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31 octobre 2018

HISTOIRE DES RÉVOLTES PANAFRICAINES

Cette histoire transnationale des luttes noires (Afrique, Amérique du Nord, Caraïbe) rompt avec le cliché de populations passives et redonne leur place dans l’histoire mondiale à ces mouvements d’une grande diversité.
 
La première et unique révolte noire à avoir réussi, celle des esclaves à Saint-Domingue en 1789, trouve ses racines dans la Révolution française. Cette année-là, le commerce extérieur de la France totalise dix-sept millions de livres, dont cinq millions proviennent de Saint-Domingue. Le système coloniale du XVIIIe siècle impose en effet que tous les biens de fabrication industrielle nécessaires aux colons soient acheté en France, que ceux-ci ne peuvent vendre qu’à la France, le tout ne pouvant être transportés que sur des bateaux français. C.L.R. James raconte comment par Toussaint Louverture, puis Dessalines, tirent profit des conflits entre la France, l’Espagne et la Grande Bretagne, du soutient actif de la France révolutionnaire. Il explique que si Toussaint est un despote, il veille à ce que les salaires soient versés, abolit la discrimination raciale et se soucie de l’éducation des jeunes. Il rapporte ce que peu d’ouvrage signale à propos du massacre des français sur l’ordre de Dessalines, à savoir qu’il s’agissait d’une exigence des Britanniques en échange de leur protection. Ces leaders embrassèrent la doctrine révolutionnaire et brandirent l’étendard de la liberté et de l’égalité au point de donner des leçons aux Espagnols : «  Le roi d’Espagne vous fournit abondamment en armes et en munition. Servez-vous-en pour briser vos chaînes. »

Aux États-Unis jusqu’à la guerre civile, tout comme aux Antilles avant 1789, de nombreuses révoltes, mal organisées, « inconscientes de leur potentiel révolutionnaire » ont été écrasées. L’auteur en prend trois en exemple et évoque des cas d’alliance de Blancs pauvres avec les Noirs.
En 1850, une nouvelle tactique apparait avec l’établissement de l’Underground Railway qui permet à des milliers de Noirs de gagner leur liberté en rejoignant les États-Unis du Nord. Avec la croissance de l’expansion industrielle du Nord, la domination sur la législation fédérale par le Sud est menacée. Le Nord refuse que les nouveaux États de l’Ouest soient esclavagistes non par principe moral mais pour instaurer un capitalisme libre dont le socle aura bel et bien été l’esclavage des Noirs. « Ce à quoi nous assistons ici, ce n’est pas l’un de ces changements soudains dans la conscience de l’humanité dont raffolent les historiens romantiques et réactionnaires, mais plutôt le climax d’une transformation progressive de l’économie mondiale. » À la domination de la grande propriété foncière succède celle, sociale et politique, de la bourgeoisie industrielle. « Dès que la capitalisme a commencé à se défaire des chaînes féodales, l’esclavage était condamné » parce que la consommation potentielle des esclaves en tant qu’hommes libres pouvait élargir le marché. La proclamation de l’émancipation, longtemps refusée par Lincoln, déclenche « une sorte de grève générale », un « sabotage immense » qui contribuent à mettre le Sud à genoux.  Faute d’avoir touché à la propriété privée dans le Sud au bénéfice des Noirs, étape qui doit achever toute révolution bourgeoise contre le féodalisme et qui aurait contribué à une grande extension du marché intérieur, tout en limitant l’importance de la question raciale aux États-Unis, le capitalisme de monopole a pu s’imposer contre les petits capitalistes.

Si pendant quatre siècles, les Africains d’Afrique ont subi les raids des marchands d’esclaves et la dislocation de la civilisation africaine, moins de 10% des territoires était colonisé par les Européens jusqu’au XIXe siècle. À partir de 1880, la proportion s’inverse brutalement, suscitant une série de révoltes. Deux formes de colonisation sont présentes : installation à demeure comme en Afrique du Sud, au Kenya et dans les deux Rhodésie, ou simple occupation administrative et marchande comme en Afrique de l’Ouest britannique. Si en Afrique équatoriale française et au Congo belge, certains Noirs occupent des postes importants, particularité qui aide à dissiper beaucoup d’illusions concernant l’infériorité des Noirs et l’incompatibilité des races, le bilan de ces pays est aussi sombre que celui des autres nations impérialistes. C.L.R. James raconte les révoltes sociales en Sierra Leone, en Gambie, la révolte des femmes au Nigeria, les révoltes religieuses menées par des Noirs instruits au Nyassaland en 1915 et celles au Congo belge en 1921 et 1931, français en 1924, 1928 et 1930, au Kenya, au Rwanda-Urundi, la révolte des Bondelswart, tribu hottentotes d’Afrique du Sud, en 1922, même s’il est souvent difficile de trouver des compte-rendus un tant soit peu détaillés pour certaines.

Après avoir analysé la nature de la discrimination des Noirs, l’auteur présente  le mouvement de Marcus Garvey, certainement le plus puissant avec sans doute deux millions de membres en 1920. Originaire de Jamaïque, cet imprimeur, excellent orateur, défendait le « retour en Afrique » (Back to Africa). Si C.L.R. James n’est pas tendre avec cette revendication unique, qu’il qualifie de « pitoyables âneries », il lui reconnait d’avoir donné aux Noirs américains « la conscience de leurs origines africaines » et suscité « un sentiment de solidarité internationale parmi les Africains et les gens d’origine africaine ».

La première édition de cet ouvrage date de 1938. Les chapitres qui suivent ont été ajoutés dans celle de 1969. L’auteur évoque deux des cinquante États qui ont gagné leur indépendance : le Ghana et le Kenya, puis parle de l’Afrique du Sud et de la crise sociale aux États-Unis après le boycott des bus de Montgomery, en Alabama. Il présente avec un peu plus de précisions, l’expérience tanzanienne menée par le docteur Nyerere, avec les nationalisations des principaux centres économiques du pays, les précautions pour doter le gouvernement de responsables intègres, les propositions révolutionnaires pour le système d’éducation, la rupture radicale avec les habitudes et la pensée occidentales, notamment dans le domaine de l’agriculture. Il attend beaucoup de la réussite de cette politique, qui inspire déjà la Zambie, pour « dégager une nouvelle voie pour l’Afrique », basée sur une planification qui ne négligerait pas l’entraide caractéristique de la société traditionnelle.


 

Si ces évocations succinctes sont partielles et partiales, elles n’en dessinent pas moins un panorama mondial des révoltes noires dont l’auteur s’attache à analyser les intentions. Cette histoire, sans doute trop courte et incomplète, invitera certainement à approfondir le sujet. Elle représente une importante tentative d’écriture d’une histoire révolutionnaire noire dans une perspective émancipatrice, une vaste entreprise de déconstruction du mythe du « noir docile ».





HISTOIRE DES RÉVOLTES PANAFRICAINES
C.L.R. James
Traduit de l’anglais Par Véronique Samson
Préface de Selim Nadi
Postface de Matthieu Renault
154 pages – 15 euros
Éditions Amsterdam – Paris – Février 2018

http://www.editionsamsterdam.fr/
Première parution en 1969 sous le titre A History of Pan-African Revolt

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