Pour quoi faire ?

30 octobre 2020

DERNIÈRE SOMMATION

Au prétexte d’une auto-fiction criante de vérité, David Dufresne raconte ses mois passés à collecter et recenser les violences policières.
Après sept années passées en exil à Montréal, l’ancien journaliste Étienne Dardel découvre les « folies policières », mutilations, mains arrachées, yeux crevés, bras broyés, et commence à les compiler dès le premier jour de l’acte I du mouvement des Gilets jaunes. Des armes de guerre envoyées sur des civils, en plein Paris : il ne reconnait pas « les doctrines d’emploi qu’il avait longuement étudiées, ce maintien de l’ordre “à la française“, mythe que la nation vantait à elle-même et vendait encore dans le monde entier, ou presque ». « Ce qui n’était qu’un mythe de sa jeunesse, les snuff movies, était devenu une réalité, sa réalité, son quotidien : le trépas live, les gueules cassées en direct, les mutilés sous ses yeux, c’était possible, c’était terrible, et c’était maintenant. » Le maintien de l’ordre obéit toujours à des règles strictes, dictées par le pouvoir politique. « L’ordre, qu’il faut maintenir ou rétablir, c’est toujours celui de l’État. » Les principes qu’il avait connus ont été soudain pulvérisés : « la domination n’était plus seulement sociale, économique, la domination était policière. » « Le pays est devenu violent, sous l’oeil complice de ses institutions. Il était devenu violent parce que les attentats, parce que les terroristes, et parce que l’union nationale étouffait la moindre critique. Il était devenu violent parce que l’antiterrorisme était devenu l’alpha et l’oméga de la vie politique, union sacrée, police partout, justice nulle part.
État d’urgence et confusion totale.
Il était devenu violent parce que les colères sociales ne trouvaient plus d’écho, ni de relais ; on avait fracassé les corps intermédiaires, écrabouillés les syndicats, criminalisés les militants. Sans soupapes, la cocotte explosait désormais et le couvercle qu’on lui imposait prenait les atours du bouclier CRS. Le pays était devenu violent parce que trente ans de débats sécuritaires l’avaient jeté dans les bras de la réaction en marche. » « Le pays était devenu violent jusqu’à ne voir qu’une catégorie de violences, celle qui le mettait en cause. »

Loin d’être un écrit à charge, ce roman donne la parole à tous les protagonistes, syndicalistes policiers, manifestants blessés et leurs parents, juges et enquêteurs, préfet et responsables de l’ordre public, à la recherche de toutes les explications : « la politique du chiffre » mise en place par Sarkozy, « les contrordres et doctrines mouvantes au gré des caprices ministériels », le feu vert sur le terrain et les multiples entorses à la loi, « les vacations de vingt-trois heures sur les Champs-Élysées, les collègues obligés de se pisser dessus (…) parce qu’ils avaient l’interdiction de quitter leur position », l’affaire Benalla, « grotesque et gravissime », symptôme d’une « benallisation de la police », le recours à l’armée en maintien de l’ordre métropolitain, le recrutement, faute de candidats, d’illettrés par les écoles de police devenues « des chenils pour fous furieux », le commandement managériale, le sentiment d’impunité.
Il raconte le black bloc acclamé sur les Champs, le Fouquet’s saccagé, et explique aussi qu’il s’intéresse à la police depuis qu’elle s’est intéressée à lui quand, adolescent, il animait un revue punk-rock puis, la mort de Malik Oussekine le 6 décembre 1986, alors que lui même manifestait dans le Quartier latin et se cachait des voltigeurs dans une cage d’escalier, quelques rues plus loin. Il confie sa dépendance à son fil Twitter, sa famille qu’il néglige au nom de son credo : « La République ce n’est pas la loi du talion. »

On comprend le choix de la fiction avec les ultimes pages. Au-delà de la simple « protection des sources », de la liberté prise avec la réalité sous prétexte romanesque et pour la construction d’une intrigue plus efficace, il s’agissait de rendre crédible et envisageable la conclusion d’une infernale spirale activée par l’ouverture de la « boîte à pandores », par l’adoption d’une doctrine répressive fondée sur le seul usage de la violence. La résurrection du mystérieux commando qui revendiqua l’assassinat de Pierre Goldman prêtera certainement à réflexion. Excellente enquête, habillement déguisée pour mieux convaincre. C’est une superbe et puissante démonstration que met en scène David Dufresne. De Max Weber à Hélder Pessoa Câmara, en passant pas les Clash, tout est dit.

 

 


DERNIÈRE SOMMATION
David Dufresne
236 pages – 18 euros
Éditions Grasset – Paris – Octobre 2019
240 pages – 7,40 euros
Éditions Points – Paris – Octobre 2020

 

 

 

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