Une société est une « organisation de survie collective », par l’ « appropriation de la nature ». La notre a réussi dans son inconscience à « mettre en péril cette sécurité matérielle dont la conquête était sa seule justification » et a décrété « l’état d’urgence écologique », à la fois « économie de guerre, qui mobilise la production au service d’intérêts communs définis par l’État » et « guerre de l’économie contre la menace de mouvements de protestation qui en viennent à la critiquer sans détour ». Cet « écologisme » prévient et censure tout développement de la critique des nuisances en une critique de l’économie qui les engendre ».
« Quand tous les hommes d’État deviennent écologistes, les écologistes se déclarent sans hésitation étatistes. » « Les écologistes sont sur le terrain de la lutte contre les nuisances ce qu’étaient sur celui des luttes ouvrières, les syndicalistes : des intermédiaires intéressés à conserver les contradictions dont ils assurent la régulation, des négociateurs voués au marchandage (la révision des normes et des taux de nocivité remplaçant les pourcentages des hausses de salaire), des défenseurs du quantitatif au moment où le calcul économique s’étend à de nouveaux domaines (l’air, l’eau, les embryons humains ou la sociabilité de synthèse) ; bref les nouveaux courtiers d’un assujettissement à l’économie dont le prix doit maintenant intégrer le coût d’une « environnement de qualité ». » S’en tenant à la critique technique et refoulant la critique sociale, ces « demi-opposants » cooptent les instances étatiques de contrôle et de régulation. Certaines « nuisances homologuées » seront prises en charge, « dans la mesure exacte où leur traitement constituera une activité économique rentable » et permettra « le développement prolifique d’une nouvelle bureaucratie », tandis que les autres continueront leur existence clandestine. « Malheureux ceux qui ont besoin d’honnêtes spécialistes et de dirigeants éclairés ! »
Ce n’est pas par « espèce de purisme extrémiste » mais par « réalisme » que les auteurs entendent clarifier leur propre critique des nuisances de celle des « écolocrates – ceux qui tirent du pouvoir de la crise écologique ». Eux l’étendent à la critique du travail salarié, de la « colonisation de toute communication par le spectacle », du développement technologique, de la production marchande et de « l’État comme nuisance absolue ». Il ne s’agit pas de « changer les expert au pouvoir mais d’abolir les conditions qui rendent nécessaires les experts et la spécialisation du pouvoir ». Il faut « préparer l’unification des luttes contre les nuisances en sachant exprimer les raisons universelles de toute protestation particulière » et converger « vers l’urgence historique de mettre un terme aux ravages de la démence économique ». « Les moyens doivent varier avec les occasions, étant entendu que tous les moyens sont bons qui combattent l’apathie devant la fatalité économique et répandent le goût d’intervenir sur le sort qui nous est fait. » Il est nécessaire de formuler une base d’accord précise, « à partir de laquelle contracter des alliances et boycotter tout ce qui doit l’être », délimitée par des critères pratiques et historiques plutôt que moraux. « Les individus dépossédés n’ont pas à choisir entre la tranquillité et les troubles d’un âpre combat, mais entre des troubles et des combats d’autant plus effrayants qu’ils sont menés par d’autres à leur seul profit, et ceux qu’ils peuvent répandre et mener eux-mêmes pour leur propre compte. »
Aussi lapidaire que percutant. À côté de brillants exposés documentés et chiffrés, ce texte permet de poser des questions essentielles.
ADRESSE À TOUS CEUX QUI NE VEULENT PAS GÉRER LES NUISANCES MAIS LES SUPPRIMER
Encyclopédie des nuisances
26 pages – 3 euros
Éditions Le Monde à l’envers – Grenoble – Septembre 2011
Publié initialement en juin 1990
http://www.lemondealenvers.lautre.net/catalogue.html
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