N’ayant atteint aucun de leurs objectifs, les États-Unis se sont retirés des pays qu’ils ont envahis : les talibans sont de retour en Afghanistan où ils n’ont pas pu imposer gouvernement, pas plus qu’en Irak et en Libye. Partout, les populations ont souffert inutilement. En marge de chacun de ces interventions, une possibilité de négociation subsistait en vue d’un accord, mais Ils ont choisi d’ « exerc[er] leur puissance à la manière d’une mafia » afin de protéger, avant tout, « les privilèges et la puissance de l'élite dirigeante des États-Unis et de leurs proches alliés en Europe, au Japon et dans une poignée d'autres pays ». Noam Chomsky et Vijay Prashad analysent ces conflits et leurs conséquences à l’aune du droit international.
Ce dernier cite abondamment ouvrages, articles et déclarations du premier pour éclairer ses prises de position, par exemple RESPONSABILITÉS DES INTELLECTUELS, texte d’une conférence prononcée en 1966, qui dénonce l’hypocrisie du monde intellectuel aux États-Unis. Chomsky témoigne de ses enquêtes au Vietnam et au Laos au 1970, qui lui ont permis de constater la destruction de l’hôpital de Than Hóa, que les États-Unis niaient avoir touché, ainsi que les conséquences des campagnes « secrètes » de bombardements contre le Laos : 580 000 missions de pilonnage entre 1964 et 1973 !
Par crainte que des pays rejoignent le camp communiste, Washington a recruté et armé massivement des forces afghanes et pakistanaises pour contrer le projet de la gauche en Afghanistan, et les Contras pour saboter les tentatives de réforme sociale au Nicaragua. Alors que l’URSS était prête à se retirer d’Afghanistan au début des années 1980, les États-Unis ont armé, entrainé et dirigé les moudjahidines, réveillant les concept de « djihad » et de « guerre sainte » en sommeil depuis des siècles dans le monde islamique, formant l’organisation Al-Quaïda. C'est pourquoi, « la CIA a qualifié les attentats du 11 septembre de “retour de flamme“ ». L’invasion et la guerre qui suivirent et durèrent 20 ans, étaient totalement injustifiées. En effet, dès le départ, les talibans ont proposé l’extradition de Ben Laden mais ce n’était nullement l’objectif, pas plus que le sort des femmes afghanes n’était une véritable préoccupation. 9,5 milliards de dollars appartenant à l’État afghan ont été bloqués dans des banques new-yorkaises, dans l’attente d’une décision des tribunaux statuant sur l’indemnisation des familles des victimes du 11 septembre ! Chomsky qualifie cette attitude d’ « impériale » et la rapproche des « dédommagements » versés par Haïti aux anciens propriétaires d’esclaves français, après la Révolution haïtienne de 1804 et jusqu'après la Seconde Guerre mondiale. Sans réel enjeu stratégique, l’invasion de l’Afghanistan ne servait qu’à montrer qu’il est vain de s’opposer aux États-Unis, à empêcher « la contagion » de se répandre. Il analyse le concept de « guerre préventive », qu’il assimile à « un crime de guerre », le « système du Pentagone » qui s’appuie sur le « complexe militaro-industriel » et le « keynésianisme militaire », ainsi que celui d’« exceptionnalisme américain » (qu’il conteste).
L’objectif d’attaquer l’Irak figure dans les notes prises par un conseiller du Secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld au cours d’une réunion qui a eu lieu dans l’après-midi du 11 septembre 2001. En 1990, Salam Hussein envahit le Koweït, pensant avoir le feu vert des États-Unis, puis propose de se retirer, comprenant aussitôt son erreur. Après le(s) retrait(s), les bombardements du pays ont continué tout au long des années 1990, tandis que les sanctions frappaient la population, dans l’attente d’un nouveau prétexte d’intervention. Alors que les communautés chiites et sunnites vivaient en parfaite entente, l’occupation américaine alluma le conflit confessionnel qui s’étendit ensuite au reste du moyen-Orient. Les auteurs contestent également les notions de « guerre juste » et d’ « intervention humanitaire », utilisées pour justifier des interventions militaires. Les pressions exercées pour empêcher l’Iran de détenir des armes nucléaires, tandis que celles d’israël continuent d’être niées, sont également évoquées.
Chomsky explique ensuite comment les États-Unis ont veillé à empêcher la mise en place de structures étatiques démocratiques dans les pays bouleversés par le Printemps arabe. Après la chute de l’URSS en 1991, la justification de l’existence de l’OTAN avait disparu. Sa mission a été redéfinie en 2014 : protéger le système d’approvisionnement énergétique mondial. Il montre qu’encore une fois la décision de bombarder la Libye a été prise avant que toutes les possibilités de négociation aient été épuisées. La destruction des infrastructures et des institutions a provoqué l'apparition de groupes terroristes, engendrant des guerres au Mali et au Nigeria, et des flux migratoires.
La subordination de l’Europe est interrogée, le déclin de la puissance américaine analysée.
Comme d’habitude, Noam Chomsky appuie ses démonstrations sur des citations précises et accablantes issues de documents et déclarations officielles : des faits, uniquement des faits.
Ernest London
Le bibliothécaire-armurier
LE RETRAIT
La fragilité de la puissance des États-Unis : Irak, Libye, Afghanistan
Noam Chomsky et Vijay Prashad
Traduit de l’anglais par Pascal Marmonnier
Préface d’Angela Davis
296 pages – 18 euros
Éditions Lux – Collection « Futur proche » – Montréal – Février 2024
luxediteur.com/catalogue/le-retrait/
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