Pour quoi faire ?

26 juillet 2021

À BAS L’EMPIRE VIVE LE PRINTEMPS ! – Stratégie pour une écologie radicale

Dans les années 1990 en Angleterre, opposés à l’écologie résignée des ONG, des dizaines de militants, notamment les membres d’Earth First ! réunis autour du slogan : « Pas de compromis dans la défense de la terre ! », ont pratiqué l’action directe. Bloquant ou endommageant des pelleteuses, occupant des bureaux, des terrains et des arbres, ils ont fait plier le gouvernement, l’obligeant à abandonner son programme de construction de routes ! Avant de rejoindre les luttes anti-mondialistes, ils ont mis au point une technique souvent efficace, le camp d’occupation, qu’ils sont d’ailleurs venu enseigner à Notre-Dame des Landes, et remporté nombre de victoires dans une stratégie de lutte globale en faisant « monter les coûts » des projets.

Né de la vague révolutionnaire des années 1960 et 1970, le mouvement écologique radical se développe aux États-Unis en réaction aux attitudes coopératives de certains écologistes admis à la table de négociations avec l’État et le Capital pour évoquer compromis, solutions techniques et verdissements des entreprises. Paul Watson, exclu de Greenpeace pour avoir jeter à l’eau une massue utilisée pour tuer les bébés phoques, fonde Sea Sheperd. En 1980, cinq amis partis marcher dans le désert, décide de créer « un groupe qui violerait la loi, dépasserait ouvertement les limites acceptées, frapperait les entreprises là où ça fait mal (au portefeuille) et surtout, s’engagerait à défendre la terre mère sans jamais accepter le moindre compromis » : Earth First ! « Dès le début, les membres d’EF ! ne se proposèrent donc pas seulement de défendre les derniers fragments de nature sauvage, mais d'inverser le processus en démolissant les barrages et les lignes électriques. » « L’idée centrale d’EF !, c'est que les humains ne jouissent d'aucun droit divin leur permettant de soumettre la Terre, que nous ne sommes qu'une forme de vie parmi les millions d'autres qui peuplent cette planète. » En divers endroits du pays, des groupes, en pratiquant une combinaison de désobéissance civile et de sabotage, freinèrent l'exploitation forestière et les forages pétroliers.
En Angleterre, une situation similaire aboutit à la création du premier groupe d’EF !, en 1991, par six lycéens qui s’ennuyaient, avant de s'étendre rapidement en une grande vague de contestation. L'auteur rapporte une longue série d'attaques publiques, Reclaim the Streets (reprise de la rue) et actions directes anti-routes. Les journées d’action se multipliant à travers la Grande-Bretagne, apparurent les premiers camps d’action directe écologique, enclenchant « un puissant cycle de luttes », tandis que le gouvernement se vantait « de mettre en place le plus grand programme de construction de routes depuis les Romains ». Les actions s’intensifièrent et devinrent plus efficaces : « Les obstructions in situ doivent être coordonnées et soutenues. Le nombre de journées de travail perdues, voilà ce qui compte. Pour donner à ces actions une ampleur nationale, tous les lieux en voie d’être bitumés et tous les bureaux des sous-traitants associés, tout les entrepôts et tous les chantiers du pays doivent devenir des cibles. »
Entre 1993 et 1995, les luttes territoriales se déploient dans tous le pays. Quelques unes sont rapportées, ainsi que les évacuations et l’ampleur des actions de sabotage et des coûts imposés. En 1994, le gouvernement promulgue la Criminal Justice Bill (Loi sur la justice criminelle) contre les free parties, les manifestations, les squats, réunissant contre elle différents courants de la culture alternative et les poussant à lancer des luttes inédites, au lieu de les dissuader. Les techniques de défenses de militants étaient de plus en plus élaborées, si bien que les coûts pour défricher et les déloger, notamment à l’aide de grimpeurs spécialisés, augmentaient considérablement.
En 1997, le programme national de constructions de routes est abandonné : sur les 600 prévus, seule une centaine a été réalisée. Les luttes furent orientées vers les sites d’expérimentation des OGM et l’ouverture de squats. La même année, une rencontre internationale des mouvement en lutte pour « la terre, la liberté et la démocratie » se tient dans le sud de l’Espagne, dans la continuité de celle organisée par les rebelles zapatistes en 1996. L’Action Mondiale des Peuples (AMP) est fondée et les activistes réfléchissent au blocage des grands sommets, comme celui du G8 à Birmingham en mai 1998, puis la réunion de l’OMC en novembre 1999 à Seattle, la rencontre de la Banque mondiale et du FMI à Prague, le G8 de Gênes en juillet 2001.

La seconde partie de cet ouvrage est constituée par un « document stratégique » destiné à « promouvoir le débat à l’intérieur du mouvement écologiste radical ». Il propose un objectif extrêmement clair, avec beaucoup de lucidité quant à sa réalisation : « Nous devons démanteler l'intégralité du réseau d'esclavage et de dépendance technologique au sein duquel nous sommes nés. Pour que les forêts qui subsistent à la surface de la terre ne soient pas abattues, les usines du monde doivent disparaître. Il nous faudra pour cela affronter une classe dominante meurtrière, qui détruit la Terre à un degré encore jamais atteint. Bien sûr, dans le cadre de la politique contemporaine, ces solutions sont non seulement irréalistes mais incompréhensibles. Peu importe. L'effondrement du vivant invalide de plus en plus vite la logique de la société industrielle.
Dans ce contexte, promouvoir des réformes revient à peu près à réorganiser la disposition des chaises longues sur le Titanic. Si nous voulons éviter l'apocalypse et vaincre l'esclavage, la stratégie d'une révolution écologique et libertaire mondiale, aussi improbable soit-elle, est beaucoup plus réaliste que celle d'un recyclage d'une Alliance socialiste à des fins électorales.
 »
En s’inspirant de l’expérience de la contre-société anarchiste en Espagne, qui était « expression d’une classe en pleine période de transition, fascinée par un idéal qui reflétait à la fois son passé rural communal et les difficultés de son présent », l’auteur invite à construire une culture multigénérationnelle en multipliant les contre-cultures écologiques et libertaires. En Grande-Bretagne, une culture ouvrière de l’entraide s’est également développée tout au long du XIXe siècle dans les communautés industrielles : syndicats, sociétés coopératives, associations d’aide aux funérailles, sociétés amicales, « embryon d’une société non-capitaliste » aux yeux de beaucoup. Mais l’avènement de l’État-providence entraîna la soumission quasi-totale de la classe ouvrière. Puis le néo-libéralisme thatcherien a détruit la culture inter-générationnelle du mouvement ouvrier britannique en anéantissant l’industrie lourde et en restructurant l’économie. « Sous le vernis d'une autorité illusoire, on retrouve toujours la coopération volontaire, l'entraide, le soutien, la solidarité humaine et l’amour, sans lesquels la société imploserait. Mais nous ne voulons pas nous contenter de survivre : nous voulons vivre libres. » Il met aussi en garde contre la réaction du pouvoir et la force armée de l’État. « Notre responsabilité n'est pas de faire la révolution, mais de développer des contre-cultures capables de façonner des révolutionnaires. »
Il s’appuie également sur la « théorie des hotspots », développée par l’écologue Norman Myers, qui permet d’identifier vingt-cinq zones définies par la diversité biologique qu’elles abritent et par les menaces qui pèsent sur elles, et de se focaliser sur leur défense, en s’associant à des luttes locales ou en organisant des actions de sabotages secrètes. Il cite en exemple les action du capitaine Watson qui n’hésite pas à affronter et à couler les baleiniers.

Ce retour critique sur une période où l’écologie radicale remportait des victoires et a fait plier l’État britannique, prolongé par de sérieuses propositions stratégiques, doit être lu par quiconque cherche à s’impliquer dans la défense de la terre : se poser les bonnes questions permet de gagner du temps.


Ernest London
Le bibliothécaire-armurier


À BAS L’EMPIRE VIVE LE PRINTEMPS !
Stratégie pour une écologie radicale
Earth First !
Traduit de l’anglais par Pierre Madelin
298 pages – 15 euros
Éditions Divergences – Collection « L’Éclat/Poche » – Paris – Avril 2020
www.editionsdivergences.com/livre/a-bas-lempire-vive-le-printemps
Publié pour la première fois par la revue Do or Die en 2003.


 

Voir aussi :

EARTH FIRST ! - Manuel d’action directe

URGENCE ! SI L’OCÉAN MEURT NOUS MOURRONS

LE MONDE DES GRANDS PROJETS ET SES ENNEMIS




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