Pour quoi faire ?

1 décembre 2025

LES SENTIERS D'ANAHUAC

Le franciscain Bernardino de Sahagún, accablé par les destructions des savoirs aztèques commises par ses compatriotes, entreprend une minutieuse collecte, à l’aide de jeunes indiens qu’il a recueillis et instruits. Il entend surtout comprendre pour mieux combattre, pour mieux convertir, « comme un médecin doit connaître le mal dont souffre le malade pour trouver le bon remède ».

Le 5 tecpatl du premier mois Jaguar de l’année 8 Roseau (c’est-à-dire en 1539), alors que les Espagnols viennent de brûler sur la place publique Chichimecatecuhtli, « noble » chichimèque, il rencontre Antonio, jeune indien qu’il baptise et fait entrer au Collège de la Sainte Croix, à Tlatelolco, convaincu par ses aptitudes. Celui-ci y apprendra le latin, à chanter et écrire, à haïr les idoles et les paroles de ses aïeux.

Guidé par son élève, Bernardino de Sahagún découvre que « le génie de [s]on peuple n’a rien à envier à celui des Romains ». Il comprend aussi que sous couvert d’honorer les saints catholiques, ce sont les anciens dieux qui continuent d’être vénérés. C’est pourquoi il décide de lancer sa grande enquête (ethnographique avant l’heure) et d’œuvrer à l’élaboration d’une grande encyclopédie. Ses élèves lui serviront d’interprètes et de copistes. Antonio, né après la Conquête, découvre alors d’où il vient, ce qui laisse naître en lui deux sentiments contraires : la honte de si mal connaître l'histoire de ses ancêtres et l’émerveillement. Il comprend aussi que tous les récits qu’il entend ne sont que les paroles de témoins parmi d’autres. Il va finir par considérer que « nous ne sommes pas les juges de ce monde. Nous sommes les gardiens de sa mémoire. »

Les années passent. Il se marie, devient gouverneur. Les vents changent et l’entreprise du padre est désormais considérée avec méfiance. Ses manuscrits sont dispersés, ses aides licenciés. Toutefois, lorsque le roi d’Espagne exige la confiscation de L’Histoire générale des choses de la Nouvelle-Espagne, des documents préparatoires lacunaires lui sont remis, tandis que les trois volumes authentiques sont cachés, avant d’être clandestinement transportés jusqu’en Europe en 1580.


Historien, Romain Bertrand a su transposer en récit les histoires de la Conquête et de cette sauvegarde de la mémoire aztèque (même si l’intention primordiale n’était pas tout à fait bienveillante). Quand à Jean Dytar, véritable caméléon de l’image, il a une nouvelle fois imaginé un dispositif et un style parfaitement adaptés au sujet. Nourries par un travail de recherche iconographique hors normes, ses planches impressionnent par le soucis du détail et leur beauté plastique, servies par un format inhabituel. Le monde en noir et blanc, souvent hachuré, des Espagnols, contraste vivement avec la profusion de couleurs des récits náhuatl. Et les nombreux « glyphes » qui parsèment et se faufilent dans bien des doubles-pages, illustrent parfaitement la rémanence, la résistance de cette culture combattue, étouffée et menacée. 


Ernest London

Le bibliothécaire-armurier



LES SENTIERS D'ANAHUAC

Des insurgées de 1848 à bell hooks

Romain Bertrand et Jean Dytar 

160 pages – 34,95 euros

Co-éditions La Découverte et Delcourt – Paris – Octobre 2024

www.editions-delcourt.fr/bd/series/serie-les-sentiers-d-anahuac/album-les-sentiers-d-anahuac




Voir aussi :

500 ANS DE RÉSISTANCE AUTOCHTONE


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire