Srdja Popovic est l’un des fondateurs du mouvement serbe
« Otpor ! » qui fit chuter Milosevic en 2000. Empruntant
(presque) autant à Tolkien qu’au stratège américain de la non-violence Gene
Sharp, il explique, comme il le fait dans ses cessions de formation aux opposants
du monde entier, comment lancer un mouvement de masse pour instaurer la
démocratie.
Quand il raconte comment, sans leader charismatique
ni longue expérience militante, ils ont pu venir à bout du dictateur serbe, ses
« élèves », toujours, répondent que ce ne sera pas possible chez eux.
Les instigateurs du renversement de Moubarak en Égypte n’en pensaient pas
moins, pourtant, après deux ans de préparation, ce que l’on a oublié, ils sont
eux aussi parvenus à leur fin.
Commencer petit.
En 2006, Itzik Alrov, agent d’assurances israélien,
a compris, lorsque le gouvernement a décidé de supprimer les subventions sur le
cottage, fromage blanc consommé par tous, et que les prix ont commencé à
flamber, qu’il pourrait plus facilement fédérer sur cette cause qu’autour d’un
discours plus général et politique. Avec une simple page Facebook appelant au
boycott, il réussit à faire plier l’industrie alimentaire. Puis des
contestataires étudiants lancèrent une seconde bataille pour lutter contre les
prix des loyers, suivis par des centaines de milliers de personnes qui
parvinrent à faire changer la loi.
De même Gandhi savait qu’il ne pourrait vaincre par
la force la puissante armée britannique. En 1930, il lança une marche pour
défier l’Empire qui venait d’instaurer une taxe sur le sel, allant de village
en village en extraire en toute illégalité à partir de l’eau de mer. Partis 67,
ils étaient plus de 12 000 quelques semaines plus tard, de toutes confessions,
de toutes origines sociales.
Enfin, Harvey Milk, défenseur des droits des
homosexuels ne parvint jamais à se faire élire car peinait à mobiliser au-delà
de sa communauté. Puis il découvrit ce qui pouvait mobiliser plus
largement : la propreté des rue de San Francisco. Il mit en scène une
conférence de presse dans laquelle il dérapait sur une crotte de chien, sujet
avec lequel tout le monde pouvait s’identifier et entra enfin à la mairie où il
put ensuite faire évoluer bien d’autres choses.
Srdja Popovic explique que la plupart des gens s’en
fiche et parmi la minorité déjà convaincue, seule une partie pourra être
mobilisée. Les combats moraux sont donc bien souvent condamnés à l’échec. En
écoutant les préoccupations des gens, il est par contre possible de mobiliser
en masse.
Une vision pour demain.
Les dissidents des Maldives étaient parvenus à
fédérer en organisant partout des fêtes du riz au lait avec distributions
gratuites. Pendant une formation avec le Canvas (Center for Applied Nonviolent
Action and Strategies) Srdja Popovic les envoya faire le tour de îles les plus
reculées, pour trouver une idée. L’un d’eux revint en racontant avoir remarqué
les nombreuses personnes âgées désabusées. Leur promettre une retraite et une
assurance maladie dans un pays où, avec le tourisme, il était facile de trouver
du travail mais où les profits étaient on ne peut plus mal répartis, allait pouvoir
convaincre beaucoup de monde.
Faire plier les piliers du pouvoir.
Tout régime s’appuie sur une poignée de soutiens.
Faire pression sur l’un d’eux fera
vaciller le système jusqu’à l’effondrement. Il suffit souvent de porter
atteinte aux intérêts économiques d’un secteur allié du pouvoir pour qu’il
réclame rapidement une politique moins répressive qui porte atteinte à ses
profits. Par exemple, le tourisme.
Le dérisionnisme.
Si la police est formée pour se confronter à des
groupes violents, elle n’est pas du tout préparée à réagir face à une situation
comique. La ridiculiser porte atteinte au pouvoir. Srdja Popovic raconte
comment en février 1982, les habitants d’une petite ville de Pologne ont
entrepris de promener leurs postes de télévision sur des brouettes pendant les
journaux de propagande officielle. Puis, en 1987, le syndicat Solidarność
appela à descendre dans la rue pour exprimer son amour du communisme, vêtus de
rouge de la tête au pied. La police agacée essaya d’arrêter une personne qui
brandissait un sandwich couvert de ketchup !
L’humour brise la peur, fait renaitre la confiance
et pousse le régime à des réactions maladroite.
Retourner l’oppression contre elle même.
En septembre 2007, des moines manifestèrent contre
la junte en Birmanie. En ordonnant d’ouvrir le feu, les généraux allèrent trop
loin et déclenchèrent, en réaction, la révolution de safran.
Une répression excessive revient comme un boomerang
sur le pouvoir.
Favoriser l’unité.
En Biélorussie, l’opposition ne parvenait pas à
remporter les élections contre Loukatchenko à cause de son atomisation digne de
celles des groupuscules de La Vie de Brian des Monty Python. Et quand les
rassemblements de plus de cinq personnes sont illégaux, comme dans l’Égypte de
Moubarak, la formation d’une société civile est d’autant plus difficile.
De même, la dispersion des causes brouille l’unité
du discours. Srdja Popovic pense que si le mouvement Occupy Wall Street s’était
plutôt baptisé « Nous sommes les 99% » et s’était retrouvé là où vivent
les gens, dans les banlieues et les petites villes, il aurait certainement
fédéré beaucoup plus largement. Ses instigateurs ont choisi de s’appeler du nom
de la tactique plutôt que de celui de l’identité.
Planifier.
Gene Sharp explique que « le combat stratégique
non-violent est une pure question de pouvoir politique : comment s’emparer
du pouvoir et comment en priver les autres. » Il ne faut pas se tromper de cible qui n’est jamais en soit la
chute du dictateur mais, au-delà, la restauration de la démocratie.
La planification à séquence inversée permet de mieux
définir un objectif autant que d’envisager le chemin pour y parvenir. Ainsi,
les dissidents birmans pouvaient compter sur 20 000 partisans (sur une
population de 48 millions) pour affronter la junte militaire. En réfléchissant
selon cette méthode, ils renoncèrent à la violence pour mobiliser beaucoup plus
largement et identifièrent les moines comme protection contre la répression,
avec les résultats que l’on sait.
Définir la stratégie globale c’est, selon Gene
Sharp, arrêter le choix de la technique et évaluer la manière d’atteindre les
objectifs.
La tactique est le plan d’action à mettre en place à
un moment précis.
De la violence.
Srdja Popovic est un fervent partisan de la
non-violence. Il s’appuie sur le rapport d’Erica Chenoweth et Maria J. Stephan,
Why Civil Resistance Works, qui ont
examiné tous les conflits entre 1900 et 2006 avant de conclure que les
campagnes non-violentes ont presque deux fois plus de chance de réussir.
Les gens adhéreront moins facilement à une cause qui
prône la violence. La lutte non-violente cherche à amener certains piliers du
pouvoir à soi au lieu de tenter des les abattre, augmentant d’autant le nombre
de sympathisants. Martin Luther King expliquait qu’ « il y a plus de
pouvoir dans des masses socialement organisées dans une marche qu’il n’y en a
dans les armes aux mains de quelques hommes désespérés ».
Déclarer la victoire.
Srdja Popovic insiste sur l’importance de bien
sentir le bon moment pour proclamer la victoire, ni trop tôt ni trop tard,
avant de passer au combat suivant.
Il conclut que chacun peut mener sa petite lutte, à
son niveau, dans son quartier, pour commencer, et encourage à croire qu’il n’y
a rien d’impossible. Ce manuel d’activisme non-violent s’adresse avec
enthousiasme et simplicité au plus grand nombre. Si l’on n’y trouvera pas de
grandes révélations, il n’est pas inintéressant d’entendre le point de vue d’un
acteur politique qui a mis au point une méthode de subversion, très inspirée de celle de Saul Alinsky (ÊTRE RADICAL et RADICAUX RÉVEILLEZ-VOUS !) et l’a confrontée
à de nombreuses situations dans le monde.
COMMENT FAIRE TOMBER UN DICTATEUR QUAND ON EST SEUL,
TOUT PETIT ET SANS ARMES.
Srdja Popovic (avec Matthew Miller)
Traduit de l’anglais par Françoise Bouillot
290 pages – 15 euros.
Éditions Payot & Rivages – Paris – septembre
2015
Post scriptum.
Suite à la publication de cet article quelques mises
en garde nous sont parvenues. Des documents wikileaks démontreraient une
connivence entre l’auteur de ce livre et la société de sécurité américaine Stratfor.
Le Canvas serait utilisé par les services secrets américains pour contrôler les
mouvements d’opposition dans le monde et les utiliser pour renverser des
régimes. Peut-être.
David Graeber le confirme très explicitement pages
27 et 28 de COMME SI NOUS ÉTIONS DÉJÀ LIBRES, tout comme EARTH FIRST ! - Manuel d’action directe, pages 12 et 13.
Quoiqu’il en soit, c’est le propos de cet ouvrage
qu’il nous a semblé pertinent de rapporter. Il s’agit ici de donner à réfléchir
et certainement pas de proposer des idoles.
Il y a ceux que nous ne convaincrons jamais, ceux
qui sont déjà convaincus et ceux qui ne savent pas encore mais pourraient être
convaincus. Une action violente risque de réduire le nombre de convaincus alors
qu’une action non-violente et qui plus est rigolote peut grossir rapidement les
rangs des opposants. Srdja Popovic ne dit grosso modo rien d’autre dans ce
livre et en discuter ne présente aucun risque de manipulation, nous
semble-t-il.
Pour aller plus loin et approfondir la réflexion, on peut également lire : COMMENT LA NON-VIOLENCE PROTÈGE L’ÉTAT
Pour aller plus loin et approfondir la réflexion, on peut également lire : COMMENT LA NON-VIOLENCE PROTÈGE L’ÉTAT
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