Pour quoi faire ?

19 novembre 2020

L’OR NÈGRE

Partie enquêter sur la mine d’or de Sadiola au Mali, Camille de Vitry découvre les conditions de travail des ouvriers, les contaminations des eaux, des sols et des populations, le financement de cette exploitation privée par l’aide publique française au développement, le vol pur et simple.

Assumant totalement un récit à la première personne, elle commence naturellement par se présenter, évoquer l’église Saint-Bernard qu’elle a rejoint pendant l’été 1996, cessant de s’alimenter en solidarité avec les Africains grévistes de la faim. L’évacuation par les Gardes Mobiles le 23 août, à coup de hache et de gaz lacrymogènes en présence d’enfants de quelques jours, sera pour elle, une scène marquante et déterminante. Elle présente les films documentaires qu’elle a réalisés, au Mali, parle de sa rencontre avec François-Xavier Verschave, avec qui elle projette de co-écrire ce livre. Il complètera régulièrement son propos par des précisions géopolitiques, mais décédera avant de pouvoir terminer.

Des entreprises internationales ont commencé à prospecter au Mali en 1996-1998. L’or arrive en tête des exportations du pays, devant le coton et le bétail sur pied. La Société d’exploitation des mines d’or de Sadiola (SEMOS) est détenue par la société canadienne Iamgold (dont la devise est « They Believe in gold. ») et la sud-africaine Anglogold. L’État malien détient 18% des parts et la Société financière internationale du Groupe Banque mondiale 6%. La SEMOS affirme extraire quinze millions de tonnes de minerai chaque année, dont les deux tiers ne présentant pas de teneur en or suffisante sont immédiatement rejetés. Le dernier tiers est traité au cyanure, nettoyé à l’acide avant d’être rejetée sous forme de boues toxiques. Trois grammes d’or par tonne sont extraits et exportés. Camille de Vitry raconte ses visites du village de Sadiola, de la mine, ses rencontres avec beaucoup d’employés, du bas au plus haut de l’échelle. Un ancien médecin décrira ces lieux comme soumis à un « régime d’apartheid » : « Les médicaments ne sont pas les mêmes pour les Noirs et les Blancs. » Par hasard, elle parvient parfois à glaner des informations extrêmement précises : une livraison de deux-cents tonnes de cyanure qui pourrait se répéter… tous les jours ! À Montreuil, les anciens ouvriers qu’elle rencontre dans un foyer qui abrite le siège de l’Association des ressortissants de Sadiola (ARSF), sont beaucoup plus loquaces, sans crainte de perdre leur emploi : syndicalistes licenciés, accidents du travail, etc.
Elle comprend le montage financier de cette exploitation aux trois quart privée : assurance du risque politique par une filiale de la Banque mondiale, prêts de l’Agence française de développement, etc. Avec beaucoup de persévérance, elle finit par avoir confirmation que le bassin de boue qui recueille des milliers de tonnes de cyanure en plein air n’a aucun revêtement ! Dans les villages situés à quelques centaines de mètres seulement, les femmes font des fausses couches en hiver, quand le lac déborde et empoisonne les puits. Nous ne pourrons évidemment rapporter ici tout ce qu’elle découvre : les vieux camions sans frein, l’eau coupée à la population en été pour fournir l’usine, et surtout les vols qui partent de Sadiola sans faire le plein de passager pour ne pas surcharger l’appareil et pourraient transporter dans leurs soutes, chaque jour, de l’or non déclaré. Elle démasque aussi le responsable de « l’arnaque originale », Birama Samaké, qui, ingénieur des mines pour l’État malien dans les années 1980, dissimula l’importance du filon découvert dans la vallée du Kéniéba. La société qui l’emploie aujourd’hui à un poste à haute responsabilité, a ainsi pu rafler la licence d’exploitation pour une somme dérisoire : 3 millions de dollars pour un gisement qui dégage chaque année cent millions de dollars de bénéfices. Les compagnies bénéficient également de généreux avantages fiscaux et juridiques. Elle découvre également que la teneur en or varierait entre 2 et 27 grammes par tonne, bien loin des 3 déclarés officiellement ! Les volumes extraits sont aussi beaucoup plus important : vraisemblablement 50 tonnes par an. Sur la base d’une teneur de 3 grammes/tonne, on serait donc très loin des 15 tonnes d’or annuelles déclarées.
Au cours de son enquête elle subit régulièrement menaces, tentatives d’agression, de corruption, de discrédit mais reçoit aussi beaucoup de soutien.

On s’attend certes à trouver un système prédateur et toxique, mais la réalité est bien loin de tout ce qu’on peut imaginer. L’implication de l’auteur dans son récit rend cette enquête très vivante et largement accessible. Aussi terrifiant que scandaleux.


L’OR NÈGRE
Camille de Vitry, avec les ressortissants-e-s de Sadiola
Avec la participation de François-Xavier Verschave
178 pages – 5 euros.
Éditions Tahin party – Lyon – Mai 2009
http://tahin-party.org/de-vitry.html



Voir aussi :

NI OR NI MAÎTRE - Montagne d’or et consorts

MAUVAISES MINES - Combattre l’industrie minière en France et dans le monde





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