Ce n’est pas en respectant l’autorité que l’on peut espérer la faire plier, à plus forte raison y mettre fin. La légalité est l’essence même de la domination étatique, seule l’action directe peut en venir à bout. » Le pouvoir ne cédera que devant une riposte de « masse ». Aux « non-violents bêlants » qui « crient à la provocation
» , ils répondent qu’il serait temps « qu’ils se rendent compte que la violence est constamment employée par l’État et que nos ripostes ne sont qu’autodéfense. »
Un tract distribué à Toulouse le 30 octobre 1981 affirme : « Le nucléaire reprend bien évidemment à son compte les mythes véhiculés sur la technique, le progrès, la complexité… pour renforcer un système de domination sociale consacrant la séparation de l’homme et de son environnement, lui interdisant toute possibilité de contrôle, de décision sur sa propre vie. La centralisation de l’énergie, c’est aussi et surtout la centralisation du savoir et du pouvoir à laquelle l’idéologie scientifique vient servir de caution. »
Un autre prévient : « À Golfech, le pouvoir a décidé comme à son habitude de passer outre l’avis défavorable des populations concernées. Aussi, après une parodie de démocratie incarnée par un gel bidon ou un débat inexistant, le PS s’apprête à réaliser le programme électro-nucléaire giscardien. Changement dans la continuité. » « Le seul provocateur c’est l’État et ses valets, non ceux qui leur rentrent dedans ! » « Que ceux qui cherchent des prétextes, des justifications à leur passivité, cessent donc de calomnier et de cracher sur les initiatives « radicales ». Quand aux éternels roquets, qu’ils cessent donc d’aboyer, cela leur permettra peut-être de mordre efficacement. » « Non, Golfech ce n’est pas fini, ça ne fait que commencer. » (« Un peigne-zizi du stylographe, décembre 1981)
De larges extraits de la publication « Toulouse la canaille » de novembre 1983, sont repris, notamment une interview des auteurs du sabotage de l’entreprise Culetto à Moissac : « Psychologiquement, le sabotage crée un climat d’insécurité permanent chez les exploiteurs de tous poils. » « Ni avant-garde « révolutionnaire », ni dynamiteros, ni névrosés de la gâchette, ni clandestins, nous ne représentons que nous mêmes avec nos utopies et nos peurs. Anti-autoritaires, nous ne sommes porteurs d’aucun programme de substitution aux programmes en cours ou à venir. »
Un texte de ce même journal précise : « En réclamant moins de pollution, moins de nucléaire, moins de croissance économique, moins d’exploitation du Tiers-Monde, moins de pillage des richesses naturelles, moins de bureaucratie, plus de vélos, plus de démocratie, plus de morale politique, plus d’énergie douces… les écologistes se posent en syndicalistes du mieux-être et visent à une refonte du système capitaliste. L’écologie est un fourre-tout intégré par l’idéologie dominante à qui elle sert de bonne conscience humaniste. (…) Nous ne rejetons à priori aucun combat contre le système. Nous tenons simplement à ré-affirmer par le biais de la critique, que tout mouvement qui ne tend pas vers une globalisation politique de sa lutte parcellaire, renforce le système de domination. »

La chronologie qui suit rappelle que le projet initial, le plan Messmer, portait sur l’implantation de 200 réacteurs (180 de type PWR sous licence Westinghouse et 20 surgénérateurs de type Superphénix) sur une quarantaine de sites, que « l’atome pacifique » n’existe pas car tout en produisant de l’électricité, les centrales fournissent le plutonium, élément de base de la bombe atomique. De nombreuses attaques sont recensées ainsi que leurs revendications. Des accidents sont rapportés comme celui de Three Miles Island aux États-unis le 28 mars 1979.


Cet ouvrage rejoint parfaitement les intentions de notre blog, selon le principe de la collection dans laquelle il s'inscrit, « À couteaux tirés », qui propose « des réflexions et des interventions à travers lesquelles la pratique et l'expérimentation s'arment de toute leur détermination d'en finir au plus vite avec ce monde ».





LA CANAILLE À GOLFECH
Fragments d’une lutte antinucléaire (1977-1984)
82 pages – 6 euros
Mutines Séditions – Collection « À Couteaux tirés » – Paris – Mars 2013
http://mutineseditions.free.fr/index.html




Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire