Assigné à résidence depuis 2008, Kamel Daoudi chronique sa lutte quotidienne face au labyrinthe administratif qui l’enferme sans le dire.
Soupçonné d’être mêlé à un projet d’attentat contre l’ambassade des États-Unis à Paris, ce qu’il a toujours nié, il lui ai reproché de s’être rendu au Pakistan et en Afghanistan pendant quatre mois avec un passeport contrefait. Déchu de la nationalité française, acquise par naturalisation, interdit de territoire, il est assigné à résidence, faute de trouver un pays d’accueil. Et en janvier 2009, la CEDH interdit à la France de l’expulser.
« Être assigné à résidence, c'est avoir les principaux inconvénients du prisonnier sans avoir les caractéristiques distinctives de l'homme libre. C'est être captif d'une administration, mis sous tutelle par un État bien qu’étant adulte et sain d’esprit ; constamment entre deux eaux et sans aucun statut réel. » La contrainte de pointer à la gendarmerie – jusqu’à quatre fois par jour –, obligeant à dresser sans cesse un catalogue des possibles jusqu’à « tisser son propre filet enserrant sa personne de jour en jour, étouffant presque toute espérance ». « L'assignation à résidence est une sorte de prison mentale où le prisonnier est son propre gardien. » Avec ses arrêtés, le ministère de l'Intérieur module les paramètres qui fixe le cadre dans lequel il a le droit d’évoluer : le territoire autorisé correspondant à la superficie de la commune désignée (Aubusson, Saint-Jean-d’Angely, Aurillac, Longereau-Percey, Lacaune, Fayl-Billot, Carmaux : de 7 à 42 km2), la distance le séparant de sa famille (de 150 à 460 km), l’éloignement du commissariat ou de la gendarmerie (de un à cinq kilomètres), le nombre de repas pris en charge (de la pension complète à aucune prise en charge, pas même l’hébergement… avec interdiction d’habiter avec sa famille). Chaque entorse (retard sur l’heure du couvre-feu, voyage à la ville voisine pour accompagner sa compagne à une échographie) lui vaut, chaque fois, plusieurs mois de prison ferme.
Son récit montre comment « la loi ne préserve pas de l’injustice. La loi crée l’injustice et se satisfait du déni ». En étant assimilé à un terroriste pour un voyage de quatre mois en Afghanistan et au Pakisthan, il dénonce « une pensée binaire qui refusait le monde complexe qui lacérait [s]on coeur d’éternel exilé blessé ». « Nous ne serons jamais des victimes, ni ma femme, ni mes enfants, ni moi-même, offertes en sacrifice à la divinité de la bien-pensance et de la propagande d'État qui forge des images de monstres pour mieux asservir les peuples avec les chaînes de la peur et les carcans des bonimenteuses demi-vérités bien plus aliénantes que les criardes menteries. En ces temps de crises protéiformes, la figure méphistofélique du terroriste est le puissant avatar qui permet de repousser les masses dans les nasses caudines de la terreur d’État, pour mieux les asservir. »
Kamel Daoudi évoque également, avec colère, ses séjours en prison : « Fresnes, et particulièrement le QI, sont des lieux de non-droit et de lynchage fasciste organisés par des pervers polymorphes, xénophobes et racistes sans aucun scrupule et qui n'hésitent pas à couronner leurs forfaits par des plaintes où ils demandent des “primes à la ratonnade“. » « Étant donné la médiatisation de mon affaire ils ne m'ont pas “suicidé“, mais ils l'auraient fait sans scrupule si cela ne tenait qu'à eux. » Son témoignage sur le CRA de Vincennes, qui sert de « terrain de travaux pratiques à l’école de police de la ville de Paris, située à côté, révèle une semblable déshumanisation.
Révoltant !
Ernest London
Le bibliothécaire-armurier
« JE SUIS LIBRE… DANS LE PÉRIMÈTRE QU’ON M’ASSIGNE »
Kamel Daoudi
98 pages – 10 euros
Éditions du Bout de la ville – Collection « Adresses » – Le Mas-d’Azil – Mai 2022
leseditionsduboutdelaville.com/index.php?id_product=20&controller=product
Merci pour votre article et vos citations sur Babelio. Amitiés.
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