Pour quoi faire ?

26 janvier 2018

LIBERTÉ POUR TOUS AVEC OU SANS PAPIERS

L’évacuation à coup de hache de l’église Saint-Amboise au matin de 23 août 1996 par 1 500 policiers et gendarmes, semble marquer une résurgence des luttes autour de l’immigration. Le soir même, une manifestation spontanée de 15 000 personnes exprime sa colère entre Bastille et Nation. Contre l’avis des états majors, 5 000 d’entre elles décident de partir jusqu’au centre de rétention de Vincennes pour délivrer les sans-papiers retenus. Les affrontements contre les forces de l’ordre durèrent une bonne partie de la nuit.
À partir de 2006, de telles mobilisations spontanées vont réapparaitre, notamment après la publication d’une circulaire du ministère de l’Intérieur le 21 février, précisant toutes les possibilités d’arrestations de sans-papiers, jusque dans les blocs opératoires.
Le matériel de cette lutte contre la machine à expulser est rassemblé ici avant tout comme un arsenal dans lequel puiser pour les combats du présent. Face aux avancées de la domination, sont racontées dans ces pages, de la lutte contre les rafles aux révoltes contre les centres de rétentions, des actions qui réinventent ou redécouvrent sans cesse « des manières plus agiles ».
Avec une chronologie très précises, tant des mobilisations, des attaques que des évolutions législatives, avec la reproduction de nombreux tracts et affiches, avec des récits d’actions, c’est la philosophie et les intentions de ce mouvement contre la machine à expulser, qu’il nous est donné à entendre.

« La menace de l’arrestation et de l’expulsion constitue un moyen de pression énorme sur les sans-papiers qui acceptent des boulots pénibles et sous-payés dans des secteurs d’activité comme le bâtiment, la restauration, le nettoyage ou le maraîchage par exemple. » (Tract d’août 2007)

Le contrôle du ticket dans le réseau de transport public transformé en contrôle d’identité est dénoncé avec force, la Sncf et la Ratp accusées d’être « de vrais services publics »… comme au temps du Vel d’hiv et des rafles de 1961 pendant la guerre d’Algérie.
« Face aux rafles comme face au reste, il ne suffit plus de gueuler et d’exposer son corps nu aux matraques des flics. Il est temps d’user, chacun à sa manière, de toutes les armes de la critique. Parce qu’en face, ils n’ont d’autre limite que celle que nous leur opposons. » (Trac du 11 octobre 2007 distribué à Belleville)
Il ne s’agit pas de réclamer une « amélioration des conditions de rétention » mais la fermeture des centres car ceux-ci ne peuvent pas être humanisés.
Un peu partout, à Paris, Montreuil, Lille, Grenoble, Dijon, des devantures et des distributeurs de billets de La Poste, de la BNP, (accusées d’avoir livré leurs clients sans-papiers à la police), des vitrines de Bouygues (constructeurs des centres de rétention), d’agences Air France (chargé des expulsions), mais aussi à Moscou, Bruxelles, Vancouver, Montevidéo, Hambourg,…
« Ce qui dégoûte le coeur, que la main s’y attaque. »

Le 22 juin 2008, au lendemain de la mort d’un retenu tunisien de 41 ans, Salem Souli, les deux bâtiments du centre de rétention de Vincennes , le plus grand du pays, brûlent. « Après des mois de tension et d’affrontements, comme au Mesnil-Amelot et ailleurs, des sans-papiers y ont réalisé la seule réforme possible des prisons : leur réduction en cendres. » (Extrait d’une affiche de 2008 « Beau comme des centres de rétention qui flambent »)
Le coût total des investissements réalisés par l’État à Vincennes de 2005 à 2010 s’élève à 28,69 millions d’euros, soit un montant de 159 400 euros par retenus ! (Sources : Communication de la Cour des comptes à la Commission des finances du Sénat, juin 2009)
Le 19 janvier 2009, c’est au centre de Bordeaux qu’un incendie se déclare.


Les auteurs de ce livre prennent également la parole pour redéfinir des perspectives, analyser les flux migratoires et la politique de gestion des migrations. Ils refusent d’accepter les « carcans autoritaires » mais proposent de les dépasser dans une logique subversive, « la fin étant déjà dans les moyens ».
Ils accusent les migrations d’être une « conséquence de la terreur économique ordinaire qu’exerce le capital et de la terreur politique des régimes en place et de leur bourgeoisie locale, au plus grand bénéfice des pays riches », et les dispositifs répressifs de ne pas avoir pour objectif réel d’expulser mais de « terroriser l’ensemble de la main d’oeuvre immigrée (celle qui est régularisée et celle qui est sélectionnée pour des durées de séjour toujours plus courtes) afin de la maintenir dans des conditions d’exploitations proches de celles qu’elle a fuies (des délocalisations internes en quelques sortes) tout en faisant pression à la baisse sur l’ensemble des conditions d’exploitation. »
Ils proposent de sortir de l’énonciation de slogans de plus en plus vagues, de sortir d’un activisme plus ou moins humaniste qui suit les échéances du pouvoir, pour développer « une projectualité contre les centres de rétention » qui remette en question l’exploitation et la domination en général, considérant que « c’est la liberté de tous qui est en jeu avec les rafles ».

Le ton des tracts est bien souvent déterminé, direct et radical (c’est-à-dire qu’il s’attaque à la racine).
« C’est sans aucun scrupule et avec un joli clin d’oeil à un détail de l’histoire que Brice Horteflammes choisit la ville de Vichy pour inviter ses homologues de la propreté nationale à disserter ensemble pour une meilleur harmonie européenne de la déportation. » (Tract du 28 février 2009 - Nîmes). Une directive européenne y est adoptée pour harmoniser la durée légale de rétention – qui est de 32 jours en France – à 18 mois.
« Un nouveau concept vient de sortir : la migration circulaire. En pratique cela se concrétise notamment par la délivrance de titres de séjour strictement limités aux contrats de travail. Le bâtiment recrute (Martin Bouygues a l’air satisfait de la motivation des travailleurs immigrés), alors qu’ils viennent faire des boulot de merde payés des miettes dont personne ne veut plus, puis retour à l’envoyeur. » (Tract du 28 février 2009 - Nîmes)
Dans cette guerre sociale, leurs auteurs ne se revendiquent pas « du côté » des indésirables mais « en être » : « L’entr’aide et la lutte ne peuvent ainsi se construire entre nous qu’à partir de bases de réciprocité et d’offensive ».


Ils dénoncent le rôle des associations, notamment de la Cimade qu’ils accusent de vivre directement de la misère de ceux qu’ils aident, de donner un visage juridique aux expulsions, de tenter de perfectionner le dispositif et certainement pas de le gripper ou de le supprimer. À raison de 4,5 millions d’euros par an reçu de l’État, on est loin du bénévolat mais dans la « cogestion de l’horreur des camps avec la police ». « La domination actuelle ne repose pas que sur le seul pouvoir de la matraque, mais fonctionne aussi sur la collaboration de chacun à son propre écrasement et sur l’intégration des mécanismes de contrôle. » La Croix Rouge est également accusée d’isoler, séparer et diviser, de garantir une issue en se pliant aux règles du jeu.

Les syndicats ne sont pas épargnés. La CGT qui encadre la grève des sans-papiers de 2008, invente tout simplement une circulaire et n’obtient que 2000 régularisations sur 3500 dossiers déposés, tandis que 2000 cartes de séjour seront obtenues en dehors des circuits syndicaux. Lors de la grève de 2009, le 24 juin, son service d’ordre parisien, encadré par la police expulse de force les centaines de personnes qui occupent la Bourse du travail depuis 14 mois.

Est également rapportée la répression disproportionnée, poursuites lancées par la section anti-terroriste pour des tags, une banderole suspendue à un pont, des distributeurs de billets détériorés.


Si l’argumentation devient par moment bavarde (mais peut-être n’est-ce qu’un effet d’accumulation provoqué par les documents nombreux et forcément redondants), les intentions sont claires et déterminées : « Dans cette guerre sociale qui se déroule au travail comme dans la rue, de jour comme de nuit, continuons de briser nos chaînes, ici comme partout : contre une société dans laquelle on devrait se tuer au turbin ou crever au chômage, être dressé à l’école et enfermé en prison, étouffer dans des tours de béton et subir l’occupation policière sans broncher. (…) Pour un mode sans maître ni esclave.

Contre tous les pouvoirs
Que vive l’insurrection !
(Affiche de janvier 2011)


Ces témoignages sont réunis pour être étudiés et pillés. Servez-vous !




LIBERTÉ POUR TOUS AVEC OU SANS PAPIERS
Une lutte contre la machine à expulser (Paris 2006-2011)
324 pages – 8 euros
Mutines Séditions – Paris – Juillet 2017
http:/mutineseditions.free.fr

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