24 février 2020

LESBOS, LA HONTE DE L’EUROPE

Vice-président du comité consultatif du Conseil des droits de l’homme des Nations unies, Jean Ziegler s’est rendu à Lesbos en mai 2019, île grecque qui abrite le plus grand centre d’accueil de réfugiés, dans lequel s’entassent 18 000 personnes. Il dénonce des conditions d’enfermement qui violent les droits les plus élémentaires et sont la honte de l’Europe.

58 nationalités y sont représentées, avec une grande majorité de réfugiés en provenance de Syrie, d’Afghanistan, d’Irak, d’Iran et du Soudan. La plupart sont issus de la classe moyenne (enseignants, ingénieurs, entrepreneurs, commerçants, anciens fonctionnaires, artisans). Très peu de paysans ou d’ouvriers car corrompre les policiers et les garde-frontières, payer les passeurs coûte très cher.
Jean Ziegler rapportent de nombreux témoignages, recueillis auprès de responsables politiques, de réfugiés, de militants associatifs. Il décrit les opérations d’interception violente, les push-backs, pratiquées par les navires de garde-côtes turcs et grecs, ceux de Frontex et de l’OTAN, pour repousser les embarcations chargées de réfugiés dans les eaux territoriales turques et d’empêcher ainsi les passagers de déposer une demande d’asile en Europe. Cette stratégie est financée, coordonnée et ordonnée par les bureaucrates de l’Union européenne. À bord des bateaux de Frontex, bâtiments équipés militairement, se trouvent des policiers et des gendarmes des différents États membres, mais aucun médecins, infirmières ou secouristes.
La lutte contre les réfugiés et les migrants assure aux marchands d’armes de faramineux profits, plus que toutes les guerres en cours : les dotations des poste du budget européen intitulés « Sécurité des frontières » et «  Migrations » vont augmenter jusqu’à 34,9 milliards d’ici 2027, soit trois fois le montant de 2019 ! Aussi ces industriels développent-ils une technologie redoutable pour assurer l’efficacité de la chasse à l’homme : satellites géostationnaires, drones ultraperformants, radar au sol, scanners de camion, à 1,5 millions d’euros pièce, capables de détecter les battements de coeur et la quantité d’air respiré, mitrailleuses à déclenchement automatique.
Alors que les organisations de secours aux migrants observent les push-bocks et publient des vidéos pour dénoncer ces pratiques, Frontex, pour sa défense, les accuse de complicité avec les cartels de trafiquants d’êtres humains, cherchant à criminaliser les actions de solidarité et d’entraide. Frontex devrait surtout s’interroger pour comprendre pourquoi ces militants trouvent les bateaux en détresse avant eux et les garde-côtes, pourquoi tant d’êtres humains meurent en mer.

Jean Ziegler cite la législation et les conventions relatives au droit des réfugiés, notamment celle de Genève de 1951, rappelant que « pour un être humain persécuté, il ne saurait  exister de traversée illégale d’une frontière » et que « toute opération de push-back constitue une violation flagrante du droit international en ce qu’elle prive le requérant d’asile de son droit de déposer sa demande ».
Selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, plus de 60 millions de personnes sont actuellement en fuite. Le « programme temporaire de relocalisation d’urgence » négocié par l’Union européenne pour répartir les réfugiés entre ses 28 États membres, n’a jamais fonctionné : si l’Allemagne a accepté d’accueillir plus de 1 millions de personnes, la Hongrie, la Bulgarie, la Pologne refusent catégoriquement. La Pologne affirme devoir préserver sa « pureté ethnique ».

Lorsqu’il arrive à Moria, le sociologue grec Meletis Meletopulos prévient l'auteur qu’il va visiter « les camps de concentration de la mer Égée » : toilettes insalubres, containers surpeuplés, tentes sans chauffage, nourriture avariée…
Si Jean Ziegler sait qu’il n’est pas « directement responsable de la déchéance humaine » qu’il découvre, il sait qu’il a contribué, en tant qu’européen, à la « conspiration du silence qui rend possibles ces abominations. » Il dénonce « l’abyssale corruption de certains militaires grecs », l’hypocrisie de la Commission européenne qui se décharge sur les autorités grecques à qui elle a fourni plus d’un milliard d’euros d’aide pour ces missions. De la même façon, depuis l’adoption de la proposition surprise d’Angela Merkel le 19 mars 2016, la Turquie, contre 6 milliards d’euros, accepte de contrôler ses frontières et de reprendre les requérants renvoyés de Grèce, au mépris du droit d’asile.
La population fait preuve d’une « bienveillante solidarité », comme le prouvent le récit de plusieurs initiatives. En effet, 60% environ des habitants de l'île, sont des descendants de réfugiés grecs d’Asie mineure, déplacés après le traité de Lausanne en 1922.

En 2019, plus de 35% des réfugiés emprisonnés dans les cinq hot spots de la  mer Égée, sont des enfants. Ils n’ont aucun accès à l’éducation, manquent d’eau potable et de nourriture, sont victimes de violences et d’abus sexuels, notamment des gardes, alors que les gouvernements se préparent à fêter le 30e anniversaire de la Convention aux droits de l’enfant.

Malgré son admiration pour le Haut Commissariat aux réfugiés, Jean Ziegler accuse l’institution de se retrancher derrière le principe de subsidiarité alors que les États auxquels il délègue ses compétences « violent d’une façon si évidente les normes élémentaires du droit international public ».
La plupart des manquements qu’il rapporte sont appuyés par des témoignages directs. Ainsi des collectifs d’avocats reprochent à l’EASO, chargé d’interroger les requérants, de négliger d’étudier leur état de vulnérabilité, les excluant de la protection que ce statut leur accorde.
Cédant aux pays antiréfugiés, l’Union européenne a cessé toute opération de sauvetage de réfugiés naufragés en haute mer et dissuade les derniers bateaux humanitaires financés par des ONG. Elle a adopté la sémantique de l’extrême droite en associant « migration et protection du mode de vie européen » dans l'intitulé d’une commission. Il dénonce une stratégie de dissuasion et de terreur : « inspirer un effroi tel que les persécutés renonceraient à quitter leur pays ». « En laissant se développer dans les hot spots des conditions de survie qui rappellent les camps de concentration d’épouvantable mémoire, les malfaiteurs de Bruxelles visent à tarir le flot de réfugiés. »

En prenant ici la parole, Jean Ziegler entend témoigner et compte sur le « pouvoir de la honte » pour changer l’ordre des choses :
« Nous, peuples d’Europe, devons imposer la cessation immédiate des versements européens aux États antiréfugiés.
Partout sur le continent, nous devons obtenir le strict respect du droit universel de l’homme à l’asile.
Nous devons imposer la fermeture immédiate et définitive de tous les hot spots, où qu’ils se trouvent.
Car ils sont la honte de l’Europe. »
Ce ne sera certainement pas suffisant mais son propos est à relayer.




LESBOS, LA HONTE DE L’EUROPE
Jean Ziegler
146 pages – 14 euros
Éditions du Seuil– Paris – Janvier 2020



Du même auteur :

RETOURNEZ LES FUSILS ! Choisir son camp

L’EMPIRE DE LA HONTE

DESTRUCTION MASSIVE – Géopolitique de la faim

LA HAINE DE L’OCCIDENT

LA FAIM DANS LE MONDE EXPLIQUÉE À MON FILS

LE POUVOIR AFRICAIN

 





Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire