Comprenant que l’avènement du Directoire, en octobre 1795,
conduira à la fin de l’expérience démocratique et achèvera la trahison de la Révolution, Gracchus Babeuf réaffirme là ses principes et donne le signal de la
révolte contre la tyrannie.
Il commence par régler longuement ses comptes suite
à la polémique suscitée par la parution du numéro précédent (le n°34) de son
journal « Le tribun du peuple ». Il dénonce notamment la proposition
de Fouché de souscrire 6 000 abonnements au nom du Directoire exécutif à
condition de soumettre ses numéros à la censure. D’autres ont jeté la suspicion
sur ses propos, tentant d’y trouver un soutien aux royalistes. Il utilise de
nombreux parallèles entre la jeune République et la République Romaine, se
référant aux propos de nombreux tribuns. Puis, avant d’exposer sa
« religion de la pure égalité », il situe sa pensée dans la
généalogie de ses prédécesseurs en s’appuyant sur leurs écrits.
« L’égalité de fait » est une notion déjà développée par le
législateur spartiate Lycurgue (IXème ou VIIIème siècle avant J.C.) comme un
système admirable où les charges et les avantages de la société sont également
répartis, la suffisance un partage imperdable et le superflu impossible à
atteindre.
Il critique la maxime de Jésus Christ « Aime
ton prochain comme toi même » car n’affirme qu’implicitement que la
première de toutes les lois est qu’aucun homme ne peut prétendre que nul ne
peut être moins heureux que lui.
Jean-Jacques Rousseau a basé son « Contrat
Social » sur le principe que « chacun ait assez et qu’aucun n’ait
trop ».
Denis Diderot affirme la nécessité primordiale de
« détruire les germes de la cupidité et de l’ambition ».
Robespierre déclare dans la Déclaration des Droits
de 1793, but de la société le bonheur commun.
Le conventionnel Armand de la Meuse, enfin, relève
que l’égalité de droit, illusion cruelle sans l’égalité de fait d’autant que la
société en ne marquant par suffisamment les limites du droit de propriété et
abandonnant le Peuple aux spéculations avides du riche insensible, loin d’être
un bienfait l’aura privé de ses droits naturels.
Enfin, Gracchus Babeuf conclue par une longue
incitation au Peuple à proclamer son Manifeste :
-
la démocratie est l’obligation de remplir,
par tout ceux qui ont trop, tout ce qu’il manque à ceux qui n’ont point assez,
-
restitution doit être faite de tout ce qui a
été légalement volé par des lois qui protègent des brigands pour dépouiller les
pauvres,
-
le sort de tout homme ne doit pas empirer du
passage de l’état naturel à l’état social,
-
le terroir n’est à personne mais à tous,
-
tout ce qu’un individu accapare au delà de ce
qui peut le nourrir est un vol social,
-
tout ce qu’un individu a au-dessous de la
suffisance de ses besoins est le résultat d’une spoliation de sa propriété
naturelle individuelle faite par des accapareurs de biens communs,
-
l’hérédité par famille est une horreur, faisant
de chaque ménage une petite République qui ne peut que conspirer contre la
grande,
-
la supériorité de talents et d’industrie
n’est qu’une chimère et un leurre spécieux, inventée par les conspirateurs
contre l’égalité,
-
la prétendue différence de valeur et de
mérite dans le produit du travail des hommes est une absurdité et une injustice par
conséquent aucun ne peut prétendre à une récompense excédant la suffisance de
ses besoins,
-
les productions de l’industrie et du génie
sont la propriété de tous et doivent donc être réparties entre tous.
Pour
y parvenir, il propose ensuite d’établir l’administration commune, de supprimer
la propriété particulière, d’attacher chaque homme à l’industrie qu’il connaît,
de l’obliger à en déposer le fruit en nature au magasin commun afin que
l’administration de distribution procède à une répartition dans la plus
scrupuleuse égalité. Il affirme qu’un tel gouvernement est possible puisqu’il
est celui déjà appliqué aux hommes des armées et qu’il est le seul dont il peut
résulter un bonheur universel et qu’il fera disparaître les bornes, les haies
et les serrures, les disputes les vols et les crimes, les prisons, les
tribunaux et les gibets, la jalousie, l’orgueil et tous les vices. Il appelle à
conspirer contre l’oppression.
Ce document historique dont la lecture est rendue
ardue par les nombreuses références contextuelles et les parallèles constants à
la République Romaine est d’une part un témoignage important, d’autre part un
programme politique qui pourra trouver beaucoup de résonances
actuelles. À prescrire.
LE MANIFESTE DES PLÉBÉIENS.
Gracchus Babeuf
138 pages – 4 euros
Éditions Mille et une nuits – Paris – novembre 2010
Première édition 9 frimaire an IV (30 novembre 1795)
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