Depuis le 19 mai 1954, en mémoire de leur aïeule qui tua son mari avec sa propre arme, « pour le bien qu’il n’a pas fait », ses descendants, tous les ans, reprennent le nom de celle qui avait été assassinée sous ses yeux ce jour-là. Ils et elles deviennent Catarina pour lui permettre d’accomplir sa vengeance : « Un fasciste tombera pour n’avoir rien fait en regardant tomber une femme ». Une fois par an, ils et elles suivent la recommandation qu’elle leur a laissé dans une lettre avant d’être tuée à son tour : « Si cela est nécessaire, n’hésitez jamais à faire le mal pour pratiquer le bien. » « C’est une méthode, un rituel, une tradition, une beauté. »
Cette coutume est ainsi transmise et entretenue dans la famille, jusqu’au jour où, en 2028, Sara doute. L’extrême droite vient d’arriver au pouvoir et se prépare à interdire les syndicats, réviser la Constitution, enfermer les communautés roms,… Cette année, c’est à elle d’abattre un fasciste, un député responsable de nombreux discours qui ont conduit à cette victoire, et qu’elle vient d’enlever. Commence alors une discussion animée où chacun va tenter de la convaincre : « N'oublie pas qu’être contre ne suffit pas. Il faut agir contre. Ceux qui ne combattent pas pour empêcher la barbarie lui sont complices. » « Les doutes, laisse-les aux autres. Laisse-les croire que tout se réglera avec des élections, des manifestations pacifiques et des pétitions on line. »
« Beatriz. – Tu te souviens de ce que nous disait maman pour nous endormir ? ”Si nous appliquons une tolérance illimitée, y compris à ceux qui sont intolérants, si nous refusons…“
Sara. – ”… à défendre la société tolérante des attaques des intolérants, alors les tolérants seront anéantis, et la tolérance avec eux. Bonne nuit mes amours. Dormez bien.“ »
Bien entendu, Sara argumente. La justice, la liberté, le devoir, la liberté d’expression sont tout à tour évoqués. Brecht est abondamment cité, ayant moult fois abordé la montée du fascisme dans ses oeuvres. Et aussi Gandhi qui a soutenu que « la violence utilisée comme arme de défense par ceux qui ne parviennent pas à se défendre est un acte de courage préférable à la lâcheté et à la soumission. »
En évoquant la figure historique de Catarina Efigénia, jeune journalière assassinée pendant une grève et symbole de la résistance au régime salazariste, Tiago Rodriguez, dramaturge, metteur en scène, comédien et directeur du... festival d'Avignon !, aborde par un angle inattendu la question de l’engagement et des moyens. Habituellement, les réticences sont exprimées avant le passage à l'acte – Les Justes d'Albert Camus viennent bien sûr à l'esprit – mais sans que cette tactique soit coutumière. La grande force de ce texte est d'inscrire d'emblée l'élimination physique dans une tradition familiale. Que ces questionnements, que d’aucuns jugeront radicaux, proviennent d’un auteur reconnu et non d’un activiste marginal, les rendront certainement plus audibles pour beaucoup. Qu’il s’exprime depuis un pays qui a vécu sous un régime dictatorial pendant 36 ans au siècle dernier, n’est sans doute pas une coïncidence. En aucun cas, on ne peut les considérer comme hors sol et s'en affranchir. On se souvient que Javier Bolsonaro a reçu un coup de couteau qui aurait pu lui être fatal, peu avant son élection. On se souvient moins, bien que la rue qui conduit à l’Université de Bologne porte son nom, qu’Anteo Zamboni, alors âgé de 15 ans, a tenté d’assassiner Mussolini le 31 octobre 1926.
Attention, il ne s’agit nullement d’apporter une réponse définitive, encore moins d’asséner une injonction, mais bien de rappeler qu’on ne peut faire l’économie d’aucune question : « Une énigme n'a qu'une seule bonne réponse. Le dilemme n'en a aucune, ni bonne ni mauvaise. Ce sont des choix. La réponse est celle que te dicte ta conscience. »
Ernest London
Le bibliothécaire-armurier
CATARINA ET LA BEAUTÉ DE TUER DES FASCISTES
Tiago Rodrigues
Traduit du portugais (Portugal) par Thomas Resendes
114 pages – 15 euros
Éditions Les Solitaires intempestifs – Besançon – Janvier 2023
www.solitairesintempestifs.com/ouvrages/2020-11/catarina-et-la-beaute-de-tuer-des-fascistes
Créé au Centro Cultural Vila Flor de Guimarães le 19 septembre 2020, dans une mise en scène de l’auteur.
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