Pour quoi faire ?

26 septembre 2018

SIVENS SANS RETENUE

Recueil de documents sur « l’automne brûlant du Testet » en 2014, autour du chantier de barrage dans la forêt de Sivens, dans le Tarn, qui marqua « le franchissement d’un nouveau seuil dans le conflit qui oppose l’État français à des fractions de la population qu’il administre, sur les questions d’aménagement des territoires ». Approche inhabituelle avec ce genre d’ouvrage, la diversité des tendances du mouvement de contestation, est représentée.

Un tract du Collectif pour la sauvegarde de la zone humide du Testet énumère et développe tous les arguments de contre-expertise :

  • L’estimation du coût du barrage est deux fois plus élevé que d’autres, reposant à 100% sur des fonds publics.
  • L’utilisation est uniquement destinées à des bénéficiaires privés. Une vingtaines de fermes utiliseraient 70% de l’eau pour l’irrigation intensive du maïs mais les contribuables paieraient 96% de cette consommation. 30% serviraient à diluer les pollutions issues de l’agriculture chimique, des stations d’épuration et d’une laiterie, au lieu d’imposer le respect des normes aux pollueurs. « Le volume prévu (1,5 Mm3) est donc au moins 3 fois plus élevé que les besoins actuels agricoles et de soutien d’étiage. C’est le CACG, payée au pourcentage des travaux, qui a fait les études de besoins, donc plus c’est gros et cher, plus elle gagne… »
  • Des alternatives plus efficaces et moins onéreuses permettraient d’atteindre les mêmes objectifs : petites réserves d’eau au niveau des fermes, choix de cultures plus adaptées. De plus la principale pollution n’existe plus depuis 2006 ! Mettre aux normes les 185 retenues collinaires du bassin suffirait à améliorer le soutien d’étiage.

Dans une interview pour la revue Jef Klak, des opposants rappellent que le projet a reçu des avis défavorables de la part du Conseil scientifique régional du patrimoine naturel (CSRPN) et du Conseil national de la protection de la nature (CNPN) en 2013. Ils racontent comment une ZAD permet de rassembler sur le terrain des personnes motivées par des intérêts écologique et opposées au système qui consiste à toujours imposer d’en haut un certain usage de la terre contre les usages de ceux qui y vivent ou le voudraient bien. « Les politiques d’aménagement du territoire ne sont que le versant géographique du management généralisé qui dépossède les travailleurs de toute maîtrise de leur activité. » La ZAD permet d’inventer de nouvelles formes de vie fondées sur l’entraide, le partage, la discussion collective et l’horizontalité.

Camille Erazo qui finit à l’hôpital, le 8 septembre, après avoir été piétinée lors d’une charge policière alors qu’elle s’était « enterrée » pour empêcher l’avancée des machines, raconte son indignation de n’avoir pu porter plainte.

Différents tracts sont reproduits, appelant à la résistance alors que la préfecture a autorisé le début du chantier sans attendre les jugements sur le fond ou à « briser l’hypothèse industrielle » y compris par le sabotage, témoignant des différentes approches qui cohabitent. Le collectif « Tant qu’il y aura des bouilles » l’explique très bien : « Quand l’État reste  dans l’imaginaire du soldat romain harnaché et casqué dans son camp fortifié, notre réponse n’est pas celle de la horde barbare, ils ne sont pas les seuls à s’organiser et notre imagination est insondable. » « La diversité de nos pratiques est notre plus grande force, la surprise est notre meilleure tactique, nous ne savons pas où nous allons, le champ des possibles est ouvert et c’est peut-être la plus jolie chose de cette histoire. Force doit rester à la foi. »

Le collectif « Faut pas pucer (mémé dans les ordis) » qui s’oppose au puçage des brebis et des chèvres par l’administration, rejoint la lutte, reconnaissant le même refus du dialogue de la part des élus. « Pour ce qui nous concerne nous ne croyons pas à la délégation de pouvoir. C’est à chacun de réfléchir et s’interroger sur les besoins d’une communauté, en vue d’une décision collective. Cette responsabilité ne se délègue pas. »

Dans un discours prononcé lors d’un rassemblement, Rémi Serres, agriculteur à la retraite, rappelle que « tous les sept ans, l’équivalent d’un département français est volé à l’agriculture », que nous produisons déjà trop de maïs et l’exportons, ruinant les paysans des pays pauvres incapable de lutter contre « notre agriculture mécanisée et subventionnée », qu’en 1960, la France agricole produisait assez de denrée pour nourrir ses habitants, sans prime ni subvention, mais que « la machine à profit était en marche ! »

Les sept numéros du bulletins « Sans aucune retenue » publiés du 25 au 31 octobre, sont particulièrement riches de réflexion. Victoria Xardel et Aurélien Berlan y explique que « les zones humides, on n’en a rien à foutre ». Ils renvoient dos à dos ceux « qui aménagent un territoire parce qu’il est insupportable qu’un lieu sauvage le demeure » et ceux « qui aménagent un territoire parce qu’il est insupportable qu’un lieu sauvage ne le soit pas assez », priant l’espèce humaine de devenir « spectatrice d’une nature distante, qu’elle soit instrumentalisme ou protégée ». « Il n’y a d’amoureux de la nature que l’urbain désespéré qui n’y vivrait pour rien au monde. »
À côté de l’opposition aux projets d’infrastructure, ils perçoivent un second front dans le combat contre la « domination du capitalisme sur nos vies », celui de « l’opposition à la colonisation de nos vies par les outils numériques ». « Le premier des « grands projets inutiles et imposés » des dernières décennies, c’est de nous avoir tous mis devant un écran, au travail, chez nous et même dehors, disons 15 heures sur 24. »
Le dialogue fictif en deux parties entre le fantôme d’une résistante qui va raconter son engagement dans le maquis soixante-dix en plus tôt et interroger un occupant d’aujourd’hui notamment sur les moyens employés, l’illusion du pacifisme, déploie sur plusieurs pages un débat qui ne manquera pas d’intéresser. Elle l’invite à la prudence quand il catégorise les différents opposants pour mieux se distinguer, utilisant des qualifications policières, se posant comme innocent mais en « montrant implicitement du doigt les autres comme criminels ». Elle lui explique que la question des moyens est un piège tendu par leurs « ennemis » pour les cantonner à un rôle inoffensif de négociation qui les oblige à déléguer le pouvoir à un représentant et pour les diviser entre « bons citoyens pacifistes » et « méchants occupants violents ». « Pour négocier, il faut d’abord se constituer en force, une force politique. Plus vous vous direz pacifistes, plus cela vous sera difficile. » « La violence s’exerce contre des personnes ou des être sensibles, pas contre des machines. Détruire des machines, ce n’est pas de la violence, c’est du sabotage pour mettre les forces de destruction hors d’état de nuire. »

La tribune d’Ari Alimi, avocat des parents de Rémi Fraisse est particulièrement forte. Il se sent obligé d’intervenir pour rappeler qui était le jeune homme, qualifié par le gouvernement et certains syndicats agricoles de « casseur, djihadistes vert, écoloterroriste ».

Un tract anonyme propose une stratégie : « Nous ne réclamons ici ni la condamnation du flic qui a tiré, ni la démission d’un préfet ou d’un ministre de l’Intérieur. Pour que la mort de Rémi résonne partout et provoque un véritable mouvement, nous proposons de nous organiser localement et nationalement contre les infrastructures du maintien de l’ordre. Ce sont ces infrastructures auquel nous sommes confrontés dans les quartiers populaires comme dans les luttes sociales. Ce sont ces infrastructures qui organisent l’occupation policière de nos territoires et de nos existences. Ce sont encore elles qui se déploient lorsqu’un mouvement de contestation ou d’opposition s’aventure en dehors des sentiers balisés de l’impuissance. »

Un autre avocat, Bernard Viguié, dénonce l’illégalité du barrage et la volonté de l’État, comme pour le chantier de Fourogue à propos duquel il était intervenu, de mettre tout le monde devant le fait accompli en le construisant en complète infraction, avec l’aide de la force publique.

Sont également reproduits, un courrier de Thierry Carcenac, président du Conseil départemental, aux habitants du Tarn, ainsi qu’un appel de Tarn Ruralité, envoyé à tous les élus pour qu’ils signent et retournent au préfet, une lettre pré-remplie demandant à ce qu’il n’écoute pas les contestations.
Un texte diffusé à l’université du Mirail occupée s’inspire de la ZAD est propose de ne plus formuler de revendications mais de s’organiser.


Sans prétendre à l’exhaustivité, cette compilation s’attache à donner la parole à toutes les composantes du mouvement, en évident les redondances et les manques de pertinence. Fort utile pour découvrir l’histoire de cette lutte, ses enjeux, et inspirer d’autres combats.




SIVENS SANS RETENUE
Collectif
168 pages – 12 euros
Éditions La Lenteur – Paris – Février 2015



Voir aussi : 

LE MONDE DES GRANDS PROJETS ET SES ENNEMIS

LE PETIT LIVRE NOIR DES GRANDS PROJETS INUTILES

 

Sur la Zad de Notre-Dame des Landes :

SAISONS - Nouvelles de la ZAD

ÉLOGES DES MAUVAISES HERBES - Ce que nous devons à la ZAD

NANTES RÉVOLTÉE – Numéro 2

 

Sur la Zad de Roybon :

DE TOUT BOIS #9 - Revue de lutte contre le Center Parcs de Roybon

 

 

 

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