Pour quoi faire ?

29 octobre 2020

NATURE ET ANARCHIE

L’anarchisme, dès son origine, est « un assaut contre le développement capitaliste » et ses désastres. Sans être pour autant « écologiste », prônant parfois l’industrialisation, il contribue à éviter les pièges du réformisme. De Bakounine à Bookchin, Jack Déjean revient sur les liens de ce courant de pensée avec la nature. 

Si Bakounine a foi dans le progrès, il critique l’idée de maîtrise de la nature, considérant que l’homme est un produit de la nature, puis de la société. Il pense le milieu naturel et le milieu social en continuité. Le premier, sans être prédéterminent, conditionne le second, qui peut être transformé par l’homme. Celui-ci ne peut s’affranchir de la nature mais façonne son monde social par l’activité, source de sa liberté. La liberté n’est pas seulement une idée mais avant tout une pratique. Celle d’autrui n’est pas une limite mais une confirmation et une extension de la mienne à l’infini.

« Élisée Reclus dénonce la brutalité avec laquelle le capitalisme industriel prend possession de la Terre. » Il remet en question la conception linéaire et intrinsèquement positive du progrès, relativise la place de l’Occident. Il ne remet pas en cause la technologie à condition qu’elle permette une société libertaire et égalitaire, qu’elle préserve les milieux de vie, qu’elle reste au service de l’humain. « Nature et humanité sont liées. » « La dégradation des milieux de vie dégrade la vie elle-même. »

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L’ANARCHIE

ÉVOLUTION & RÉVOLUTION

ÉCRITS SOCIAUX

 

En 1894 paraît L’État naturel, journal du mouvement des anarchistes naturiens, basé sur le refus de l’artificialisation de la vie provoquée par la civilisation industrielle. Ceux-ci « mettent l’accent sur la transformation des modes de vie plutôt que sur la rupture révolutionnaire par l’attaque ». Leurs positions entament une précoce critique de la science comme nouvelle religion : la pollution de l’air par les usines, l’appauvrissement des sols par les engrais chimiques et l’agriculture intensive, la déforestation, la société du travail et de la consommation, sont ainsi évoqués des décennies avant de faire partie de préoccupations plus largement partagées. Emile Bisson, par exemple, accuse la science de créer des maux qu’elle prétend ensuite guérir.

William Morris, « socialiste utopique », proche de Kropotkine, critique les ravages industriels en cours et défend la gratuité, l’entraide et l’égalité, une vie simple et le refus de parvenir, une nature préservée que l’être humain aménage au même titre que les autres espèces et non à leur détriment. Sa critique de la civilisation industrielle s’accompagne d’une défiance vis-à-vis des machines qui permettent dans certains cas de réduire les peines mais ne peuvent remplacer le travail manuel, plus intéressant et favorisant l’autonomie.

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COMMENT NOUS POURRIONS VIVRE

 

Joseph Déjacque prône une révolution physique de la planète. Optimiste, il n’anticipe pas les ravages industriels à venir, et conçoit une utopie de l’abondance dans laquelle l’égalité se réalise dans le confort plutôt que dans la misère et l’austérité.

Si Pierre Kropotkine a cédé au progressisme, appelant au développement de machines perfectionnées et à l’utilisation d’engrais chimiques dans l’agriculture, y voyant la possibilité de diminuer les efforts nécessaires, sans en comprendre les risques, ses théories remettent cependant « l’économie à l’endroit » puisqu’il ne s’agit plus de produire pour le profit, mais pour les besoins réels. Elles ont inspiré nombre de révolution, du Mexique à l’Espagne, en passant par l’Ukraine et la Mandchourie.

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L’ENTRAIDE - Un Facteur de l’évolution

LA CONQUÊTE DU PAIN

LA MORALE ANARCHISTE

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AUX JEUNES GENS

L’ESPRIT DE RÉVOLTE

 

Jack Déjean présente également les différentes tendances de l’anarchisme espagnol, un rapport fondamental à la terre pour les uns, une foi dans l’industrialisation et l’organisation scientifique du travail pour d’autres.
« Il serait faux d’associer sans réserves anarchisme et préservation des possibilités d’existence libre et saine sur la planète. L’anarchisme n’est pas homogène ni sans histoire. Il est parfois tombé dans des travers résolument productivistes. Et comme par hasard, ce goût pour la discipline du travail à la chaîne s’accompagnait du goût du pouvoir… Il persiste aujourd’hui ici et là des positions technophiles, particulièrement autour des nouvelles technologies. Il n’en reste pas moins que l’anarchisme conséquent porte une conflictualité contre toute forme d’autorité, donc aussi contre l’industrialisation et la technologisation et toutes leurs conséquences. »
Bakounine et la plupart des anarchistes du XIXe siècle considèrent que le monde naturel est une esquisse de l’anarchie. L’être humain ne peut s’extraire de l’ensemble du vivant et de ses lois, même s’il appartient aussi au milieu social. Les sciences permettent une conscience éclairée des forces déterministes pour s’en libérer. Elles ont un rôle à jouer dans la lutte pour l’émancipation à condition de ne pas gouverner, de ne pas rester une affaire de spécialistes mais devenir populaires.


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LES CHEMINS DU COMMUNISME LIBERTAIRE EN ESPAGNE – 1868-1937

 
L’anarchiste d’origine roumaine, immigré aux États-Unis, Shmuel Marcus contribue à une critique anarchiste de la technologie, rompant avec l’habituel optimisme. « Le développement des machines ne peut que renforcer les dispositifs de contrôle et de sécurité, contradictoires avec les aspirations à la liberté et l’indépendance, mais aussi à l’extension de l’ingéniosité et de l’initiative à la base de l’anarchie. »

À Golfech, près de Toulouse, une mouvance libertaire liée à la lutte antifranquiste s’est opposée à la construction d’une centrale nucléaire, élargissant la lutte à la société dans son ensemble.

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LA CANAILLE À GOLFECH - Fragments d’une lutte antinucléaire (1977-1984)

 

Si l’auteur critique vertement Murray Bookchin, contestant ses prétentions libertaires, il souligne toutefois son analyse du capitalisme comme fondement des dégradations des milieux de vie, intrinsèquement liées à l’exploitation sociale. Il reproche à sa vision d’une technologie neutre qu’il suffirait de remettre entre de bonnes mains pour qu’elle nous émancipe au lieu de dégrader nos vies et nos milieux, des « relents marxistes ». Il dénonce également le « stade de politique séparée » et l’absence d’attaque contre l’ordre existant de son projet de municipalisme libertaire, et étend sa critique à l’expérience du Kurdistan syrien.

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QU’EST-CE QUE L’ÉCOLOGIE SOCIALE ?

L’ÉCOLOGIE SOCIALE – Penser la liberté au-delà de l’humain

POUR UN MUNICIPALISME LIBERTAIRE

ÉCOLOGIE OU CATASTROPHE - LA VIE DE MURRAY BOOKCHIN

UN AUTRE FUTUR POUR LE KURDISTAN ?

LA COMMUNE DU ROJAVA

 

On l’aura compris, Jack Déjean s’immisce beaucoup dans ses présentations, les ponctuant régulièrement de points de vue personnels qui organisent certes le débat mais, parfois, restent superficiels et peu argumentés. On devine ainsi très vite qu’au contraire du précédent, Miguel Amoros a toute sa sympathie. Celui-ci appelle a un « démantèlement conscient et organisé de l’essentiel de l’appareil productif », considérant que la production n’est ni réappropriable ni détournable. Selon lui, la technique n’est jamais neutre mais constitue un « projet social et historique précis » qui reproduit et renforce les inégalités, dépossède les êtres de leur action.

Certaines positions antispécistes se rapprochent de l’anarchisme. Le mode de vie des chasseurs-cueilleurs était basé sur une connaissance encyclopédique de son milieu, avant que l’humanité ne bascule vers des pratiques répétitives et routinières, rythmées par les saisons, dont la culture de quelques espèces céréalières, entrainant un appauvrissement du savoir pratique, du régime alimentaire, du temps libre. La création de l’État fournit les bases de la domination, de l’exploitation des ressources humaines ou naturelles. Le primitivisme idéalise ces anciennes sociétés reposant sur la coopération et le partage, et parfois sur une très faible division sexuelle du travail. Jack Déjean reproche cependant à ce courant de pensée de s’installer dans l’attente de conditions naturelles favorables à la réapparition de ces modes de vie, plutôt que de se confronter à la réalité ici et maintenant.

Il évoque très rapidement et avec une certaine condescendance les auteurs du journal La Gueule ouverte, « le prêtre défroqué Ivan Illich », « l’anarchiste chrétien Jacques Ellul » et son ami Jacques Charbonneau (qu’il citera tout de même dans sa conclusion), avant de s’en prendre plus longuement à l’institutionnalisation de l’écologisme et son organisation en parti qui n’ont, pour le coup, rien de commun avec l’anarchie. « Un capitalisme vert reste du capitalisme. » « La cogestion du désastre, Europe Écologie les Verts en a fait un principe. » « Les écolocrates, ces écolos qui ont réussi et investi les strapontins du pouvoir, nous culpabilisent de vivre dans un monde que nous n’avons pas choisi. Ils et elles masquent au même moment que les ravages sont d’abord le fruit de l’industrie et des transports de marchandises, tandis que nos comportements sont pris dans un système de contraintes qui débute avec le réveil qui sonne pour aller bosser ou partir à l’école. » « L’écologie de Parti apparaît toujours plus clairement pour ce qu’elle est : une idéologie de classe capable de rénover un ordre social au profit de quelques-uns et unes. Ce n’est pas pour rien que les meilleurs scores électoraux d’Europe-Écologie les Verts se font dans la ville des cadres et des ingénieurs de Grenoble ou dans la ville bourgeoise de Paris. » Il dénonce également l’invasion de la technologie dans nos vies quotidiennes.

L’auteur, à la recherche d’un positionnement efficace, conciliant anarchie et écologie, considère le retrait, la désertion, comme un projet personnel incapable de démolir l’autorité général, les expériences alternatives comme parties prenantes du système malgré tout. Si ces expériences rupturistes peuvent dans certains cas favoriser la démolition de l’ordre existant, elles ne peuvent se substituer à l’insurrection. « Le but des activités anarchistes n’est pas seulement de saper les bases de l’ordre existant, d’affermir les consciences et de développer l’auto-organisation des classes exploitées et opprimées. Il est aussi de favoriser le fait de vivre autant que possible en anarchiste ici et maintenant, en refusant de renvoyer tant la révolte que la liberté et l’entraide dans un futur lointain et incertain. » Au contraire des écologistes qui comptent sur l’État pour protéger les êtres et la planète, les anarchistes le tiennent pour responsable principal et jugent nécessaire de le combattre. Prévenant les critiques, Jack Déjean rappelle que « plus grand monde ne regrette aujourd’hui l’Ancien régime ou ne met en cause la petite minorité agissante qui a attaqué la Bastille en 1789, lançant des hostilités qui auront de grandes répercussions. Ce n’est pas le “peuple“ qui s’est emparé de cette taule, mais un groupe de personnes déterminées à agir. Une bande de casseurs, en somme. » « Une position anarchiste vise d’abord à agir sur les racines du problème autant social que sanitaire ou environnemental, et donc à attaquer les dirigeants et dirigeantes et leurs appuis, les infrastructures matérielles, les institutions et les entreprises à la base du progrès dévastateur, toujours dans le but d’élargir la pratique de la liberté. » Considérant l’importance de l’énergie pour le bon fonctionnement de l’exploitation capitaliste et de la domination étatique, il reprend la « suggestion de lutte des anarchistes » de « couper l’énergie à ce monde », de « s’en prendre aux infrastructures et aux machines qui font fonctionner d’autres machines, détruisant au passage la belle énergie de la vie chez les êtres vivants qu’elles exploitent et aménagent ». « L’État moderne n’a pas d’autres leviers que de renforcer la coercition et d’asservir plus profondément l’individu à la société, de produire toujours plus de normes et de dispositifs de traçabilité, de continuer la course frénétique au progrès et d’attendre de l’innovation une hypothétique solution. »


Après une succincte histoire de la critique de la technique et des liens entre écologie et anarchie, Jack Déjean propose des bases sérieuses, aussi bien théoriques que pratiques, d’une pensée écolo-anarchiste (ou anarcho-écologiste) aujourd’hui, assortie de quelques réflexions personnelles. À part quelques écarts sans doute superflus car superficiels, il réalise une somme fort utile.



NATURE ET ANARCHIE
Jack Déjean
180 pages – 4 euros
Éditions du Local Apache – Caen – Septembre 2019
localapachecaen.wordpress.com

Traduction de cet article en hollandais par Thomas Holterman : libertaireorde.wordpress.com/2020/11/29/natuur-en-anarchie











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