L’ampleur de la participation à la manifestation du 25 mars 2023 à Sainte-Soline contre les mégabassines confirme « la montée en puissance d’une résistance politique à la destruction du vivant ». Six chercheur·ses en sciences sociales ont interrogé des participant·es pour comprendre leur parcours, ce qu’iels ont éprouvé pendant cette journée et la manière dont iels envisagent désormais leur place dans la société, produisant un contre-récit au discours politique et médiatique dominant qui les a présenté·es comme de violent·es « écoterroristes ». Complétés par des points de vue de militant·es et de chercheur·ses, cet ouvrage témoigne des « violences d’un État mis au service de l’agro-industrie capitaliste ».
En introduction, ils expliquent le changement d’échelle dans les mobilisations, depuis les fauchages de champs d’OGM, par exemple, par la convergence des luttes entre la Confédération paysanne, le collectif Bassines Non Merci et les Soulèvements de la Terre, ainsi que la constatation de l’inefficacité des Marches pour le climat et la lenteur des recours juridiques, les incitant à élaborer « des modes de mobilisation plus subversifs et directs » : « manif’actions » débouchant sur des « désarmements » (« néologisme visant à renverser le regard sur les dégâts causés et sur l’attribution (et le stigmate) de leur responsabilité »). Enseignant·es à Poitiers, à quelques dizaines de kilomètres de Sainte-Soline, oeuvrant à la production de la vérité sur le monde social, ils ne pouvaient rester indifférent·es au traitement médiatique qui, se focalisant sur des scènes de violence, a contribué à invisibiliser l’hétérogénéité des manifestant·es, les raisons profondes de leur mobilisation et les autres actions militantes du week-end. « Ces violences d'État confondent la pratique d'un maintien de l'ordre avec l'écrasement des contestations populaires, légitimes et garantes de l'expression démocratique. »
Françoise Vergès emploie, dans son intervention, des termes moins policés : « pour protéger les classes dominantes, l'État bourgeois mutile, emprisonne, des femmes, et tue sans hésitation. Sa police, son armée, son tribunal ne reculent que devant les luttes. Il faut donc apprendre à frapper en retour. Apprendre à arracher ses masques, à mettre à jour les stratégies qui maquillent sa violence en protection, sa domination en harmonie sociale. Lui opposer des utopies émancipatrices. La paix que le capitalisme offre est une “paix armée“ soit la soumission à l'état de guerre permanente qu’il mène contre les ouvrier·es, les pauvres, les réfugié·es, les migrant·es, les femmes racisées, les queers, les trans, les Noir·es, les Arabes, les Musulman·es, les peuples autochtones, les roms. »
Annaëlle, qui a du abandonner son activité de maraichage par manque d’eau, participait pendant son adolescence à des rallyes mondains et à des manifestations contre le mariage pour tous. Elle témoigne de l’accaparement de l’eau par quelques uns, tandis qu’avec ses collègues, installés dans le périmètre d'une bassine, ils n'ont jamais été autorisés à en bénéficier, jamais reçu de réponse ni d'invitation aux réunions du syndicat des eaux. Lors de la manifestation du 29 et 30 octobre 2022, elle se fait gazer et tabasser. Elle voit des CRS donner « des coups de pompe à un gamin de cinq ans ». Le 25 mars 2023, ce sont des blessés qui se font gazer. Faute de pouvoir être entendue elle accepte la radicalité.
Anne-Morwenn Pastier, chercheuse en sciences de la Terre, explique que « les problèmes de sécheresse dans le Marais poitevin ne sont donc pas dû au réchauffement climatique, mais il y a une surexploitation des nappes. » La bassine de Sainte Soline c'est environ 23 terrains de foot. Comme les autres, elle est rempli par pompage dans les nappes en hiver, pour contourner les restrictions estivales, pas par le ruissellement de l'eau de pluie. Or, « le meilleur stockage d'eau sur plusieurs mois est en profondeur, à l'abri de l'air, de la lumière et de la chaleur ». Les vraies solutions pour lutter contre les sécheresse présentes et futures consistent à renaturer les paysages, en plantant des haies qui ralentissent le ruissellement des pluies et facilitent l'infiltration. « Les causes du problème sont donc plus politiques qu’écologiques. »
Serge Rivet, militant écologieste, rappelle qu’en 1992, une importante loi sur l'eau a été adoptée en France, mettant en place un Schéma directeur d'aménagement et de gestion de l’eau (SDAGE), décliné en SAGE pour chaque bassin-versant. Ce n'est qu'en 2011 que le préfet de la Vienne met en place ce programme de planification pour le bassin du Clain, du fait de la forte opposition de certain·es élu·es locaux·les du département et de la profession agricole à ce mode concertée de gestion de l'eau. Membre de l'association UFCQue choisir de la Vienne chargé de l'eau et de l'agriculture il a siégé dans cette instance et eu accès aux études hydrogéologiques. Entre 2003 et 2015, la majorité politique de la région Poitou-Charentes n'était pas favorable au financement public des bassines et les demandes des fonctionnaires des ministères de l'Agriculture et de l'Environnement allaient dans le sens de la diminution des surfaces de maïs vers des productions alimentaires moins gourmandes en eau. Puis la région a été fusionnée dans la Nouvelle-Aquitaine en 2015. À partir des présidence de Nicolas Sarkozy puis de François Hollande, le stockage et la substitution se sont imposés, sans débat, même sur les territoires où les prélèvements annuels étaient excessifs. Les préfet·es ont conditionné la participation des associations de consommateur·trices, de pêcheur·ses et de défenseur·ses de l'environnement à leur acceptation de ces bassines, Dès lors, elles ont été financé à plus de 70 % par des fonds publics. Les associations ont alors déposer des recours juridiques pour faire respecter la loi sur l'eau, le code de l'environnement et le code rural. Une nouvelle génération de militant·es est apparue et la violence s'est installée dans les manifestations.
Bertrand Geay, sociologue et ancien de la mobilisation de Serre-de-la-Fare, analyse l’évolution du mouvement écologique, avec « une sorte d'hégémonie pratique des courants anticapitalistes et libertaires », « la coordination de formes d'action radicale et de formes d'action plus classique, qui va de pair avec une remarquable articulation de la question sociale et de l'écologie, par la mise en évidence des luttes de classe qui traversent les conflits autour des ressources naturelles. » « La répression de plus en plus systématique des mobilisations a légitimé le recours à l'autodéfense et favorisé le rapprochement entre les différents courants. »
Noémie, membre du collectif Bassines Non Merci, dont l’objectif est d’ « obtenir un moratoire pour avoir les garanties juridiques, politiques, législatives qui mettent un terme au passage en force », témoigne de l’intendance nécessaire pour accueillir 30 000 personnes le week-end des 25 et 26 mars 2023. Elle explique que, malgré l’extrême violence déployée pour affaiblir le mouvement, des victoires sont possibles, puisque la justice a déjà annulé plusieurs projets de bassines dans le Poitou.
Amélie, 26 ans, raconte son parcours. Elle vient d’une famille agricole, qu’elle a l’impression de trahir. Mathis, 18 ans, habitué des manifestations et ancien membre d’Extinction Rébellion, revient lui-aussi sur sa participation. Louise, 28 ans, professeur d’espagnol en lycée, interroge les attitudes virilistes en milieu militant. Yaël, son binôme ; Lou, 21 ans, médic ; Alix, 20 ans, « gravement blessée par la main de l’État » ; Simon, qui vient d’une famille d’extrême droite, avec des parents militaires ou gendarmes, et ne peut pas leur avouer qu’il balance des pavés sur les flics; Clément B., journaliste placé en garde à vue pendant 28 heures ; d’autres encore, contribuent à une grande diversité de points de vue.
Le porte-parole de la Confédération paysanne de la Vienne s’inquiète de l'entêtement de l’État à soutenir « un système aux abois », de la violence qu’il est prêt à mettre en oeuvre, jusqu’à l’obstruction des secours. Une membre de la Ligue des Droits de l’Homme présente le dispositif d’observation mis en place ce jour-là et détaille la violence exceptionnelle et « insensée » des événements. Acrimed (Action-Critique-Médias) décrit un « journalisme de préfecture » qui a annoncé que la manifestation serait violente, servant sans filtre et sans contradiction, la communication du ministère de l’Intérieur.
La contribution de Vincet Sizaire est particulièrement instructive. Il reproche aux participants d’insister sur leur volonté d’inscrire leur lutte dans le cadre de la désobéissance civile, ce qui, d’une certaine manière fait le jeu des autorités qui n’ont de cesse de rappeler que les manifestations étaient interdites et les travaux exécutés en vertu d’arrêtés préfectoraux, alors que nombre de ces derniers ont été annulés par la justice administrative, que le Conseil d’État a annulé la dissolution des Soulèvements de la Terre. Il les invitent au contraire à insister sur la fragilité de la position du gouvernement affirmant défendre la « légalité républicaine ». Il rappelle aussi que « celui ou celle qui refuse de se conformer à une loi qui méconnaît ses droits les plus élémentaires ne commet aucune inégalité, mais vient au contraire opposer à la légalité formelle des autorités une légalité supérieure. » « Le code pénal dispose ainsi que n'est pas “pénalement responsable la personne qui, face à un danger actuel ou imminent qui menace elle-même, autrui ou un bien, accomplit un acte nécessaire à la sauvegarde de la personne ou du bien, sauf s’il y a disproportion entre les moyens employés et la gravité de la menace“. »
Remarquable travail qui contribue à construire un contre-récit nécessaire.
Ernest London
Le bibliothécaire-armurier
AVOIR 20 ANS À SAINTE-SOLINE
Sous la direction du Collectif du Loriot : Étienne Douat, Joanne Le Bars, Mathias Lenzi, Benoît Leroux, Gwendal Roblin et Hélène Stevens
220 pages – 20 euros
Éditions La Dispute – Paris – Mars 2024
ladispute.fr/catalogue/avoir-20-ans-a-sainte-soline
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