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1 février 2025

LES JACOBINS NOIRS

Avec ce récit historique, devenu un classique, C.L.R. James retrace les 12 années de la Révolution haïtienne, seule révolte noire qui ait réussi, aboutissant à l’indépendance d’Haïti en 1803, après avoir mis en déroute les Blancs de l’île, les soldats de la monarchie française, une invasion espagnole, une expédition britannique et une française, conduite par le beau-frère de Bonaparte. Inspirés par la Révolution française, ces esclaves imposèrent l’acceptation universelle des droits, contrairement à la plupart des révolutionnaires français et américains.


En 1789, la colonie antillaise de Saint-Domingue – la plus grosse du monde – représentait les deux tiers du commerce extérieur de la France, grâce au labeur d’un demi-million d’esclaves. C.L.R. James propos une brève histoire de l’île depuis sa « découverte » par Christophe Colomb, de l’esclavage, des premières révoltes organisées et de la jeunesse de Toussaint. Pas plus que pour la suite, nous ne pourrons tout rapporter en détail, nous contentant de retenir les grandes lignes et les points à nos yeux pertinents. Il s’attarde plus longuement sur la sociologie de l’île, nécessaire pour comprendre les forces en présences : propriétaires aux origines diverses, distingués en grands et petits Blancs, encadrés par une bureaucratie, une classe d’hommes libres, mulâtres et Noirs, en pleine développement, et bien sûr les esclaves.

La Révolution éclata en raison du désaccord entre les colons et le gouvernement français, lequel considérait que les colonies n’existaient que pour le bénéfice de la métropole : elles ne pouvaient acheter de marchandises qu’à la France, vendre leurs produits qu’à la France et les transporter que sur des navires français. Depuis 1664, ce monopole était accordé à une société privée qui abusait de ses privilèges, exacerbant les tensions.

Alors que, jusqu’en 1783 – date de l’indépendance des États-Unis –, la bourgeoisie britannique considérait le commerce des esclaves comme naturel, elle commença à réclamer son abolition – n’ayant plus d’intérêts aux Indes occidentales – afin de favoriser les productions en provenance d’Inde et de ruiner Saint-Domingue. Elle finança la Société des amis des Noirs, de Brissot, Mirabeau, Pétion, Condorcet, l’abbé Grégoire. Tandis que la bourgeoisie française, dominée par la bourgeoisie maritime, menait l’assaut contre la monarchie, les planteurs intriguaient pour obtenir des représentants, parmi les nobles et les riches, à la nouvelle représentation nationale.

L’auteur raconte ensuite comment est traitée la question coloniale par les acteurs de la Révolution française qui proclamèrent la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen pour satisfaire les pauvres, sans pour autant les étendre aux mulâtres ni aux esclaves. Ces débats, scrupuleusement rapportés, sont particulièrement édifiants. « Et pendant ce temps là, que devenaient les esclaves ? Ils avaient entendu parler de la Révolution et s'en étaient formé une idée à leur manière : les esclaves blancs de France s’étaient soulevés, avaient tué leurs maîtres et jouissaient maintenant des fruits de la terre. » En mars 1791, alors que les Blancs s’écharpaient pour conserver le pouvoir coûte que coûte, conservateurs contre « révolutionnaires », les Noirs s’emparèrent des armes et se révoltèrent.

Le 22 juillet 1791, ils mirent leurs plan à exécution, s’emparant et incendiant les plantations, exécutant les Blancs. « Leur esprit de vengeance ne persista pas longtemps. La cruauté des propriétaires et des privilégiés est toujours plus féroce que la vengeance des pauvres et des opprimés. Car les premiers cherchent à perpétuer une injustice honnie, tandis que pour les autres il ne s'agit que d'un mouvement de passion momentané, et bientôt apaisé. » D’abord prudemment observateur, « le Vieux Toussaint », alors âgé de 48 ans, les rejoint au bout d’un mois et prend naturellement la tête du mouvement, du fait de son expérience de l’autorité et de l’organisation grâce à son poste d’intendant et à son éducation inhabituelle. Des mulâtres les rejoignent, tandis que d’autres pactisent avec les Blancs dans l’espoir d’obtenir des droits. Les batailles, négociations, retournements de situation et autres péripéties sont nombreux. Il serait fastidieux d’en rendre compte par le menu. Du côté de l’Assemblée constituante, les débats font rage et se succèdent. Le 24 mars 1792, elle accorde les pleins droits politiques aux mulâtres. Six mille hommes sont tout de même envoyés à Saint-Domingue pour mater la révolte noire. Face à la frilosité de ses représentants, c’est le Peuple qui emprisonnent la famille royale et exigent l’abolition. De même, les alliances et les trahisons se succèdent, d’autant que les Anglais et les Espagnols tentent de profiter de la situation, permettant souvent aux opprimés de « reprendre leur souffle » : « Le premier signe d'une société profondément instable et corrompue réside dans l'incapacité des classes dominantes à s'accorder sur les moyens de sauver la situation. Cette division ouvre une brèche, et ces rivalités se prolongeront tant que les masses ne menaceront pas directement de s’emparer du pouvoir. »  Début 1794, une délégation de trois hommes est envoyée devant la Convention pour réclamer l’abolition de l’esclavage, ce qu’elle leur accorde, par acclamation, le 3 février.

Toussaint n’eut jamais l’intention de rompre avec la France mais les machinations diaboliques des dirigeants français (et des autres) pour l’isoler et le déstabiliser, pour diviser les révoltés, l’obligèrent à instaurer une « dictature militaire », mais sans « l’étroitesse des buts et des intérêts d’une classe opprimant l’autre ». « Appartenant à la strate dirigeante de la société, il n’en était pas moins la lie de la civilisation, le degré zéro de la moralité. »

En arrivant au pouvoir, Napoléon le confirma dans son poste de commandant en chef et annonça que les colonies ne seraient plus représentées au parlement mais gouvernées par des « lois spéciales ». Toussaint mit fin à la guerre civile en battant les mulâtres et se rendit maître de la totalité de l’île, en chassant les Espagnols. Il devait établir une communauté de travailleurs libres en liant les anciens esclaves aux anciennes propriétés qu’ils devaient continuer à travailler et en leur réservant un quart de la production, plutôt que de morceler celles-ci de crainte qu’ils ne cultivent que pour couvrir leurs seuls besoins. Une Constitution est proclamée, le désignant comme gouverneur à vie et affirmant la fidélité à la France mais sans accorder de place à ses représentants : « c’était une quasi-indépendance ».

Cependant, Bonaparte souhait rétablir l’esclavage et la discrimination mulâtre, susceptibles de restaurer la prospérité des colonies. Il envoya une expédition de 20 000 vétérans, commandée par son beau-frère Leclerc, avec mission d’accepter toutes les revendications, le temps de prendre possession des points stratégiques, avant d'embarquer Toussaint et ses partisans pour la France. C.L.R. James montre comment Toussaint, en voulant se montrer trop conciliant avec les Blancs et en leur accordant une trop grande confiance, se coupa de son peuple, qui ne comprenait plus sa politique. « La guerre est la continuation de la politique par d'autres moyens, et Toussaint était en train de recueillir le fruit de sa politique antérieure. » Après son arrestation et sa déportation, Dessalines reprit le flambeau de la lutte et conduisit, sans plus d’hésitation, Haïti vers l’indépendance. La nouvelle du rétablissement de l’esclavage à la Martinique, à l’île Bourbon et à la Guadeloupe acheva de soulever les masses. « Les Noirs et les mulâtres de Saint-Domingue ont devancé et surpassé les Espagnols dans leur lutte contre Bonaparte, et les Russes dans leur incendie de Moscou. » « Ils avaient compris que sans indépendance ils étaient impuissants à maintenir leur liberté, qui, pour d’anciens esclaves, était une chose autrement concrète que les formes fuyantes de la démocratie politique en France. » La Déclaration d’indépendance fut adopté le 31 décembre 1803.

Plus tard, à Saint-Hélène, Bonaparte reconnu que l’expédition avait été une faute et qu’il aurait du gouverner l’île par l'intermédiaire de Toussaint Louverture. « Le seul argument que comprennent les impérialistes l'avait enfin convaincu. »


C.L.R. James s’attache avec une très grande minutie à restituer l’enchaînement des événement de la révolution de Saint-Domingue. Il essaie d’en dégager des enseignements susceptibles de nourrir toutes les luttes pour la liberté.


Ernest London

Le bibliothécaire-armurier



LES JACOBINS NOIRS

Toussaint Louverture et la Révolution de Saint-Domingue

C.L.R. James

Préface de Laurent Dubois

Traduction de l’anglais par Pierre Naville

464 pages – 20 euros

Éditions Amsterdam – Paris – Septembre 2017

418 pages – 14 euros

Éditions Amsterdam – Collection poche – Paris – Septembre 2024

www.editionsamsterdam.fr/les-jacobins-noirs

Titre original : The Black Jacobins. Toussaint Louverture and the San Domingo Revolution, 1938.


Du même auteur : 

HISTOIRE DES RÉVOLTES PANAFRICAINES


Voir aussi :

L’ARMÉE INDIGÈNE - La défaite de Napoléon en Haïti

TOUSSAINT LOUVERTURE - La Révolution française et le problème colonial



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