Alors qu'un attentat contre le dictateur Oliver Cromwell vient d'échouer paraît un pamphlet qui appelle ouvertement à son assassinat, arguant de la légitimité de faire justice « par tout moyen possible ».
Imprimé clandestinement et distribué sous le manteau à Londres en 1657, Killing No Murder, paru initialement sous la signature de William Allen, est généralement attribué au colonel Edward Sexby, bien que l’identité de l’auteur effectif ne soit pas avérée, comme l’explique l’éditeur dans une préface érudite, nécessaire pour rappeler, par ailleurs, le contexte historique de sa parution.
Alors qu’ils avaient, comme lui, participé à la révolte contre Charles 1er, Oliver Cromwell intrigua pour écarter les Niveleurs. L’un d’eux, passé au camp royaliste par haine de cet usurpateur, rédigea donc ce libelle vengeur d’une plume trempée dans l’acide et le fiel. Il enjoint le tyran à réparer ses torts, se repartir et d’avoir « la hardiesse d’être ce qu’[il a] été » : « Je vous supplie de songer à votre serment et à vos actes, et de ne pas donner lieu à la postérité et à vos descendants eux-mêmes de déplorer votre abject abaissement ou de maudire votre courage malheureux et vos victoires, qui nous ont servi, par l'usage que vous en faites, qu’à nuire au bonheur public. » Puis, pour convaincre ceux qui « juge[nt] les choses et les nomme[nt] par ce qu’elles ont d’apparent, sans jamais se soucier d’en pénétrer la cause et la nature », il va développer sa démonstration. Car, « sans aucun doute, quand la populace entend dire que le protecteur devait être tué, elle en conclut, sans plus y songer, qu'un homme allait être assassiné et non pas qu’un malfaiteur allait être puni. C'est qu’en sa naïveté elle croit volontiers que les formes des choses sont les choses elles-mêmes, que ce sont le juge et l’huissier qui attestent la justice et que c'est la prison qui prouve la culpabilité du criminel. » En vérité, « dévaliser, extorquer et assassiner : voilà ce qu'un tyran appelle gouverner. »
Citant les philosophes de l’Antiquité, l’Ancien Testament et Machiavel, après avoir démontrer la tyrannie manifeste de « Monseigneur le Protecteur », il interroge la légitimité à l’occire et déploie une argumentation morale pour balayer les hésitations et encourager les bonnes volontés. « L’espérance de la justice est une illusion quand le malfaiteur a le pouvoir de condamner le juge. » Faute d’une justice impartiale, celui qui croit y échapper la trouvera dans la rue, car « celui qui s'arme contre tous les hommes arme chaque homme contre lui. »
Si Thomas de Quincey, 170 ans plus tard, déploiera toutes sortes de considérations esthétiques, seules les arguments moraux prévalent ici. Acérée comme la pointe qu’elle invite à saisir, cette critique de la domination justifie l’autodéfense contre les ennemis du bien public.
Ernest London
Le bibliothécaire-armurier
TUER N‘EST PAS ASSASSINER
Edward Sexby
Présenté, annoté et traduit de l’anglais par Philippe Mortimer
96 pages – 10 euros
Éditions L’Insomniaque – Collection « Petites insomnies » – Montreuil - Mars 2023
www.insomniaqueediteur.com/publications/tuer-nest-pas-assassiner
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