12 juillet 2022

PRINTEMPS SILENCIEUX

Paru en 1962, Printemps silencieux marque la naissance du mouvement écologique. En dénonçant les dangers invisibles des pesticides et autres produits chimiques, Rachel Carson provoqua alors l’interdiction du DDT aux États-Unis.
Des centaines de millions d’années ont été nécessaires pour produire la vie sur la Terre. Animaux et végétaux se sont développés, ont évolué et se sont diversifiés pendant des siècles. La rapidité actuelle des changements, la vitesse à laquelle se créent des situations nouvelles ne laissent plus à la vie le temps de s’adapter. Contrairement aux minéraux arrachés aux roches et transportés par les cours d’eau, les produits de synthèses imaginés par l’homme et fabriqués dans ses laboratoires pour tuer les insectes, les mauvaises herbes et tout ce qu’il considère comme « nuisible », n’ont pas d’équivalent naturel et ne laisse pas le temps à la nature de s’adapter à eux. Cinq cents nouveaux produits sont produits chaque année aux États-Unis. Un usage sans cesse croissant des pesticides est nécessaire pour maintenir à son niveau la production agricole, bien qu’il faille déjà gérer une surproduction croissante. « Tout au long de l’agriculture prémoderne, les insectes ne posaient quasiment pas de problèmes aux paysans. Les ennuis sont apparus avec l’intensification de l’agriculture – lorsque l’on a commencé à consacrer d’immenses superficies à une seule récolte. » La dissémination des espèces végétales hors de leur territoire d'origine s'accompagne toujours d'une introduction d'insectes qui, libérés des agents naturels qui limitaient leur expansion, se multiplient considérablement. Rachel Carson ne réclame pas l'interdiction totale des insecticides chimiques mais dénonce l'ignorance de leurs utilisateurs et celle de tous ceux qui sont en contact à leur insu avec ces poisons. « Notre époque est celle de la spécialisation ; chacun ne voit que son petit domaine, et ignore ou méprise l’ensemble plus large où cependant il vit. Notre époque est aussi celle de l’industrie ; personne ne conteste à son prochain le droit de gagner un dollar, quelles que soient les conséquences. »

Elle revient sur l’origine militaire de l’industrie chimique et son développement après la Seconde Guerre mondiale, aux dépends des pesticides inorganiques utilisés jusque-là. Les insecticides de synthèse, beaucoup plus dangereux, se répartissent en deux groupes : les hydrocarbures chlorurés (dont le DDT) et les corps phosphorés organiques (malathion et parathion par exemple). Les substances chlorurés sont si actives qu'une quantité infime peut provoquer des altérations considérables dans les corps vivants. Pénétrant dans l’organisme, elles s'accumulent sans s’éliminer, notamment dans les graisses, et constituent une menace d'empoisonnement chronique et de dégénérescence des organes comme le foie ou les reins. Elles passent d’un organisme à l'autre en suivant la chaîne alimentaire. Rachel Carson présente les caractéristiques et les particularités de quelques produits : la dieldrine, l’aldrine, l’endrine. Quant aux phosphores organiques, ils détruisent les enzymes, dont le travail est indispensable à la vie. De plus l'interaction entre deux produits dangereux multiplie leurs effets.
Elle explique comment la pollution des eaux est une menace de contamination générale. De même, le fragile équilibre des sols, entretenu par une myriade d’organismes (bactéries, champignons, spirogyres, acariens et insectes primitifs, vers de terre, etc), est également menacé par ces poisons, tout comme le « manteau végétal » qui soutient la vie animale de la Terre. Au contraire des aspersions chimiques, qui doivent être répétées, l’action biologique est moins onéreuse et moins dangereuse : la limitation des végétaux, comme la lutte contre certains organismes, peuvent être résolues par l’observation et l’imitation de la nature. Elle donne plusieurs exemples de campagne de pulvérisation, leurs désastreuses conséquences et des solutions biologiques qui paraissent infiniment plus adaptées. « Ces insecticides ne sont pas des poisons sélectifs ; ils n’identifient pas l’espèce particulière que nous voulons supprimer ; on les utilise uniquement à cause de leur virulence. Ils détruisent toutes les vies qu’ils rencontrent : le chat dans la maison, le bétail dans la ferme, le lapin dans le champ, l’alouette dans le ciel. » Les oiseaux qui, pourtant, ralentissent la multiplication des insectes, sont victimes des pulvérisations qui les intoxiquent et suppriment leurs aliments. La contamination des denrées alimentaires, par exemple, parait difficile à réglementer du fait que l’addition de doses « inoffensives » conduise à des intoxications impossibles à mesurer. Aussi Rachel Carson propose-t-elle « la suppression de toute tolérance sur tous les toxiques violents ». « Dans les circonstances présentes, notre sort n'est guère plus enviable que celui des invités des Borgia. » Les effets différés de petites quantités de pesticides invisibles absorbées par l'ensemble de la population, sont particulièrement inquiétants. Et jamais, pendant le derniers milliard d’années, menace n'a pesé, aussi lourde et directe, sur « l'exactitude presque inimaginable » de la transmission héréditaire, que celle des radiations et des produits chimiques créés et répandus par l’homme. La résistance des insectes aux produits représente elle aussi un sérieux danger.
Les recherches sur les méthodes biologiques dans les universités ne sont pas subventionnées car n'offrent pas les fortunes promises par les produits chimiques. Pourtant, pour garantir la préservation de notre terre, Rachel Carson soutient la nécessité d’élaborer des « armes nouvelles à partir des caractéristiques biologiques des insectes eux-mêmes ». Et les exemples ne manquent pas.

Ouvrage d'une prodigieuse limpidité. S'il permit en son temps, par son succès public, une prise de conscience massive et l'interdiction du DDT aux États-Unis, l'usage des insecticides n’en demeure pas moins prédominant, soixante ans plus tard. Comme pour
NOTRE ENVIRONNEMENT SYNTHÉTIQUE - La Naissance de l’écologie politique de Murray Bookchin, paru six mois plus tôt, ou le Rapport Meadows en 1972, il semble que ces alertes lointaines soient restées lettre morte. Que de temps perdu !


Ernest London
Le bibliothécaire-armurier


PRINTEMPS SILENCIEUX
Rachel Carson
Traduction de Jean-François Gravand révisée par Baptiste Lanaspeze
Préface d’Al Gore
336 pages – 20 euros
Éditions Wildproject – Marseille – Mai 2022
wildproject.org/livres/printemps-silencieux-60
Titre original : Silent Spring, 1962



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