Chaque jour, les militants appellent les détenus pour qu’ils racontent leur quotidien : fouilles, café froid, nourriture périmée, douches froides, surpopulation, caméras de contrôle, racisme de certains policiers, protestations anodines réprimés par la brutalité des CRS, fils des chargeurs de portables coupés,… Certaines paroles sons saisissantes : « Ils nous traitent comme des chiens. » « Ici, certains flics ont la haine. Je ne sais pas si ce sont des fachos, mais ils ont vraiment la haine contre les immigrés. » « Pour moi, les centres de rétention sont des camps de concentration, je ne vois pas la différence. On nous enferme parce qu’on est étrangers, comme dans des camps de concentration. » « Pour moi, on est une sorte d’expérimentation pour l’école de police. Ils font des expériences sur nous. » En effet, l’école est située sur le même site.
« La volonté de l’administration va au-delà de la stricte application de la loi. Le système relatif aux étrangers a pour but de casser, d’humilier, de fragiliser moralement et physiquement des hommes et des femmes. Notre volonté n’est pas de dénoncer les conditions de rétention pour réclamer leur amélioration. Il n’y a aucun aménagement possible de ces lieux sinon leur destruction. »
En raison du turnover permanent et de la répression systématique, la révolte est discontinue, mais elle se construit pourtant sur la durée, collectivement, sous différentes formes, parfois spontanément : émeutes, grèves de la faim, solidarité, confrontations verbales et physiques avec la police, refus d’obéir.
Ainsi le 23 février, une manifestation de soutien s’organise pour un homme enfermé depuis trente-deux jours, délai maximal légal. Le chef du centre appelle la préfecture qui ordonne, une heure plus tard, sa libération. Rare victoire. Ils comprennent qu’il faut « penser la lutte autrement » parce que « les gens et les flics se foutent de la grève de la faim. Ils se foutent des sans-papiers. Ils s’en foutent si on crève. Les gens bouffent des lames de rasoir tous les jours et l’on n’entend pas parler d’eux. Les petits trucs qu’on fait ne valent pas le coup. Il faut vraiment foutre le bordel pour leur mettre une vraie pression. »
Le 21 juin, un homme, Salem Essouli, qui réclamait des médicaments, avec l'ordonnance médicale correspondante, est décédé. La colère explose immédiatement. Le centre est détruit par le feu. « Juste après l’incendie, les déclarations qualifiant cet événement de « drame » se sont multipliées. Le véritable drame est de vivre traqué, dans la crainte permanente d’être arrêté, enfermé, expulsé. Que de nombreuses personnes soient acculées à choisir le suicide et l’automutilation comme portes de sortie de la rétention, qu’il y ait de plus en plus d’arrestations et d’expulsions, là se situe le vrai drame. Dans cette logique, l’incendie de Vincennes représenta une bouffée d’air. » Deux cent-quatre-vingt places de moins, c’est moins d’enfermés, moins d’expulsés. « La machine a expulsée a été enrayée ». Jamais aucune campagne ni aucune action, en trente ans de lutte, n’avait eu une telle portée.
En conclusion, le collectif réaffirme ses convictions : « Pour nous, il ne s’agit pas d’aménager l’enfermement pour le rendre plus humain. Il ne s’agit pas non plus d’améliorer les conditions d’expulsion pour qu’elles se fassent dans le respect et la dignité. Encore moins de réclamer des critères de régularisation qui ne profiteront qu’à quelques-uns en excluant tous les autres. Nous continuerons à combattre la machine à expulser, son idéologie, ses pratiques, et bien évidemment le système d’exploitation capitaliste dans lequel il s’inscrit. La seule alternative à la rétention, aux expulsions, aux arrestations, c’est la liberté. Liberté de circuler. Liberté de vivre là où l’on veut avec qui l’on veut. Liberté qui ne saurait être suspendue à un bout de papier. »
Tout est dit.
FEU AU CENTRE DE RÉTENTION (Janvier – Juin 2008)
Des sans-papiers témoignent
Collectif
162 pages – 7 euros
Éditions Libertalia – Collection « À Boulets rouges » – Paris – Mars 2009
editionslibertalia.com
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