2 octobre 2025

LA DISTANCE

Dans un cadre dystopique, Tiago Rodriguez évoque les difficultés de communication entre générations. Alors que la multiplication des catastrophes climatiques menacent l’existence même sur Terre, la planète Mars a été colonisée. 

Celles et ceux y vivent, dans des habitacles reliés par des galeries souterraines, viennent des très riches familles des Corpo-Nations et ont déboursé des millions pour avoir une place, ou bien ont été choisis pour leur compétence, leur jeunesse, leur patrimoine génétique et leur fertilité, parmi les membres des Républiques. Toutes et tous ont renoncé à leur citoyenneté, à leurs droits et leurs libertés. Toutes et tous ont signé le Protocole de l’Oubli : un cocktail chimique leur fera perdre tous leurs souvenirs, exceptés les savoirs techniques. L’histoire de la Terre et celle de l’humanité, leur histoire personnelle et leur identité seront effacées.

Partie sans prévenir, Alison tente de justifier son choix auprès de son père Adama qui peine a admettre qu’il ne s’agit pas d’une mission mais bien d’un départ définitif, avec ce traitement qui doit lui épargner regrets et remords. Oui, Alison est une Oubliante. Avec plus de mille autres, elle ne croit plus que « ce soit possible de changer le monde », mais qu'il faut « changer de monde » : « Pendant des siècles, sur Terre, vous avez utilisez les pierres des ruines pour essayer de construire quelque chose de nouveau. Toujours les mêmes pierres. Les pierres de la mémoire, de l'histoire. Tout s'écroulait et vous cherchiez dans les décombres les pierres qui vous serviraient à construire un monde meilleur. Génération après génération, vous avez dit : “Apprenons du passé pour ne pas répéter les mêmes erreurs ; utilisons les pierres des ruines et construisons mieux.“ Toujours convaincus que chaque nouvelle construction allait changer le monde, mais sans voir que ces pierres sont désespérées et que tout ce que vous construirez sera désespéré. »

Ils s’envoient des messages, condamné à attendre la réponse pendant parfois de longues semaines. Aussi, leur dialogue va-t-il souvent à l’essentiel : « Il fallait peut-être la distance qui nous sépare pour réussir enfin à se parler. » Ce sont deux conceptions de l’avenir qui s’affrontent, deux niveaux radicalement différents d’acceptation des concessions à accorder. Chacun doit dépasser son incompréhension de l’autre, au nom du lien qui le unit, avant qu’il ne s’efface. Un quatrième « effondrement » sur Terre, des incidents sur les installations sur Mars, laissent surgir les premiers doutes. 


Alors que nous avons la certitude que nous laisserons à nos enfants un monde moins « confortable », la fracture générationnelle pourrait s’avérer plus profonde que jamais, faute d’héritage moral ou politique à transmettre, d’espoir à entretenir. Ce sont en tout cas, des questions qui se posent déjà. Tiago Rodriguez s’y confronte avec humilité, intelligence et humanité. Tentation du solutionnisme technologique, accroissement des inégalités sociales sont abordés frontalement, ainsi que l’impasse dans laquelle nous semblons engagés, même si, selon les Oubliants, « face à un dilemme, la vraie sagesse, c’est de choisir l’avenir ».

Sujets au combien brûlants (comme le climat). Hâte de découvrir sa mise en scène prochainement.


Ernest London

Le bibliothécaire-armurier




LA DISTANCE

Tiago Rodrigues

Traduit du portugais (Portugal) par Thomas Resendes

64 pages – 14 euros

Éditions Les Solitaires intempestifs – Besançon – Septembre 2025

www.solitairesintempestifs.com/ouvrages/2025-09/la-distance




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