Il distingue deux types de mémoire, l’une visuelle, idéative, photographique et consciente, l’autre hyponoétique, séquentielle, sensitive et inconsciente. Puis il applique cette « séparation et relation mutuelle » qui concerne le cas d’un « organisme individuel » à la collectivité, en établissant un parallèle entre cette distinction et celle qu’il s‘apprête à étudier, entre l’Histoire et la tradition.
Il identifie cinq phases de l’Histoire :
- La phase a qui se rapporte à toute l’Humanité : la préhistoire des historiens.
- La phase b qui se restreint géographiquement à une partie de l’Égypte et de la Mésopotamie : Apparition de l’écriture. « L’Histoire est écriture ».
- La phase c qui se confine à certains cercles cultivés de l’Ionie et à la cour de rois d’Israël : naissance du genre Histoire et apparition d’un centre, d’une division de l’Histoire entière en un « avant » et un « après ». Les faits sont re-traités ; l’Histoire est une lecture des faits.
- La phase d qui se restreint à quelques noyaux en Italie : phase des Renaissances, correspondant à la naissance des États modernes.
- La phase e, centrée sur quelques hommes : conception historiciste totale des événements, y compris des faits contemporains, traités comme un passé.
« Mais pour mettre en évidence la transformation progressive de l’Histoire (cette mémoire visuelle communautaire que nous identifions à la mémoire noétique de la personne) et son opposition à ce que nous appelons tradition, le plus pertinent serait de faire voir comment ce passage d’une forme d’Histoire à une autre implique un changement concomitant dans la notion même de « temps », depuis la vague perception rythmique jusqu’à la constitution d’une véritable idée de ce qu’est le Temps. » Cette transformation se remarque particulièrement dans la dernière phase, lorsque l’argent se convertit en temps « aussi bien dans la valorisation et le calcul des heures des travailleurs que dans les perfectionnements de la formule de l’Intérêt bancaire ».
Le trait qui oppose le plus clairement l’Histoire à la tradition, c’est l’ « historicisation du futur » et donc « la croyance dans le Progrès ».
La tradition est tout « processus reconnu comme exercice de mémoire, et éventuellement comme transmission des plus expérimentés aux moins adroits, qu’il s’agisse de coutumes, de rites, de récitations, de techniques ou de savoirs, à condition que n’y interviennent pas les procédés de visualisation réflexive des activités et l’idée explicite d’elles-mêmes » : par exemple les « arts pour lesquels seules l’imitation et la tentative de reproduction par l’apprentissage ont servi, durant des millénaires, de moyen de transmission », les lois, longtemps transmisent dans des formules rythmiques et empreintes des us et coutumes avant d’être écrites, sanctionnant alors le cas produit plutôt que des actes préalablement configurés comme des cas abstraits. D’une façon générale, l’invention de l’écriture procure « une fidélité littérale à une production », au détriment de la « perpétuelle infidélité ». Elle rompt « la continuité et la richesse du flux du souvenir de la personne et des traditions des peuples ».
Toute œuvre « tend désormais à être la réalisation ou l’accomplissement concret d’un moule idéal ». Agustín García Calvo explore de nombreuses disciplines dans lesquelles il observe ce processus et surtout ses conséquences.
Il ne développe pas la seconde partie annoncée par le titre, Tradition contre Histoire, considérant qu’elle doit être pratique plutôt qu’écrite, et qu’un sens se dégage déjà de la description des idées déjà tracée.
Critique savante, d’une précision et d’une logique rigoureuses, de la modernité, sans être pour autant passéiste ou réactionnaire, bien au contraire. Agustín García Calvo défend plutôt en creux « un certain mode de vie communautaire relativement peu empoisonné par l’Argent et l’État », comme le décrit très bien Luis Andrés Bredlow dans sa postface.
HISTOIRE CONTRE TRADITION. TRADITION CONTRE HISTOIRE
Agustín García Calvo
Traduit de l’espagnol par Manuel Martinez, avec la collaboration de Marjolaine François
Postface de Luis Andrés Bredlow
100 pages – 12 euros
Éditions de la Tempête – Bordeaux – Février 2020
editionslatempete.com
Titre original : Historia contra tradición. Tradición contra Historia – Lucina, Zamora – 1983
Du même auteur :
QU’EST-CE QUE L’ÉTAT ?
LA SOCIÉTÉ DU BIEN-ÊTRE
Voir aussi :
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