Pour quoi faire ?

19 mars 2020

STEACK MACHINE

Journaliste indépendant, Geoffrey Le Guilcher se bricole un faux CV pour se faire embaucher comme intérimaire dans un abattoir industriel en Bretagne qui génère un milliard d’euros de chiffre d’affaires annuel en abattant deux millions d’animaux, ce qui représente en moyenne 600 boeufs et 8 500 porcs par jour. Récit.

Remontant aux abattoirs de Chicago, décrits par Upton Sinclair dans LA JUNGLE, il raconte brièvement l’histoire de la mécanisation du travail. « L’abattoir est le dinosaure qui a permis la naissance de l’ère de la consommation de masse. Un vieil animal toujours bien vivant. »
Semaine après semaine, il raconte ses journées de travail, ses premières douleurs, ses premiers rêves animaliers. Arrivant très tôt au travail, il profite de toutes les occasions pour recueillir les témoignages de ses collègues et rapporte fidèlement, et anonymement, leurs états d’âme ainsi que les différentes maladies professionnelles qu’ils ont bien du mal à faire reconnaître comme telles. « Les abattoirs, comme n’importe quel employeur, payent des cotisations en fonction de leur « sinistrabilité », c’est-à-dire en fonction du nombre de maladies professionnelles et d’accidents du travail qu’ils génèrent », lui explique une médecin-conseil à la Caisse nationale d’assurance maladie (CNMA). « Ils ont donc intérêt à contester l’origine professionnelle d’une maladie, sinon cela va majorer leurs cotisation. » La docteure du village lui explique les conséquences de la chaîne sur les corps des ouvriers : canal carpien, tendons des épaules qui s’usent de façon accélérée, lombaires,…
Profitant de soirées entre collègues avec qui il a particulièrement sympathisé, il obtient des confidences : « Si tu bois pas, que tu fumes pas, que tu te drogues pas, tu tiens pas à Mercure, tu craques. »
Il détaille des enquêtes réalisées par les Caisses bretonnes de la MSA pour comprendre pourquoi les employés s’enfuient. Conditions de travail physiquement astreignantes et méthodes managériales sont longuement et minutieusement dénoncées mais les rapports seront enterrés.
Il tente de pénétrer par ruse dans une zone confinée : la « tuerie », et interroge différents ouvriers postés dans ce secteur. Il comprend que les cadences ne permettent pas de s’assurer que les animaux sont bien morts alors qu’on commence à les dépecer. Selon un rapport de l’INRA, 16% des vaches et 25 % des veaux quitteraient la saignée sans être morts.
Catherine Rémy, sociologue au CNRS, a expliqué devant la commission d’enquête parlementaire sur les abattoirs, déclenchée par la diffusion de vidéo par l’association L214, qu’à la fin du XVIIIe siècle, les autorités ont créé les abattoirs pour régler les nuisances sanitaires mais aussi parce que le spectacle de la mise à mort rendrait les hommes violents entre eux. « L’ouvrier est le seul à vivre toute la journée au coeur du mensonge. Soit il devient violent contre ces animaux qui refusent de lui faciliter une tâche déjà pénible, soit il « s’habitue » (…) en cultivant du mieux qu’il peut son insensibilité, soit il arrête son métier. » « L’occultation totale du sort réservé aux animaux est le pillier de la consommation de masse de viande. »


Cette immersion de Geoffrey Le Guilcher permet de montrer l’inacceptable qui est précisément invisibilisé : mises à mort ratées et souffrance au travail. Lecture sans doute plus vivante qu’un essai sur le même sujet.


 


STEACK MACHINE
Geoffrey Le Guilcher
192 pages – 12 euros
Éditions Goutte d’or – Paris – Janvier 2016
www.editionsgouttedor.com

Certains chapitres ont été adaptés en bandes dessinées et publiés dans LA REVUE DESSINÉE#19


 


Du même auteur :

SARKOZY KADHAFI - Des Billets et des bombes

LA REVUE DESSINÉE#19



Voir aussi :

À LA LIGNE

LA JUNGLE





Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire