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1 juillet 2020

LA RÉVOLTE DES CIOMPI Un soulèvement prolétarien à Florence au XVIe siècle

En 1378, la révolte des plus pauvres des ouvriers de l’industrie de la laine à Florence, les Ciompi, menace l’édifice social du capitalisme naissant. Les croyant capables de tout, la bourgeoisie déploya une violence répressive pour les réduire à rien. Dans ses Histoires florentines, Machiavel relate ces évènements dans lesquels Simone Weil verra « l’ainée des insurrections prolétariennes ».


Si l’Europe connut de nombreux troubles sociaux et soulèvements populaires à la fin du XIVe siècle, ils furent plus violents en Flandres et en Italie, pays plus avancés économiquement. Si Florence a alors l’apparence d’ « une république d’artisans » dans laquelle le pouvoir est aux mains des corporations dont les chefs sont élus, le nombre de celle-ci est limité à vingt-et-un et ceux qui n’appartiennent pas aux arts majeurs sont privés de droits politiques. Le pouvoir réel appartenant aux banquiers , aux gros commerçants, aux fabricants de draps et aux fabricants de soieries, il s’agit plutôt de syndicats patronaux. « Loin d’être une démocratie, l’État florentin est directement aux mains du capital bancaire, commercial et industriel. » L’arte della lana a prit une influence prépondérante et constitue un petit État qui organise ses services publics, prélève des impôts, émet des emprunts, construit des locaux. C’est aussi un cartel qui impose des volumes de productions à ses membres, et une organisation de classe qui défend les intérêts des fabricants de drap contre les travailleurs. Les ouvriers salariés des ateliers, payés à la journée, sans tarifs ni contrats, formaient la catégorie la plus nombreuse et la plus méprisée des travailleurs de la laine. Les fileurs et les tisserands étaient des ouvriers salariés mais à domicile, ce qui les isolait et les privait du droit de s’organiser. Hautement qualifiés, ils étaient confrontés à une forte concurrence avec l’afflux de tisserands étrangers. Les teinturiers, comme les fouleurs et les tondeurs de draps,  étaient privilégiés car ne dépendaient jamais d’un seul industriel. Après cette présentation sociologique, Simone Weil expose le contexte historique qui aboutit au soulèvement de 1378. Elle souligne des traits qui se reproduiront ensuite dans les insurrections prolétariennes françaises et russes : absence d’effusion de sang, peine de mort décrétée par les insurgés contre les pillards. La revendication de création de trois nouveaux arts, dont celui des ouvriers qui aurait fonctionné comme un syndicat ouvrier, tardant à être acceptée, les ouvriers envahissent le Palais, nomme un cardeur Gonfalonier de Justice qui forme un gouvernement provisoire avec les chefs du mouvement. Le prolétariat constatant que le partage du pouvoir est une utopie, se retire à Santa Maria Novella et organise un gouvernement extra-légal qui « ressemble singulièrement à un soviet ». Cette dualité du pouvoir est le phénomène essentiel des grandes insurrections ouvrières.


La chronique des faits de Machiavel, qu’utilisera Simone Weil, est bien entendu beaucoup plus détaillée. Il rapporte les circonstances politiques et l’enchaînement des évènements qui conduisent au soulèvement. Nous retiendrons qu’alors que les « hommes de la plèbe » étaient effrayés par les incendies et les vols dont ils s’étaient rendus coupables et craignaient d’être punis de leurs forfaits lorsque l’ordre serait rétabli, l’un des plus audacieux et des plus expérimentés adressa à ses compères un discours qui mérite d’être cité ici : « Si nous devions décider à présent s’il faut prendre les armes, incendier et mettre à sac les maisons des citoyens, dépouiller les églises, peut-être serais-je partisan de la réflexion et peut-être penserais-je que mieux vaut préférer une pauvreté tranquille à un gain périlleux. Mais, puisque de nombreux méfaits ont déjà été commis et que les armes sont prises, il me semble que nous devons songer aux moyens de les conserver et de nous protéger de nos crimes passés. Si personne ne nous apprenait cela, je crois que la nécessité nous enseignerait. Cette cité, vous le voyez, déborde de haine et de ressentiment à notre égard. (…) Croyez-moi, on nous prépare des filets et de nouvelles forces menacent nos têtes. Nos délibérations doivent donc viser deux objectifs à la fois : l’impunité pour nos actes passés et une plus grande liberté et tranquillité pour l’avenir. Afin de nous faire pardonner nos fautes anciennes, il faut selon moi en commettre de nouvelles, redoubler les excès, multiplier les vols, les incendies et nous arranger pour avoir beaucoup de complices dans ces actes. En effet, un grand nombre de coupables assure l’impunité de chacun ; les fautes mineures sont châtiées et les grandes sont encensées. Lorsque la souffrance est communément partagées, rares sont ceux qui cherchent à se venger ; on supporte mieux les outrages universels que les outrages particuliers. La multiplication des méfaits nous ouvrira donc plus aisément la voie du pardon et de l’obtention de ce que nous voulons pour notre liberté. » Ces paroles enflammèrent ses compagnons et furent décisives dans la réussite de l’insurrection.


Dans sa postface, Emmanuel Barot rappelle que « la révolte des Ciompi est de longue date l’objet d’une querelle passionnée entre historiens se réclamant du marxisme et historiens bourgeois parce qu’elle est emblématique de la période d’enfantement d’une nouvelle économie-monde dont l’Italie sera l’un des centres de gravité. Ce qui se joue ici, c’est l’interprétation du degré de développement des rapports de production capitalistes et leurs traductions sociales et politiques, au sein d’un univers féodal bien loin d’être encore entré en décadence ».


Réunir ainsi des textes complémentaires et apporter des clés d’analyse et de compréhension, permet assurément de nourrir les réflexions. Nous ne pouvons que saluer la pertinence de cette démarche éditoriale car, comme le rappelle justement Emmanuel Barot : « La mémoire des luttes n’a que leur avenir pour enjeu. »





LA RÉVOLTE DES CIOMPI
Un soulèvement prolétarien à Florence au XVIe siècle
HISTOIRES FLORENTINES - Livre III, chapitres I à XXI
Nicolas Machiavel
Traduction de Guiraudet, revue par Laura Brignon
UN SOULÈVEMENT PROLÉTARIEN À FLORENCE AU XVIe SIÈCLE
Simone Weil
Paru dans La Critique sociale n°11, mars 1934
Postface d’Emmanuel Barot
96 pages – 11 euros
Éditions CMDE et collectif Solmy – Toulouse– Février 2013
editionscmde.org



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