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20 juillet 2021

UTOPIES PIRATES - Corsaires maures et Renegados d’Europe

De la fin du XVIe au XVIIIe siècle, des milliers d’Européens, capturés par les États de la côte de Barbarie, se convertirent à l’Islam. Ces Renegados étaient employés par la piraterie barbaresque, apportant les techniques de navigation européennes. Peter Lamborn Wilson s’intéresse plus particulièrement à la petite République pirate de Rabat-Salé qui, pendant environ cinquante ans, pendant la première moitié du XVIIe siècle, fut une véritable « utopie pirate », indépendante, à la différence d’Alger, Tunis et Tripoli, protectorats de la Sublime Porte.

Dans l’imaginaire populaire, la « sensualité » de l’islam, plus favorable à la sexualité que le christianisme, contribuait à construire l’image de l’Orient comme lieu où l’on pouvait réaliser des désirs interdits. De 1659 jusqu’à la conquête d’Alger par la France en 1830, les villes côtières d’Algérie et de Tunisie, bien qu’appartenant à l’Empire ottoman, constituaient des républiques militaires « horizontales » et démocratiques qui vivaient de pillages, choisissaient leur souverain et renvoyaient les représentants d’Istanbul, étaient dirigeaient par des « chambres » de janissaires et de notables corsaires, édictaient leur propre politique, tandis que les nations européennes succombaient à l’absolutisme des monarques. L’Odjak d’Alger, la chambre des janissaires, était composée d’esclaves du Sultan, recrutés enfants dans le cadre de l’ « impôt en garçons » prélevé dans tout l’empire. Ainsi les frères Barberousse, fondateurs de la régence d’Alger, étaient-ils albanais de naissance ou grecs. Son système de « démocratie de l’aînesse » permettait au plus humble des esclaves albanais, par exemple, de participer au gouvernement. Son économie dépendait de la violence en dehors de ses frontières.
Salé échappa toujours à la tutelle d’Istanbul, demeurant une possession marocaine ou un État corsaire maure libre. Le Taiffe raïssi, le conseil des corsaires, votait pour élire son raïs. L’auteur laisse entendre que ce système « bicaméral » serait précurseur des gouvernements républicains d’Amérique et de France. Il présente plusieurs capitaines dont l’histoire a retenu le nom et les actions : Morat Raïs et Simon Danser notamment. Dans cette communauté polyglotte, une lingua franca hybride apparut, nommée franco ou sabir, témoignant d’une communauté linguistique. Defoe rapporte dans son Histoire générale des plus fameux pyrates, l’existence d’une « idéologie pirate », une « position proto-anarcho-individualiste ».

Salé désigne trois ville distinctes : Salé-le-Vieux, la Casbah, perchée sur la rive sud de la rivière Bou Regreg, qui deviendra Rabat, actuelle capitale du Maroc. Peter Lamborn Wilson rapporte l’histoire de cette région ainsi que ses très nombreuses influences. Le plus célèbre des forbans de Salé fut certainement Mourad Raïs, né en Hollande sous le nom de Jan Jansz qui participa au pillage de Reykjavik en 1627 et au sac de Baltimore en 1631, dans le comté de Cork en Irlande. Un paragraphe passionnant est par ailleurs consacré à la méconnue piraterie dans le Sud-Ouest irlandais.

Pour les habitants de Salé, combattre et piller en haute mer ou le long des côtes européennes, se justifiait comme une continuation des guerres saintes menées sous les précédentes dynasties et comme une protection navale. Le partage du butin chez les pirates était plus égalitaire que chez les corsaires européens : tandis que les capitaines des uns pouvaient toucher une part et demie ou deux, les capitaines des autres se réservaient souvent quarante parts. Les « gouvernements » des groupes de pirates étaient anarchistes, dans la mesure où ils permettaient « une liberté individuelle maximale », et communistes par l’abolition de toute hiérarchie économique. « L’organisation sociale des pirates n'a aucun équivalent parmi les États du XVe au XVIIIe siècle, sauf à Rabat-Salé. » La république du Bou Regreg n'était pas une pure utopie pirate, mais un État fondé sur les principes de la piraterie. L'impôt ne partait pas à Istanbul mais servait aux réparations des fortifications et au financement des expéditions. « La piraterie peut être considérée comme un cas extrême du refus du travail ; cinq à six mois à flâner dans les cafés maures, puis une croisière estivale sur un bel océan bleu, quelques heures d'efforts intenses et voilà, une nouvelle année d’oisiveté se trouvait financée. » Rapidement, Peter Lamborn Wilson évoque encore les utopies pirates d’Hispaniola à la fin du XVI et au début du XVIIe siècle, de Libertalia et de la Baie des Divagateurs, de Nassau aux Bahamas.

Rare et précieux travail d’étude sur un sujet original, toute expérience de la liberté pouvant devenir source d’inspiration.


Ernest London
Le bibliothécaire-armurier

 

UTOPIES PIRATES
Corsaires maures et Renegados d’Europe
Peter Lamborn Wilson
Traduit de l’anglais par Hervé Denès et Juluis Van Daal
Préface de Julius Van Daal
242 pages – 8 euros
Éditions de l’Éclat – Collection « L’Éclat/Poche » – Paris – Mars 2017
www.lyber-eclat.net/livres/utopies-pirates-poche-24/
Titre original : Pirate Utopias. Moorish  Corsairs and European Renegadoes – Autonomedia – Brooklyn NY – 1995

 

Du même auteur (mais sous un autre nom) :

TAZ - ZONE AUTONOME TEMPORAIRE



Voir aussi :

LIBERTALIA

LES PIRATES DES LUMIÈRES ou la véritable histoire de Libertalia



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