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4 novembre 2019

NOTRE ENVIRONNEMENT SYNTHÉTIQUE - La Naissance de l’écologie politique

En 1962, six mois avant la publication du PRINTEMPS SILENCIEUX de Rachel Carson, Murray Bookchin passe en revue les causes de la très rapides détérioration de l’environnement naturel aux États-Unis, conséquence de l’accélération du développement du capitalisme après la Seconde Guerre mondiale.

Si les hommes d’aujourd’hui ont développé un contrôle pratiquement complet des forces de la nature qui dominaient leurs ancêtres, tous les progrès réalisés ne sont pas seulement bénéfiques. « Les transformations récentes dans notre environnement de plus en plus synthétique ont créé des problèmes nouveaux, aussi nombreux que ceux que rencontraient les hommes du passé » : pollution urbaine, alimentation industrielle, travail sédentaire,… Si les changements environnementaux favorisant la tuberculose sont facilement identifiables, les relations entre les changements environnementaux et les maladies dégénératives (maladies cardiaques, cancers, arthrose et diabètes)  dont le nombre a considérablement augmenté, sont plus difficiles à mettre en évidence en raison de l’impossibilité d’isoler un facteur précis. Murray Bookchin soutient que tout désordre sérieux subi par la terre ou les plantes et les animaux, toute atteinte à un équilibre naturel à peu près stable, portent atteinte au corps humain et il va s’employer à le démontrer point par point, en s’appuyant sur de très nombreuses recherches scientifiques que nous ne pourrons pas citer en détail.


« Un sol est composé d’une grande diversité de vies et de choses inanimées, de matière animale et végétale à différents niveaux de décomposition, de particules rocheuses, de minéraux, d’eau et d’air. Un sol est toujours en formation. Il abandonne sa substance nutritive au vent, à l’eau, aux plantes et se régénère grâce à l’écoulement des rochers, la putréfaction des plantes et des animaux morts, et les activités sans fin de la vie microbienne. Le sol est cette scène dramatique où la vie et la mort se complètent, où la décomposition des uns nourrit la régénération des autres. » « L'homme exploite la terre qui le nourrit à la manière d’un parasite qui se multiplie jusqu’à ce qu’il tue son hôte. » Si l’agriculture a toujours altéré « le cosmos de la terre » (Les cultures carthaginoises ont fabriqué un désert qui n’a cessé de s’étendre et remonte maintenant jusqu’en Europe par l’Espagne.), son industrialisation, recherchant toujours une production à moindre coût, dépendante de la chimie de synthèse pour nourrir les sols et contrôler les insectes invasifs, détruit de nombreux espaces naturels, artificialise les sols et aboutit à une « culture hydroponique ». Un sol « surfertilisé » peut augmenter le rendement mais réduit la qualité nutritive des plantes, accroissant leur teneur en glucides notamment et réduisant celle en protéine, contribuant à la fragilisation de la santé publique. Avec la révolution industrielle, le progrès fut identifié au pillage de la nature, ne pouvant être limité par aucune loi naturelle. La simplification des systèmes écologiques avec la culture d’une seule variété sur de grandes étendues, la production mécanisée des récoltes, les traitements chimiques ont favorisé les invasions, rares et épisodiques auparavant, désormais persistantes et sérieuses. L’épandage non sélectif sur les prairies et les rivières constitue un « véritable boomerang écologique ». Les insectes deviennent invasifs après destruction de leurs parasites, oiseaux et rongeurs, par le DDT. De plus, nombres d’espèces nuisibles développent des souches résistantes aux insecticides.
« L’homme moderne défait le travail de l’évolution de la vie, remplaçant un environnement complexe par un autre plus simple. Il démonte la pyramide biotique qui a soutenu la vie humaine pendant d’incalculables millénaires. »


« D’un point de vue biologique, l’univers urbain austère et monotone, fait de béton, d’acier et de machines, constitue un environnement relativement frustre et la forte division du travail propre à l’économie moderne et urbaine impose des activités extrêmement limitées et ennuyeuses à nombre d’individus vivants dans les grandes cités. » À ses débuts, la ville se développait « au sein d’une matrice agricole ». « À la différence d’aujourd’hui, le citadin n’était jamais entièrement urbanisé. » Aujourd’hui, de nombreux aspects de la vie dans les métropoles aggravent les effets propres au travail urbain : le stress qui engendre des maladies chroniques, la pollution de l’air urbain, de l’eau.


« Les produits chimiques sont utilisés à presque tous les stades de la production, du stockage et de la mise sur le marché des aliments. Il est difficile de trouver un seul produit alimentaire commercialisé qui n’ait pas été exposé à un composant chimique à un moment ou à un autre de sa culture ou de sa transformation. » Des résidus d’insecticides, de plus en plus meurtriers et utilisés avec de moins en moins de discernement, se retrouvent dans l’alimentation. Les hydrocarbures chlorés et les phosphates organiques notamment, sont puissamment toxiques pour le système nerveux. L’usage de médicaments pour engraisser les poulets, transformant leur nourriture en graisse plutôt qu’en protéines, est une fraude économique. L’usage d’oestrogènes de synthèse puis d’antibiotiques pour accélérer considérablement la croissance des animaux domestiques, détraque la physiologie du vivant. Des problèmes complexes de stockage, nettoyage, manipulation raffinage, cuisson, mélange, chauffage, conditionnement, etc sont souvent réglés par  l'
utilisation d’additifs chimiques. Des additifs alimentaires, conservateurs, colorants, sont utilisés pour compenser les défauts de fabrication et de qualité des produits. La combinaison et la métabolisation des différents produits chimiques alimentaires pourraient causer des actions allergiques susceptibles de passer inaperçues pendant des années.


Des produits chimiques introduits dans nos aliments sont susceptibles d’accroître le potentiel cancérigène d’autres produits connus pour leur nocivité, tout en échappant à l’attention des chercheurs. De nombreux cancers sont discrets, se développent lentement et imperceptiblement et la faible exposition de millions d’individus à des composés industriels « bénins » pendant de très longues périodes, pourrait coûter un lourd tribu en vies humaines.


L’utilisation des rayons X n’est pas suffisamment réglementée et les déchets radioactifs introduits dans l’environnement humain sont hors de contrôle, contaminant l’eau, l’air, la nourriture, irradiant chacun d’entre nous.


« L’homme n’aurait jamais pu progresser au-delà d’une existence précaire s’il n’avait pas consciemment altéré et façonné son environnement naturel d’une telle façon qu’il favorise la vie humaine. Cette transformation a eu lieu au détriment des autres espèces et, dans une certaine mesure, par la violation de vieilles relations écologiques. La civilisation s’accomplissait par le déboisement, le drainage des marécages, la lutte contre les animaux prédateurs, le remplacement de nombreuses plantes sauvages par des plantes alimentaires, la fertilisation du sol, la culture des terres, l’exploration de la terre pour en extraire combustible et métaux – en résumé, par un réagencement du monde naturel pour satisfaire les besoins humains en nourriture, abris et repos. L’homme moderne dispose maintenant du pouvoir, de la connaissance et des ressources pour faire considérablement mieux que ses ancêtres et que les sociétés des peuples premiers. (…) La technique peut libérer le corps et le cerveau des hommes de la plupart des travaux ingrats et les rendre ainsi disponibles au service d’activités épanouissantes. (…) Mais ni la science ni la technique ne peuvent constituer un substitut à une relation équilibrée entre l’homme et la nature. »


Murray Bookchin invite à mieux prendre en compte l’environnement et l’histoire des individus pour traiter les maladies qui les affectent. Il accuse la législation fédérale sur l’alimentation et les médicaments de n’être qu’un « compromis médiocre, instable, entre les intérêts de l’industrie alimentaire et les demandes en provenance de l’opinion publique » qui ne sont, en règle générale, prises en compte que de façon indirecte. « Avec, d’un côté, le déclin de la qualité de vie urbaine et, de l’autre, des déséquilibres croissants dans l’agriculture, une confluence remarquable des intérêts humains avec ceux du monde naturel commence à apparaître. » Il préconise une décentralisation qui « ne constituerait ni un complet retour vers le passé ni une accommodation banlieusarde avec les temps présents », des villes de taille moyenne combinant industrie et agriculture, instaurant un équilibre entre société et nature. « La décentralisation urbaine est une condition nécessaire pour que des espoirs d’un contrôle des pestes agricoles deviennent réalité. »


Cette étude, datant de 1962, rappelons-le, frappe par son actualité. Les mises en garde et les recommandations de Murray Bookchin sont globalement restées lettres mortes. Bien sûr, les analyses et les connaissances scientifiques ont progressé, les ouvrages de Fabrice Nicolino et Marie-Monique Robin, par exemple, permettent une mise à jour, mais l’état des lieux demeure et ses propositions restent aussi peu écoutées. Difficile de prétendre qu’on ne nous avait pas prévenu !




NOTRE ENVIRONNEMENT SYNTHÉTIQUE
La Naissance de l’écologie politique
Murray Bookchin (Lewis Heber)
Traduction de Denis Bayon
Introduction de William Albrecht
282 pages – 14 euros
Éditions Atelier de création libertaire – Lyon – Avril 2017
http://www.atelierdecreationlibertaire.com
Première édition : Our Synthetic Environment – Knopf editor – 1962




Du même auteur :

L’ÉCOLOGIE SOCIALE – Penser la liberté au-delà de l’humain

QU’EST-CE QUE L’ÉCOLOGIE SOCIALE ?

POUR UN MUNICIPALISME LIBERTAIRE

 

Voir aussi :

ÉCOLOGIE OU CATASTROPHE - LA VIE DE MURRAY BOOKCHIN

 

 



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