« Un choc frontal avec l’État terminal, l’État de l’information méga-entrepreneurial, l’empire du Spectacle et de la Simulation, ne produira absolument rien, si ce n’est quelques martyres futiles. » C’est pourquoi il propose « une insurrection sans engagement direct contre l’État, une opération de guérilla qui libère une zone (de terrain, de temps ou d’imagination) puis se dissout, avant que l’État ne l’écrase, pour se reformer ailleurs dans le temps ou l’espace ». La TAZ peut exister dans l’invisibilité « puisqu’indéfinissable dans les termes du spectacle ». Si l’État est omniprésent et tout-puissant, il est aussi « lézardé de fissures et de vides ». « Babylone prend ses abstractions pour des réalités : la TAZ peut précisément exister dans cette marge d’erreur. »
Si la dernière parcelle de terre n’appartenant à aucun État-nation fut absorbée en 1899, la carte n’est pas exacte. « Les immensités cachés dans les replis échappent à l’arpenteur. »
À la famille nucléaire, avec ses « misères oedipiennes », invention néolithique en réponse à la pénurie et à la hiérarchie imposée par la « révolution agraire », fermée par la génétique et la possession par l’homme de la femme et des enfants, Hakim Bey oppose le modèle paléolithique plus primaire et plus radicale : la bande, structure horizontale de coutumes, de famille élargie, d’alliance, d’affinités spirituelle. Il explore également les notions de fête, rappelant qu’au Moyen Âge près d’un tiers de l’année était férié, de « nomadisme psychique » et de « destruction créatrice ».
Le Web, cette structure d’échange d’information horizontale et ouverte, ce réseau non hiérarchique, et plus particulièrement le contre-net, son usage clandestin, illégal et rebelle, sont des supports logistiques des TAZ, leur permettant de communiquer, de se défendre en mordant si nécessaire.
La TAZ est une utopie dans le sens où elle croit en une « intensification du quotidien », un surplus, un excès, la vie passée à vivre plutôt qu’à survivre, une « pénétration du Merveilleux dans la vie » mais elle n’est pas « nulle part » au contraire du sens étymologique du terme.
Les écoliers américains apprennent que les premières colonies de Roanoke ont échoué et que les colons ont disparu laissant derrière eux un seul message « Partis pour Croatan ». Des récits évoquent des « indiens aux yeux gris » rencontrés non loin. Hakim Bey rejoint l’hypothèse qu’ils ont tout simplement déserté, qu’ils « s’indigénèrent », qu’ils ont « laissé tomber l’église, le travail de la ferme, l’instruction, les impôts – tous les fardeaux de la civilisation ». Il raconte également quelques utopies pirates, enclaves de liberté totale, « proto-TAZ du Nouveau Monde réussi » et les communautés tri-raciales du XVIIIè siècle. Il affirme que « des Hommes des Montagnes aux Scouts, le rêve de « devenir indien » s’inscrit en filigrane dans l’histoire, la culture et la conscience américaines » et rappelle l’enthousiasme de Nietzsche pour le mélange des races afin de lutter contre le chauvinisme ethnique et national. Dans sa généalogie de la TAZ, il inscrit également les brèves Communes de Paris, Lyon, Marseille et surtout l’esprit des anarchistes de cette époque qui pratiquèrent le « nomadisme révolutionnaire », l’Ukraine de Makhno et l’Espagne anarchiste qui furent organisées avec succès et durèrent malgré la guerre, la « folle République de Fiume » lorsque Gabriele D’Annunzio s’empara de cette ville yougoslave pour la donner à l’Italie qui la refusa. Pendant dix-huit mois, il l'administra dans un état de fête permanente.
Hakim Bey conclut son propos avec insistance et soucis de clarté. « La TAZ n’est pas le présage d’une quelconque Utopie Sociale toujours à venir, à laquelle nous devons sacrifier nos vies pour que les enfants de nos enfants puissent respirer un peu d’air libre. La TAZ doit être la scène de notre autonomie présente, mais elle ne peut exister qu’à la condition que nous nous reconnaissions déjà comme des êtres libres. » L’État doit « continuer à se déliter et à se pétrifier, il doit suivre son cours actuel où une rigidité hystérique vient de plus en plus masquer un vide, un abîme de pouvoir. »
Ce texte nous semble fondamental pour qui voudra "partir pour Croatan".
TAZ - ZONE AUTONOME TEMPORAIRE
Hakim Bey
Traduit de l’anglais par Christine Tréguier
90 pages – 11 euros
Éditions de L’Éclat – Collection « Premiers secours » – Paris – Mai 1997
http://www.lyber-eclat.net/
Paru sous le titre original « T.A.Z. The Temporary Autonomous Zone. Ontological Anarchy, Poetic Terrorism » Automedia – Broocklyn NY – 1991
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