Pour quoi faire ?

17 janvier 2019

ZAPATA EST VIVANT !


Ils ont tué Zapata. Mais Zapata n’est pas mort. Ils l’ont tué quand il était forêt, rivière, jaguar, maïs, indien, femme, enfant. Mais Zapata n’est pas mort. Zapata est vivant.
Plus qu’une monographie du révolutionnaire mexicain, c’est une évocation, par une succession de métempsycoses symboliques, en quelque sorte, de la puissance mythique de son combat intègre et de la pérennité de celui-ci dans les luttes, au-delà de la disparition du personnage. Des linogravures en noir et blanc, inspirées de l’iconographique populaire mexicaine, représentent la violence des attaques subies et alternent avec d’autres, plus réalistes et en couleurs, qui viennent en contrepoint réaffirmer l’espoir.
Un bref mais complet dossier documentaire apporte des clés de compréhension, présentant succinctement Zapata et surtout les zapatistes qui expérimentent une utopie concrète depuis vingt-cinq ans au Chiapas.

Un album étonnant, splendide et percutant.
 







                          TROIS QUESTIONS À YANN FASTIER.


Ernest London : Yann Fastier, vous êtes, depuis une vingtaine d’année, auteur-illustrateur d’albums et, plus récemment, de romans, destinés à la jeunesse, pour la plupart fort atypiques et qui, pour le moins, ne laissent pas indifférent. Vous avez déjà publié un album sur le résistant Georges Guingouin, une nouvelle, « Les Ailes de la liberté », avec pour toile de fond la guerre de d’Espagne, parue dans le magazine « Je bouquine ». Votre dernier titre semble s’inscrire dans ces mêmes préoccupations politiques et interpelle tout autant. Alors tout d’abord, pourquoi Zapata ?

Yann Fastier : En réalité, Zapata a précédé Guingouin, même si la réalisation en a été différée. Tout est venu d’une discussion avec Olivier Belhomme, mon éditeur à L’atelier du Poisson soluble, qui souhaitait mettre en avant des personnalités rebelles dans l’Histoire, par opposition à tous les « passages obligés » du livre jeunesse en matière de grands modèles. Pas seulement Louis XIV, Henri IV ou Jeanne d’Arc, mais tout aussi bien Louise Michel, Martin Luther King, Nelson Mandela ou Gandhi qui se sont affadis à force d’être mis à toutes les sauces et ont malheureusement un peu perdu de leur force subversive. C’était aussi un peu une réaction à la publication du Denver de David McKee, l’auteur d’Elmer, le petit éléphant à carreaux. C’était un album hallucinant, d’une franchise idéologique assez rare dans la littérature jeunesse, une sorte de brûlot capitaliste absolument décomplexé qui, en France en tout cas, est sorti dans un silence assourdissant. Il avait pourtant le mérite d’être clair ! Et puisque McKee pouvait se le permettre, eh bien… nous aussi ! Après, pourquoi Zapata ? D’abord à cause de la richesse graphique liée à la période, les gravures de Posada, notamment, les calaveras et aussi les murales de Diego Rivera et autres… J’avais envie de travailler en linogravure, comme je l’avais déjà fait avec Guingouin et le sujet s’y prêtait bien. Mais c’était surtout pour la charge symbolique dont le personnage d’Emiliano Zapata est porteur. Il ne s’agissait évidemment pas de faire l’histoire de la Révolution mexicaine, beaucoup trop complexe et dont les enjeux nous échappent largement. C’est l’au-delà du personnage historique qui m’intéressait, sa résonnance, jusqu’à aujourd’hui et jusqu’aux Zapatistes du Chiapas. Zapata est un personnage dont la stature est devenue mythique, jusqu’à incarner, bien au-delà de lui-même, cet increvable esprit de justice et de résistance que je voulais évoquer à travers lui.






Ernest London : Quelle accueil peut avoir cette figure et la lutte des zapatiste d’aujourd’hui de la part d’un jeune public ?

Yann Fastier : Alors là, par contre, je n’en sais fichtre rien ! Mais ce n’est pas une raison pour ne pas en parler. Je pense vraiment que les enfants ne doivent pas être exclus du champ politique. D’abord parce que c’est illusoire : tout est évidemment politique, le simple fait de manger une barre chocolatée est politique. Il ne s’agit pas, bien entendu, de les enrôler au service d’une cause ou d’un parti quelconque, mais de donner du grain à moudre à leur faculté de juger. Le sens de la justice est particulièrement développé chez les enfants (« c’est pas juste ! »). L’album donne à voir d’évidentes situations d’injustice et la façon dont, malgré tout, l’espoir renaît sans cesse. On aura beau faire, on n’étouffera jamais définitivement le désir de justice, même si le combat semble désespéré, un rameau renaît toujours de la forêt brûlée, etc. Tant qu’il restera une étincelle de vie, l’esprit de liberté pourra renaître. Bien sûr, j’aurais pu m’en tenir à une sorte de parabole un peu abstraite mais, comme toujours, je préfère ancrer mon propos dans la réalité. Du coup, il a fallu recontextualiser un peu tout ça, et c’est le rôle de la double-page finale mais, globalement, je voulais un dispositif ultra- simple, à la portée de tous, avec un texte minimal, une sorte de chant en repons… Mais je ne sais pas réellement comment l’album est reçu par les enfants. Je n’ai pas encore vraiment eu le temps de l’expérimenter. Quoi qu’il en soit, j’adore parler politique avec les gamins !




Ernest London : Vous concluez la double page documentaire par un appel à « un autre monde possible ». D’après-vous, quelle résonance cette lutte entretient-elle avec notre présent  et notre territoire en général ?

Yann Fastier : La lutte des Zapatistes du Chiapas n'est évidemment pas transposable partout ailleurs, pas plus que celle des Kurdes de Turquie et du Rojava syrien, mais de telles résurgences d'inspiration libertaire, ici ou ailleurs, sous quelque forme que ce soit et aussi minime soient-elles, sont l'indice sûr que cette idée - cette volonté devrais-je dire - ne mourra pas. On peut la réprimer, elle repoussera ailleurs, plus tard, et de façon parfois inattendue. Même chez les Gilets jaunes, malgré tout ce qu'on peut leur reprocher, on trouve au moins ce refus de baisser la tête (qui est sans doute ce qui fait le plus peur à nos dirigeants). Pour en faire quoi ? Les Zapatistes en ont une idée, le PKK et les YPG en ont une, en Europe et partout dans le monde se mettent en place des expérimentations qui visent à "construire l'autonomie". Elles sont peut-être imparfaites, peut-être éphémères, mais l'essentiel est qu'elles essaiment, se transforment et se transportent. De toute façon, rien n'est plus ennuyeux et dangereux que l'idée de la pureté. En ce sens, l'expérience zapatiste nous est précieuse parce qu'elle nourrit notre réflexion et nos pratiques, mais ce n'est en aucun cas un modèle. En revanche, c'est un devenir et c'est au fond la seule idée que j'aimerais transmettre avec ce livre. Ce n'est pas un livre d’Histoire, c'est une histoire universelle, une histoire à lire au présent.


(Propos recueillis le 16 janvier 2019)




 

ZAPATA EST VIVANT !
Yann Fastier
40 pages – 16 euros.
Éditions L’Atelier du poisson soluble – Le Puy-en-Velay – Octobre 2018

http://www.poissonsoluble.com/




Du même auteur :

GUINGOUIN : UN CHEF DU MAQUIS

 

 

 

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