La France n’y est pas allée avec le dos de la cuillère ? « Un peuple fort ne prend pas son vélo pour aller chercher son pain, il prend sa voiture. Un peuple fort prend l’avion pour faire Poitiers-Lyon en une demi-heure. Un peuple fort a besoin de fusils d’assaut, de chars, d’hélicoptères de combat. Un peuple fort fabrique des centrales nucléaires pour s’éclairer et faire rouler son TGV. Un peuple fort se dote de la bombe atomique. Quand il s’est payé tout ça, et ça coûte quand même bonbon, le peuple fort n’est pas plus avancé, car il a oublié l’essentiel : le combustible. Or, la France n’est pas gâtée par la nature, chez nous il n’y a que du fromage et du vin rouge. »
Synthétisant quelques précieux ouvrages historiques en quelques planches, Grégory Jarry et Otto T., avec le sens du raccourci et l'ironie qui les caractérisent, nous expliquent tout ce qu’il faut savoir sur les bienfaits du néocolonialisme.
On aura certainement oublié que Jacques Foccart, en 1940, faisait de juteuses affaires avec un groupe industriel nazi chargé de la construction du Mur de l’Atlantique. S’il devint résistant, il dirigea après la guerre, avec d’anciens de la Cagoule, la stay-behind française mise en place par la CIA, cellule d’espionnage dormante destinée à organiser la résistance en cas d’invasion de l’URSS. Craignant que se forme un nouveau Front populaire qui accorderait l’indépendance à l’Algérie, un putsch est organisé à Alger le 13 mai et les parachutistes débarquent en Corse le 26. De crainte qu’ils n’arrivent à Paris, le Parlement nomme Charles de Gaulle président du Conseil et lui donne les pleins pouvoirs. Une nouvelle constitution est rédigée, la Ve République créée. Un habile découpage électoral permit de réorganiser les circonscriptions de sortent qu’il faille 19 000 voix à un candidat gaulliste pour être élu député et 300 000 à un candidat communiste. Ainsi de Gaulle pu être élu démocratiquement premier président de la Ve République au suffrage indirect. « Bien sûr, on avait bourré les urnes dans les colonies, et bourré le mou des électeurs en métropole, mais honnêtement, il valait mieux ça que les escadrons de la mort. » Il devint personnellement responsable de l’Empire colonial et Foccart secrétaire général pour les affaires africaines et malgaches.
Est ensuite minutieusement détaillé le mécanisme qui permit d’accorder une indépendance de façade aux pays africains tout en organisant l’arrivée au pouvoir de présidents favorables à une « coopération étendue ». Nous ne pourrons rapporter ici l’histoire de chacun, ni de tous ceux qui prirent l’indépendance au mot et moururent brutalement, et c’est bien dommage. « N’empêche que si l’on avait eu affaire qu’à des Thomas Sankara, des Sylvianus Olympio ou des Patrice Lumumba, les agences de notation financières ne nous donneraient certainement pas du triple A, et vous savez où elle serait, la place de la France ? Dans les poubelles, aux côtés du Bangladesh. »
Rappelons tout de même qu’Albert-Bernard Bongo, ancien sous-officier de l’armée française, accepta de se convertir à l’islam pour que le Gabon puisse entrer à l’OPEP et devint Omar Bongo. C’est lui qui disait souvent : « L’Afrique sans la France, c’est une voiture sans chauffeur. La France sans l’Afrique, c’est une voiture sans carburant. » On ne parle pas souvent du bombardement du Cameroun au napalm et des centaines de milliers de morts, de la guerre civile au Biafra qui en fit presque deux millions. Pour contrôler les banques centrales africaines, le franc CFA est très pratique. De Gaulle fonda le Commissariat à l’Énergie Atomique (CEA) dont une branche, la COGEMA, fut chargée de l’extraction de l’uranium, et la compagnie pétrolière Elf Aquitaine, même si en France il n’y a ni pétrole ni uranium. Aussi sont-elles allé investir en Afrique : « Il faut convaincre les populations que leurs matières premières, on veut bien les en débarrasser vu qu’ils n’en font rien. Mais on ne peut tout de même pas leur en donner bien cher, c’est nous qui faisons tout le boulot. »
Seul l’humour incommensurable des auteurs nous aura permis de ne pas sombrer dans la déprime à la lecture de cette accumulation d’ignominies commises en notre nom. Et le final, jubilatoire, parvient même à satisfaire notre besoin de
PETITE HISTOIRE DES COLONIES FRANÇAISES – Tome 4 : La Françafrique
Grégory Jarry et Otto T.
98 pages – 9 euros.
Éditions FLBLB – Poitiers – Février 2011
www.flblb.com/catalogue/petite-histoire-des-colonies-francaises-4-la-francafrique
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