Pour quoi faire ?

4 novembre 2018

LE REFUS D’OBÉISSANCE - Écrits sur la révolution

L’oeuvre politique du Tolstoï anarchiste a longtemps été escamotée par les monuments littéraires du Tolstoï romancier. Dans ces articles parus au moment de la révolution russe de 1905, il appelle à l’insoumission contre toute forme de gouvernement, monarchie comme république, puisque nécessairement fondé sur la violence et l’oppression.

Tous les commentaires qu’il formule à propos des événements qui secouent la Russie et le monde illustrent sa doctrine articulée en deux points :

  • L’État, quel que soit sa constitution, appuie son pouvoir, accaparé par quelques hommes, sur la violence, en envoyant son peuple se faire tuer et en réprimant les révoltes. « En somme, tout gouvernement employant la violence est, dans son essence même, inutile et il est le plus grand des maux. C’est pourquoi notre oeuvre à nous, Russes, aussi bien que de tous les peuples asservis par les gouvernements, n’est pas dans la substitution d’un régime gouvernemental à un autre, mais dans la suppression de tout gouvernement. »
  • L’amélioration de la vie sociale ne s’obtiendra donc pas par la prise du pouvoir et le remplacement du régime par un autre mais par « le perfectionnement intérieur religion-moral de chaque individu ». « Les travailleurs doivent, de leur propre initiative, modifier toute leur manière d’être actuelle, cesser de lutter contre leur prochain en vue de leur bien personnel, mais adopter le précepte évangélique : Agis envers les autres comme tu voudrais qu’ils agissent envers toi. »
Pour supprimer l’autorité, il se réfère aux théoriciens anarchistes qui comptait sur la prise de conscience par les hommes que le bien commun (Godwin) et la justice (Proudhon) étaient violés par l’autorité puis sur l’encouragement à rechercher naturellement « les formes de la vie commune les plus sages, les plus équitables et les plus avantageuses pour tous ». Bakounine et Kropotkine considéraient la révolution comme possible tandis que Max Stirner et Tucker prétendaient que l’État disparaitrait de lui-même par la désobéissance et la non-participation au gouvernement. Il cite également Thoreau, « un écrivain américain peu connu », très longuement La Boétie qui écrivit quatre siècles plut tôt : « Soyez résolu de ne servir plus, et vous voilà libres. Je ne veux pas que vous le poussiez ou l’ébranliez, mais seulement ne le soutenez plus, et vous le verrez, comme un grand colosse à qui on dérobé sa base, de son poids même fondre en bas et se rompre. »
Il appuie son analyse du pouvoir sur des citations de Machiavel, « un homme qui sait parfaitement en quoi réside le pouvoir, comment on peut l’acquérir et comment assurer son maintien
» : « Un prince qui veut contenir ses sujets dans l’unité et dans la foi ne doit pas se préoccuper du reproche de cruauté. », « Un prince prudent ne doit point tenir sa parole quand cela lui fait tort, et quand les occasions qui lui ont fait promettre quelque chose n’existent plus. », « Il faut être habile à feindre et à dissimuler, car les hommes sont si simples et si accoutumés à obéir aux circonstances, que celui qui veut tromper trouvera toujours quelqu’un à tromper. »
Il évoque « l’histoire des nations chrétiennes d’Europe », « nomenclature ininterrompue de crimes les plus effroyables et les plus insensés commis par les gouvernements contre leurs propres peuples et les peuples étrangers. » « Leur oeuvre est de prendre, sous forme d’impôt et par la violence, la plus grande partie du bien au peuple travailleur, et d’employer ces ressources à leur guise, toujours dans un but de parti ou personnel, vénal ou ambitieux. Elle est encore dans le maintien par la force du droit exclusif sur la terre ; dans la formation de l’armée, c’est-à-dire des assassins professionnels, et son envoi pour mettre à mort ou pour dévaliser d’autres hommes. Enfin, leur oeuvre est de promulguer des lois justifiant et sanctionnant tous ces crimes. » « Un homme d’État vertueux est une contradiction aussi flagrante qu’une prostituée vertueuse, ou un sobre ivrogne, ou un pacifique brigand. » « Le gouvernement en général, pas seulement militaire, pourrait être inoffensif – je ne dis pas utile – s’il était composé d’hommes sains, infaillibles comme le conseille la sagesse chinoise. Mais par la nature même de son activité, toute de violence, le pouvoir est détenu par les plus immoraux, grossiers et impudents des hommes. »
Il pourfend la « superstition étatiste » avec une virulence sans pareille : « On dit et on répète : il est impossible de vivre sans gouvernement, c’est-à-dire sans violence. On doit dire au contraire : il est impossible que les hommes, êtres doués de raison, règlent leurs rapports sociaux en employant la violence plutôt que les moyens de conciliation. »
Aux hommes de la Révolution française, il reproche d’avoir voulu imposer leur idéal d’égalité, de liberté, de fraternité, par l’emploi de la force comme unique moyen d’action. De même il reproche aux révolutionnaires russes de vouloir remplacer le gouvernement existant par un autre et de ne pas se préoccuper de la principale nécessité du peuple russe : l’abolition de la propriété foncière, « iniquité que tout le monde rural sent avec tant d’acuité et dont il souffre si douloureusement ».
Il définit la religion comme « l’établissement du rapport de l’homme à l’égard de l’Univers et de son principe » et dénonce l’Église : « Le clergé défend de lire l’Évangile et se réserve le droit exclusif de le commenter, d’imaginer des sophismes complexes justifiant l’union contre nature entre l’État et le christianisme, d’instituer des cérémonies solennelles qui hypnotisent la foule. »
Il ne s’oppose pas à la « civilisation » mais demande un meilleur emploi de ses produits : « Le fer est utile à la fabrication des charrues, funeste lorsqu’il sert à faire des obus ou des verrous de prisons. » Elle doit cesser de d’assurer le seul bonheur d’une minorité tandis que la majorité est maintenue dans la misère et l’esclavage. Il défend mordicus « la vie primitive des champs », « l’organisation communiste » des « communautés agricoles ».


Si ce recueil d’articles présente quelques redondances, inconvénient inhérent à la forme, les différentes formulations et illustrations de la pensée de Tolstoï auront le mérite de parfaitement l’expliciter. Si sa dénonciation de la « superstition étatiste » est bien « révolutionnaire », on pourra s’étonner qu’il ne cite jamais Bakounine, ni n’évoque la remise en cause de la religion comme domination d’Elisée Reclus ou Kropotkine.





LE REFUS D’OBÉISSANCE
Écrits sur la révolution
Léon Tolstoï
Préface de Pierre Thiesset
226 pages – 20 euros.
Éditions L’Échappée – Collection « Un pas de côté » –  Paris – Novembre 2017

http://www.lechappee.org/


Voir aussi :

DISCOURS DE LA SERVITUDE VOLONTAIRE

LA DÉSOBÉISSANCE CIVILE.

DE L’ESCLAVAGE : PLAIDOYER POUR JOHN BROWN

L’IMPÉRATIF DE DÉSOBÉISSANCE

LA GRÈVE DES ÉLECTEURS


Et aussi (pour porter le débat un peu plus loin) : 

COMMENT LA NON-VIOLENCE PROTÈGE L’ÉTAT

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