Dans l’Angleterre du XVIIe siècle puis
dans les colonies nord-américaines au siècle suivant, une grande partie de la
population ne voulait être gouvernée ni par un roi ni par un parlement.
Pourtant, le système constitutionnel qui résulta de la révolte des fermiers des
colonies fut conçu pour « protéger la minorité des nantis de la
majorité » comme l’écrivaient James Madison, le principal rédacteur de la
constitution et John Jay, premier magistrat de la Cour suprême.
Au XXe siècle, les peuples sont étrangers
au système, cantonnés au rôle de spectateurs apathiques, passifs et obéissants,
autorisés périodiquement à choisir parmi les représentants du pouvoir privé.
Noam Chomsky rappelle que de la même façon, dans le
domaine socio-économique, il y a 150 ans en Nouvelle Angleterre, le travail
salarié était considéré comme une véritable forme d’esclavage par une grande
partie de l’opinion (y compris Abraham Lincoln, Le Parti Républicain et le New York Times) qui stigmatisait la dégradation et la
soumission induite par le système industriel naissant et arguait que ceux qui
travaillaient dans les manufactures devaient en être les propriétaires.
Au XXe siècle, l’industrie des relations
publiques a créé des besoins artificiels, enrégimenté l’opinion publique en
suscitant une philosophie de la futilité afin que les gens acceptent leur
existence dépourvue de sens et asservie, oublient l’idée subversive de prendre
le contrôle de sa propre vie. Ce projet d’ingénierie sociale s’applique à saper
la sécurité, par exemple en créant la menace de mutation professionnelle, en
renforçant la flexibilité du marché du travail, en supprimant les avantages et
les droits acquis.
La crise de la dette est une construction
idéologique attribuable aux programmes politiques de la Banque mondiale et du
F.M.I. des années 70 : c’est à la population de rembourser à travers de
sévères mesures d’austérité l’argent le plus souvent accaparé par des
dictatures. D’ailleurs, le montant de la dette latino américaine correspond grosso
modo au montant de la fuite des capitaux hors d’Amérique latine. Pourtant,
selon les principes capitalistes, c’est bien à l’emprunteur de payer et aux
prêteurs de prendre le risque. Ainsi, la dette inique est une arme de contrôle
puissante. Grâce à elle, la politique économique nationale de la moitié de la
population mondiale est dirigée par les bureaucrates de Washington.
La terreur effective disparaissant à la fin des les
années 80 en Amérique latine, une culture de la terreur résiduelle l’a
remplacée, détruisant les espérances, domestiquant les aspirations de la
majorité qui a renoncé à toute idée d’alternatives aux demandes des puissants. Ce
fut une réponse à l’équivalent mondial de la peur de la démocratie au plan
national.
En 1945 fut signé à la demande des États-Unis la
Charte économique des Amériques instaurant la fin du « nationalisme
économique sous toutes ses formes » (c’est-à-dire de la
souveraineté). Depuis, les Latino-Américains doivent éviter un
développement industriel « excessif », susceptible d’entrer en
compétition avec les intérêts des États-Unis. Il est désormais inacceptable de
mettre en place « des politiques visant à une distribution plus équitable
des richesse et à élever le niveau de vie des masses ». La liberté
d’accord, mais celle de faire les bons choix.
Les tentatives de prendre sa vie entre ses propres
mains au Guatemala, au Honduras, au Salvador, à Cuba, à Haïti, ont été
détruites par le terrorisme et l’étranglement économique.
John Dewey, le principal philosophe politique
d’Amérique affirmait que la démocratie perdait de sa substance lorsque la
société était dominée par un « féodalisme industriel ».
Il y a un siècle était accordé aux sociétés les
mêmes droits juridiques qu’aux personnes, processus qui ressemble fort à ce qui
se mettait en place à l’époque avec l’idéologie centraliste qui allait ôter le
pouvoir des mains des travailleurs pour le confier au parti, au comité central
puis au chef suprême.
Le conflit entre souveraineté populaire et pouvoir
privé est tel qu’a été signé à Montréal le « protocole de sécurité biologique »
instaurant la souveraineté du producteur en stipulant que les importations ne
pourront être interdites que sur la base de preuve scientifique et non
seulement au nom du principe de précaution. Par ailleurs les pratiques de
fixations des prix relèvent du monopole, appliquées en vertu de mesures
protectionnistes inscrites dans les accords dits de libre échange. Ainsi, des
dizaines de millions de personnes meurent dans le monde chaque année de
maladies curables du fait de menaces de sanctions commerciales qui empêchent
les États de produire des médicaments qui sauveraient ces vies à une fraction
du prix décrété par le monopole.
Le système de Bretton Woods a été conçu par les
États-Unis et l’Angleterre dans les années 40 pour réglementer les taux de change
et contrôler les flux monétaires. Ils s’agissait de mettre fin à la spéculation
ruineuse et nocive et de restreindre la fuite des capitaux car le libre flux
des capitaux instaure un « parlement virtuel » du capital mondial qui
a un pouvoir de veto sur les politiques gouvernementales qu’il juge
irrationnelles : le droit du travail, les programmes d’éducation et de
santé. Son démantèlement au début des années 70 a permis l’explosion du capital
spéculatif à très court terme, écrasant complètement l’économie productive.
La destruction du système économique d’après-guerre
s’accompagne d’une attaque contre la démocratie effective sous le slogan TINA (There Is No Alternative) qui n’est qu’une
supercherie. L’ordre socio-économique qu’on impose est bien le résultat de
décisions prises par des institutions. Les décisions peuvent être modifiées,
les institutions changées sinon renversées et remplacées, comme cela c’est vu
tout au long de l’histoire.
Loin d’être une simple dénonciation, la
démonstration de Noam Chomsky est redoutable car elle s’appuie essentiellement
sur les propos parfaitement lucides des instigateurs de ces politiques.
Synthétique et instructif.
SUR LE CONTRÔLE DE NOS VIES
Noam Chomsky
66 pages – 6,10 euros
Éditions Allia – Paris – août 2003
Transcription d’une conférence prononcée à
Albuquerque (Nouveau Mexique) le 26 février 2000.
Du même auteur :
LE CHAMP DU POSSIBLE
RESPONSABILITÉS DES INTELLECTUELS
Du même auteur :
L’AN 501, LA CONQUÊTE CONTINUE
LE CHAMP DU POSSIBLE
LA FABRIQUE DE L’OPINION PUBLIQUE - La Politique économique des médias américains
OCCUPYRESPONSABILITÉS DES INTELLECTUELS
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