Derrière ce titre racoleur qui annonce le pamphlet,
se cache une véritable analyse sociologique du vote frontiste appuyée sur de
nombreuses études dont celles du C.E.V.I.P.O.F., ventilant sur plusieurs
profils les différentes motivations des électeurs, parfois très
contradictoires. Chercheur au C.N.R.S., spécialistes des droites extrêmes,
Nicolas Lebourg s’adresse à ceux qui bientôt, pour la première fois, voteront
F.N.
À chacun de ses destinataires, il explique les
raisons de leur décision, commentant leur parcours et l’évolution de leur
pensée. Il leur démontre avec beaucoup de rigueur, d’intelligence et de données
statistiques en quoi ils se trompent.
Le professeur d’histoire-géographie justifie son
vote par son soutien à la laïcité et à la République qu’aurait trahies la
gauche. La fin de la transmission du patrimoine historique et identitaire du
pays par l’Éducation Nationale expliquerait sa vision mélancolique et
décliniste de l’histoire de France. L’imaginaire droitier du déclin est nourri
par cette dislocation des représentations qui alimenteraient les
communautarismes. Nicolas Lebourg lui répond que le viatique moraliste se
trompe de cible car notre système éducatif est le plus inégalitaire des 37 pays
de l’O.C.D.E. Restaurer l’autorité et la chronologie ne suffira pas. Encenser
« l’école du mérite » contre « la fabrique du crétin » est
le bavardage d’une société ankylosée, non une démonstration de raison.
À l’attention d’une retraitée de droite, il revient
sur l’histoire des relations ambigües entre sa famille politique et l’extrême
droite. Aujourd’hui, à force de lisser son discours, la droite n’a plus de
colonne vertébrale idéologique. Elle légitime le transfert des voies vers le
parti lepéniste lorsqu’elle cherche à lui ressembler.
Aux agriculteurs, il explique plutôt comment Marine
Le Pen a su si bien s’adresser à « la France des oubliés » que la
corrélation entre la disparition des services publics et des commerces de
proximité, l’isolement et le vote frontiste peut être constatée. Pourtant ses propositions
anti-réglementations sont avant tout démagogiques et n’envisagent pas de
réappropriation réelle des territoires.
À propos d’une caissière de Perpignan, il reproche
aux politiques en faveur des femmes de s’attaquer plus aux violences
symboliques (parité, féminisation des mots,… ) qu’aux violences sociales. Par
ailleurs, les interprétations nationalistes font écho au sentiment de
déclassement social réduit aux seules tensions interethniques. Prime est
accordée à ceux qui donnent du
sens aux expériences quotidiennes. L’interprétation ne devrait pourtant pas
suffire car elle n’annonce pas nécessairement de changement.
Rassuré par la volonté affirmée du Front National de
défendre la « civilisation judéo-chrétienne », c’est-à-dire
finalement le marché, l’Occident et l’ordre, l’électorat de confession juive
est passé de 4,5% en 2007 à 13,5% en 2012. Ce résultat des efforts de
dédiabolisation est en même temps son plus fort symbole. Mais la vie en société
n’est pas un choc permanent des civilisations, un projet vraiment collectif ne
peut souscrire à un système multicommunautaire.
Le gendarme de Nantes est bien évidemment légaliste
et républicain mais il réclame une politique autoritaire face à ce qu’il
considère comme une désintégration de la société en communautés antagonistes
dans laquelle les « autres » seraient organisés et la gauche au
pouvoir à leur service.
Le F.N. réussi un grand écart entre les groupes
sociaux, s’adressant autant au médecin d’Aix-en-Provence craignant le
déclassement et qui a quitté Marseille parce qu’il ne s’y sentait plus
« chez nous », qu’au précaire d’Hénin-Beaumont convaincu que la
« préférence nationale » sera un instrument de redistribution
sociale.
La demande autoritaire et de respect de la
hiérarchie méritocratique libérale du premier, n’est plus suffisamment prise en
compte par la droite. La réponse du FN n’est cependant « apaisée »
que sur le papier.
L’identité éthno-nationale a remplacé la conscience
de classe du second et son souhait de justice passe par des valeurs
profondément discriminatoires. Pourtant les gestions municipales du F.N.
montrent qu’il n’est pas si simple d’aller au-delà de l’agitation islamophobe.
Même l’étudiant gay est devenu l’image d’Épinal du
nouveau F.N. depuis l’éthnicisation des questions sociales.
Cette approche par segments sociaux professionnels,
confessionnels, géographiques permet une lecture critique du programme du F.N.,
un décryptage de sa stratégie de communication. Les analyses chiffrées et documentées
de Nicolas Lebourg sont riches d’enseignements, très utiles pour comprendre le
phénomène dans toute sa complexité et dépasser les commentaires habituels trop
souvent réducteurs.
LETTRES AUX FRANÇAIS QUI CROIENT QUE CINQ ANS
D’EXTRÊME DROITE REMETTRAIENT LA FRANCE DEBOUT
Nicolas Lebourg
138 pages – 13,90 euros.
Éditions Les Échappés – Paris – août 2016
Donc si je comprends votre point de vue, vous dites que le Front National est choisi par différents électeurs pour différentes raisons. Ok, dontact. Donc pour vous tout les autres partis (LR, PS, Front de gauche, les Verts, UDI) n'auraient que des electeurs bien "droit dans leurs bottes" 100% d'accord avec les idées de chacuns de leurs partis ? La j'en doutes fortement, il suffit de regarder à droite (les 2 favoris tirent l'un a droite, l'autre a centre voir à gauche) Il suffit de regarder notre président (élu comme étant "l'ennemi de la finance et faisant tout le contraire au bout d'un an et demi, et entrainant par la des frondeurs et plus de la moitié des partisans socialiste a rendre leurs cartes !)
RépondreSupprimerJ'ai donc beaucoup de mal à juger de votre texte, certes bien ecrit et d'un beau verbe mais qui dans le fond ne fait pas avancer vraiment le "schmilblick"!
Bonjour Olivier Barrière. Cette chronique n'est qu'un compte-rendu de lecture de l'ouvrage de Nicolas Lebourg. Il ne s'agit nullement de mon point de vue personnel. Bien sûr qu'il existe une grande diversité de motivations de vote pour tous les candidats. Aucun ne peut revendiquer un socle électoral monolithique vous avez parfaitement raison. L'intérêt de son analyse est de permettre une compréhension fine de l'évolution de certains électorats, de saisir comment ils ont rejoint le Front National. Il évoque et explique d'ailleurs également leurs désillusions en cas de victoire. Ce livre n'a pas d'autre ambition.
RépondreSupprimerMerci en tout cas pour votre remarque qui m'a permis d'éclaircir ce qui ne l'était peut-être pas.