Pour protester contre l’assassinat d’un de leurs camarades par la police, des étudiants entament une grève de la faim. Rapidement, les doutes et les tentations d’arrêter surgissent. Poète et dramaturge haïtien Jean D’Amérique interroge le sens et les moyens de la lutte, les limites – éventuelles – à l’engagement.
Comment ne pas échapper à « ses problèmes personnels » ? Lucien pense à sa mère, certainement en train de pleurer. Petit-homme le tance : « Pleurer, ce n’est pas lutter. » « Nous portons un autre drapeau, celui d’une autre douleur et qui concerne tout le monde. » Sarah lui rétorque que « nous demeurons des êtres humains ». Sauver sa « petite vie », est-ce laisser mourir sa dignité ? Ne faut-il pas motiver, « au lieu d’accuser » ? Ce pays serait-il libre aujourd’hui, si d’autres, avant eux, n’avaient pas fait des sacrifices, au cri de « Liberté ou la mort » ? Puis, d’autres questionnements apparaissent.
Sarah rédige un roman pour raconter le drame qui les a conduit là, « pour laisser au monde [un] témoignage ». La littérature peut-elle changer le monde ?
Et puis un frère appelle, un père vient, avant d’aller à l’usine, tenter de convaincre sa fille de rentrer à la maison.
Au-delà, la tentation de l’exil est aussi débattue.
Avec ce drame, Jean d’Amérique met en scène le débat idéologique sur l’engagement. Toutefois, les points de vue incarnés par ses personnages ne prennent jamais le pas leur histoire.
La seconde pièce de ce recueil laisse la parole à Yvana, tantôt « soleil », tantôt « poussière ». Elle raconte, dans une langue tumultueuse et d’une poésie profonde et fulgurante, violente même, les douleurs de son existence :
« j'aurais dû apprendre qu'il ne fallait pas naître
naître…
ça brûle, syllabe de feu au bout de la langue
Ça saccage, ça terrasse, ouragan dans la cervelle
ça frappe les âmes comme on coupe une chair
comme on fait recueil de lambeaux
ça sonne comme une étoile qui s'écrase contre l'asphalte
comme le soupir d'un profond néant
chanson désespérée d’abysses en quête d’auréoles
malgré le manifeste de stridence qui marque l'évènement, le fait est que la naissance a un pacte avec le silence, on doit attendre de grandir pour en faire quelque chose, le serrer au fond des entrailles pour nourrir la société constipée ou un jour – veille à ce qu'il ne soit pas trop tard – le vomir, vomir ce silence à la face de ceux qui font du bruit pour sa présence »
Elle raconte « [s]on enfance quatre murs autour », « un père qui alimente la bassesse en forçant sa route dans le creux des bas-ventres », ses amours contrariées,…
« depuis que j'ai cassé l'immense écran de mes illusions, je suis devenu une voix caverneuse qui s'affirme, un cri amer érodant le mirage des berceuses »
Toutefois, elle étudie, même si son frère cesse soudainement de financer ses études classiques. Elle lit, Simone Weil et Marie Vieux-Chauvet. « je me nourrissais en silence, petit à petit je creusais ma parole, parfois j'ai trouvé la force d'oublier mes souffrances, parfois j'ai trouvé la force de camoufler les rayons déchus de mon soleil, de froisser mon linceul de misère, souvent je n'étais rien, je voyais de temps en temps ma personne me fuir, mon étoile céder à la déchéance, souvent je constatais les abîmes prendre le sommet de mon être, sentais souvent que je n'étais rien, rien qu'une fêlure ardente que la souplesse des jours avait révoquée, à mesure que je débattais mes ailes, les mauvais vents gagnaient en armure, je n'étais plus rien, dans le champ des roses je n'étais rien qu'un déchet itinérant qui se voulait papillon »
Beau et puissant.
Ernest London
Le bibliothécaire-armurier
CHANTS DE GRÈVE
Suivi de AVILIR LES TÉNÈBRES
Jean d’Amérique
72 pages – 14 euros
Éditions Théâtrales – Montreuil – Avril 2025
www.editionstheatrales.fr/livres/chants-de-greve-avilir-les-tenebres-1787.html
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