Avec ces deux essais, Alèssi Dell’Umbria rend compte de la résistance des peuples indigènes du Mexique ces dernières années. À Oaxaca, alors que la Gualaguetza traditionnelle a été confisquée par le pouvoir, dépolitisée en devenant un spectacle folklorique destiné aux touristes, l’organisation parallèle d’une autre Gualaguetza tente de la ramener à ses sources populaires et démocratiques. Par ailleurs, la communauté d’Ostula s’organise publiquement pour faire entendre ses droits sur ses terres communales menacées. Deux exemples de mobilisation éclipsés par les luttes du Chiapas, plus souvent documentées.
Les sociétés indigènes aoxaqueños sont organisées autour de trois concepts :
- le tequio, qui désigne le service bénévole fourni à la communauté,
- la gozona, échange réciproque entre membres d’une communauté,
- et la gualaguetza, qui englobe l’ensemble des échanges réciproques.
En 1932, sans doute pour contrer la longue tradition de révolte de insubordination, la difficulté à les gouverner, le gouverneur de l’État d’Oaxaca a décidé de créer un évènement pour rendre hommage aux cultures et tradition indigènes. Ainsi fut institué en espace de représentation pour intégrer leur culture, c'est-à-dire « en neutralise[r] l'altérité en les transportant hors-sol » : un festival qui a pris le nom de Gualaguetza. La cérémonie rituelle était déplacée de son espace communautaire vers la capitale, et financée par l'argent public. Le caractère réciproque des offrandes dans la gualaguetza indigène, disparait dans la représentation. En 1974, un site dédié fut construit dont l’entrée devient payante.
En 2006, l’année de l’insurrection (voir : LA COMMUNE D’OAXACA), profitant de l’annulation de la Gualaguetza, l’Asamblea Popular de Los Pueblos de Oaxaca (APPO) organise une gualaguetza populaire et non commerciale. L’année suivante, une marche de dix mille personnes tente de perturber le show, et sera violemment réprimée : deux sympathisants de l’APPO resteront plusieurs semaines dans le coma. La Gualaguetza insurrectionnelle est pérennisée. Après ces précisions chronologiques, Alèssi Dell’Umbria propose une analyse de chacune des représentations et surtout des enjeux de pouvoir qui se jouent autour d’elles. Ainsi, dans les années 1980, des anthropologues ont été chargés par le gouvernement de l’État d’Oaxaca, de fixer la tradition de la Gualaguetza alors que les groupes folkloriques avaient tendance à en surajouter en grandiloquence. Cette dictature des experts, qui déterminent ce qu’est la tradition, caractérise la domination : « Figer la tradition pour lui couper tout devenir. En la désarticulant du présent, on l'isole comme exotisme. On célèbre les mondes indigènes, comme en dehors du temps historique réel où seul le monde de l'argent occupe l’espace. »
À l'occasion de l'occupation de terres par la communauté indigène Nahua de Santa Maria Ostula, Alèssi Dell’Umbria revient sur l'histoire des terres communales au Mexique, gérées par les communautés indigènes et non par les municipalités, réparties par des assemblées. « Les terres communales sont l'enjeu de conflits récurrents dans le centre et le sud du Mexique. L'expropriation des communs, qui a constitué dans les nations occidentales le préalable au développement capitaliste, n'a pu s’achever au Mexique. Héritage du système colonial, qui a régi l'occupation des terres d'une autre façon que le système féodal européen, les communs lui ont survécu. Dans l'État-nation issu de l'indépendance se sont retrouvés à coexister deux modes de relations à la terre radicalement opposés. Le premier ne reconnaît qu'un droit d'usage sur une partie d'une possession commune, le second ne connaît que la propriété privée. »
En 1917, la constitution reconnaît les communs, accordés par la couronne d’Espagne sans forcément de trace écrite, et institue l’ejudo. La réforme de l'article 27 en 1992 autorise chaque ejidatario à vendre sa part, ce que peu ont fait.
En juin 2009 , faute de documents officiels, la communauté d’Ostula risquant d’être dépossédée de ses terres par la justice au profit des rancheros, décida de les occuper : « La terre qui est notre mère, ne se vend pas, elle se défend au prix de la vie. » Par une déclaration publique, elle annonce – fait sans précédent de la part d’une communauté – qu'elle va s'armer pour pouvoir procéder à une action publique. « À l'encontre de tous les idéologues de la modernité liquide, ces indigènes du Mexique pose bien la question du territoire, de sa reconnaissance et de sa défense comme condition de l'existence de la commune. Un territoire est une terre habitée, un lieu où prend forme une communauté. »
La « manifeste d’Ostula » est ensuite intégralement retranscrit, dénonçant l’incapacité des voies légales et juridiques à défendre leurs droits, et la nécessité « de continuer à exercer [leur] droit historique à l'autonomie et à la libre détermination », afin de « freiner la guerre d'extermination néolibérale ».
Deux textes pertinents pour appréhender les luttes des peuples indigènes du Mexique aujourd’hui.
Ernest London
Le bibliothécaire-armurier
ÉCHO DU MEXIQUE INDIEN ET REBELLE
La Gualaguetza d’Oaxaca, suivi de Santa Maria Ostula
Alèssi Dell’Umbria
98 pages – 7euros
Éditions Rue des cascades – Collection « Les livres de la jungle » – Paris – Février 2010
lalimouzine.fr/fr/essais/1998-echos-du-mexique-indien-et-rebelle-alessi-dell-umbria.html
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