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22 novembre 2024

MÉMOIRES D’UN ROUGE

« Je ne pourrai en aucun cas raconter l'histoire de la curieuse existence qu'il m'a été donné de vivre sans aborder cette longue période pendant laquelle j'ai été ce que cette vieille brute de sénateur Joseph McCarthy se délectait à appeler “un porteur de la carte du Parti communiste“. Il prononçait ces mots comme s’il s'agissait d'une incantation pour faire apparaître le diable lui-même, évoquant Satan avec une telle volupté méchante que c'est tout juste si l'on ne sentait pas l’odeur du soufre. » Comme Howard Fast tentait de s’expliquer, lors de leur unique confrontation, il rugit de colère qu’il n’avait qu’à en faire un livre. Le voici.
Par un concours de circonstances, déjà romancier renommé, il intègre l’Office of War information. Tout d’abord chargé de rédiger des brochures de propagande, rapidement il se voit confier la rédaction quotidienne de synopsis de quinze minutes pour informer les européens, qui seront traduits en cinq langues et radiodiffusés par la BBC : « Bonjour, ici la Voix de l’Amérique. » Il est entouré de gens « convaincus d’être au minimum un maillon essentiel de la lutte antifasciste ». Début 1944, alors que les transmissions vont désormais s’effectuer depuis l’Afrique du Nord, il est soudain remercié : le FBI le soupçonne d’être communiste et refuse que lui soit octroyée un passeport, parce qu’il avait refusé de prendre part à toute propagande antisoviétique. Puis, dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, les institutions américaines lancent une gigantesque campagne de haine et de diffamation envers les communistes.
Il raconte son enfance qui lui « fila entre les doigts », avec ses trois frères et sœurs, sa mère décédée alors qu’il avait huit ans, son père souvent absent, la pauvreté et l’antisémitisme, son entrée dans la vie active à l’âge de dix ans, comme livreur de journaux, sa passion dévorante pour la lecture, sa première nouvelle vendue à un magazine quand il en a dix-sept. La découverte du
LE TALON DE FER marque sa première rencontre avec le socialisme, puis, à seize ans, The Intelligent Woman’s Guide to Socialism and Capitalism de Shaw, La Théorie de la classe oisive de Thorstein Veblen, Loocking Backward de Bellamy, Engels, John Reed, etc. Il s’inscrit au Club John-Reed, association d’écrivains proches du Parti communiste, mais il refuse de participer aux discussions qui divisent la gauche entre staliniens et trotskistes. Pendant huit ans, il prend d’ailleurs ses distances avec le Parti. Il voyage dans le sud d'où il tirera la matière pour écrire La Route de la liberté. La parution de La Dernière frontière marque la fin de la pauvreté. En 1944, après de longues discussions avec son épouse, tous deux entrent au Parti, groupe le mieux armé pour mener la lutte antifasciste qui les anime. « Nous étions des romantiques ; comme unis par le même sacerdoce, nous avions pour vocation la fraternité entre les hommes, et pas un seul instant nous n'avions imaginé ce qui serait révélé un jour à propos de Staline et de l'Union soviétique. Les mensonges et les calomnies propagés contre le communisme était si variés, si méchants et si manifestement faux, que dans ce magma d'accusations fabriquées de toutes pièces, nous n'avions plus aucun moyen de distinguer le bon grain de l’ivraie en ce qui concernait la Russie et Staline. »
Membre du Conseil d’administration du Comité des réfugiés antifascistes, il participe à l’organisation d’une collecte de fonds en faveur des réfugiés espagnols. La chronologie des événements n’est pas toujours simple à suivre. Howard Fast évoque souvent des événements sans préciser de date et leur enchaînement n’est pas toujours sûr. Il considère que le décret Truman, exigeant de toute personne travaillant pour le gouvernement fédéral de prêter serment de fidélité et de jurer n’avoir jamais été membre du Parti communiste, comme le déclencheur de la « lutte hystérique et illégale contre l’ensemble de l’extrême gauche américaine ». Constituée en 1938, la Commission des activités antiaméricaines y consacra l'essentiel de ses activités après la guerre. En 1946, il est assigné à comparaitre devant elle et à lui fournir les archives du Comité, notamment la liste des cotisants. Refusant, il est poursuivi puis condamné, avec les autres membres du Conseil d’administration, pour outrage au Congrès. Dès lors, les journaux ne prennent plus le risque de publier ses textes.
Il explique que jamais les communistes américains n’ont représenté un danger pour les États-Unis. Ils ont pourtant été filés, mis sur écoute. Son dossier qu’il a récupéré auprès du FBI pour rédiger ces mémoires, comptent onze cents pages, dans lesquelles ne figure aucun crime ni infraction ni compte rendu d'initiative antiaméricaine, mais uniquement ses « bonnes actions » : réunions pour le droit au logement, un salaire minimum plus élevé, une justice égal pour les noirs et les blancs, etc. Il estime son coût à au moins dix millions de dollars ! Il affirme également que le gouvernement avait préparé une liste de trois cent mille personnes à interner immédiatement en cas de guerre avec la Russie, et construit « un certain nombre de gigantesques camps de concentration ».
Howard Fast rapporte également sa dénonciation de l’antisémitisme en Union soviétique, son engagement pour la paix et contre l’armement nucléaire, son séjour en prison pendant lequel il commence à rédiger Spartakus, pour lequel il devra fonder sa propre maison d’édition, ne trouvant plus d’éditeur suffisamment courageux pour le publier, et beaucoup d’autres conséquences de « la folle campagne anticommuniste », jusqu’à l’exécution des Rosenberg : « Nous nous sentions dans la même position que les premiers chrétiens ; j'irais même jusqu'à dire qu'en mettant l'accent sur la fraternité et le sacrifice, nous avions le sentiment de pratiquer une sorte de christianisme primitif. »
Afin de lutter contre la dépression qui l’assaille, il décide de se présenter comme candidat au Congrès dans la vingt-troisième circonscription du Bronx Sud. À cette occasion, il fait imprimé et distribue à des milliers d’exemplaires cette brochure (qui nous ravit) :


Témoignage édifiant et affligeant sur la violence des pratiques gouvernementales. Avec ce récit autobiographique, Howard Fast illustre avant tout comment les États-Unis se sont « acharn[é] à reproduire l’histoire de l’Allemagne nazie ».

Ernest London
Le bibliothécaire-armurier

MÉMOIRES D’UN ROUGE
Howard Fast
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Émilie Chaix
602 pages – 13 euros
Éditions Agone – Collection « Éléments » – Marseille – Avril 2018
agone.org/livre/memoiresdunrouge
Titre original : Being Red, 1990


Du même auteur :
Spartakus

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