Dans un rapide prologue d’à peine plus de trois pages, il expose clairement sa position, avant de revenir sur l’enchaînement des événements qui l’ont contraint à quitter les États-Unis. Il ne prône pas la violence en soi ou en vue de représailles contre les Blancs, et n’est pas opposé à la résistance passive défendue par Martin Luther King et d’autres. Il croit à « la souplesse dans la lutte pour la liberté », à la tactique non-violente lorsqu’elle est possible : « La désobéissance civile de masse est une arme puissante dans des conditions civilisées, là où la loi garantit aux citoyens le droit de manifester pacifiquement. Dans une société civilisée, la loi sert à dissuader les forces illégales qui voudraient détruire le processus démocratique. Mais lorsque la loi est violée, le citoyen individuel a le droit de protéger sa personne, sa famille, son foyer et sa propriété. »
Il explique comment, lorsque le sang des Blancs risque d’être répandu, « les autorités locales du Sud font subitement respecter la loi et l’ordre, alors qu’auparavant elles étaient complaisantes envers la violence raciste sans foi ni loi » et que le gouvernement fédéral est, de même, davantage encouragé à faire respecter la loi et l’ordre, si les autorités locales, de mèche avec le Ku Klux Klan, ne le font pas, lorsque des incidents raciaux provoqués par l’autodéfense attirent l’attention de monde sur la situation dans le Sud. « L’autodéfense a évité le bain de sang et a forcé la loi à rétablir l’ordre. »
Il revient sur le blocus, en juin 1961, de la piscine municipale, interdite aux Noirs alors que ceux-ci, depuis 1957, demandaient, non pas l’intégration mais le droit de l’utiliser un jour par semaine. Un massacre a été évité parce que Robert F. Williams a sortit ses armes et menacé de s’en servir pour se défendre.
En 1957, il avait repris, avec le docteur Albert E. Perry, la section locale de la NAACP, rapidement considérée comme la plus militante grâce à un recrutement de composition ouvrière et une forte représentation d’anciens combattants, provoquant la colère du Ku Klux Klan. Ils ont échangé des coups de feu avec le Klan lors d’une attaque contre la maison du docteur, faisant cesser immédiatement les raids. Et les autorités municipales qui avaient affirmé que le Klan avait le droit constitutionnel de s’organiser, ont soudain interdit sa présence à Monroe sans autorisation spéciale du chef de la police. Deux semaines plus tard un affrontement entre les indiens et le Klan a longuement été commenté par la presse nationale, parce que cette communauté ne représentait pas une menace, alors que ces événements de Monroe ont été complètement tus par la presse blanche.
En 1959, il organise la défense de madame Ruth Reith devant les tribunaux, alors qu’enceinte de huit mois, elle a été victime d’une tentative de rapt de la part d’un Blanc qui l’avait battue. À la suite de l’acquittement du ravisseur, il déclare que « la démonstration qui a été faite aujourd’hui, c’est que le Noir du Sud ne peut pas espérer obtenir justice devant les tribunaux. Il doit condamner ses agresseurs sur-le-champ. Il doit répondre à la violence par la violence, au lynchage par le lynchage. » Il n’imaginait pas l’onde de choc qu’il allait déclencher à l’échelle du pays, avec toutefois le mérite de provoquer un débat sur la question. La NAACP le suspend aussitôt de ses fonctions. Il entreprend alors de publier un bulletin d’information qui pourrait informer le Noirs et les Blancs sur les luttes de libération des Afro-Américains aux États-Unis. Le premier numéro de The Crusader paraît le 26 juin 1959.
Lors de la campagne de sit-in organisée en 1960, il y avait moins de violence à Monroe qu’ailleurs, parce qu’ils s’étaient montrés déterminés et prêts à se battre. Aucun manifestant ne s’est fait cracher dessus alors que dans les autres communautés, les Noirs se faisaient casser le crâne. Preuve que « l’autodéfense et la non-violence pouvaient être combinées avec succès ».
Les luttes des Freedom Riders et les mouvements des sit-in étaient concentrés sur des revendications marginales, revendiquées, en cas de concession, comme de formidables progrès, par les « leaders » noirs. « Il est important pour les racistes de maintenir ces formes périphériques de la ségrégation. Elles établissent une atmosphère qui entretient un système. En dépréciant et démoralisant l’homme noir sur de petits sujets personnels, le système ronge le sens de la dignité et de la fierté, qui sont nécessaires pour défier le système raciste. » C’est pourquoi Robert F. Williams prétend s’en prendre aux maux fondamentaux, notamment avec son programme en dix points présenté au conseil municipal en août 1961.
Lorsque les Freedom Riders forment un comité d’action à Monroe, il refuse de leur prêter serment de non-violence mais annonce qu’il deviendra pacifiste s’ils obtiennent le moindre recul des racistes par des méthodes non-violentes. Alors qu’il protège chez lui un couple de provocateurs blancs menacés de représailles, il est accusé de kidnapping et doit prendre la fuite au Canada puis à Cuba. Il raconte longuement la campagne de calomnies orchestrée par la presse.
Il inscrit son combat dans la longue tradition américaine de l’autodéfense et explique le fonctionnement du racisme : « On ne peut desserrer le carcan de l’oppression pas un appel à la conscience de l’oppresseur. Le changement social dans un domaine aussi fondamental que l’oppression racial implique la violence. » Le racisme est « une psychose de masse ». « L’existence de la violence est au coeur même d’un système raciste. » « Quand les gens disent qu’ils sont opposés aux Noirs « ayant recours à la violence », ce qu’ils veulent vraiment dire c’est qu’ils sont opposés aux Noirs qui se défendent et qui s’opposent au monopole de la violence pratiquée par des Blancs racistes. »
Il se défend aussi des accusation de communisme, expliquant qu’aux États-Unis tous mouvement pour l’équité et la justice sociale, pour les droits de l’homme, pour la dignité humaine, est immédiatement qualifié de communiste. Il rappelle aussi que les Noirs se sont révoltés contre leur oppression bien avant la naissance de Karl Marx. « C’est l’oppression raciale elle-même qui pousse le Noir à la révolte. » De même, il réfute l’étiquette de « nationaliste noir » toute aussi dépourvue de sens.
Dans sa préface, l’éditeur explique que Robert F. Williams fit partie de la génération de soldats noirs revenus de la guerre de Corée qui osèrent répondre à la menace des armes par les armes.
Témoignage remarquable et édifiant.
NEGROES WITH GUNS
Des Noirs avec des flingues
Robert F. Williams
Préface de Judith Carpenter
114 pages – 10 euros
Éditions Les Bons caractères – Pantin – Mai 2019
Première éditions : Marzari & Mansell, NY, 1962 – USA
https://www.lesbonscaracteres.com/
Voir aussi :
DE L’ESCLAVAGE : PLAIDOYER POUR JOHN BROWN de Henry David Thoreau
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