En analysant les chroniques du néoconservateur Christian Rioux à propos de la mort de George Floyd, Jean-Pierre Le Glaunec, historien de l’esclavage, des États-Unis, d’Haïti et des Amériques noires, professeur à l’Université de Sherbrooke, montre comment cet événement a pu être instrumentalisé, tout en utilisant l’histoire comme arme idéologique, pour servir des convictions politiques, contre les gauchistes, le politiquement correct, le racisme anti-blancs, le multiculturalisme,…
Il avoue n’avoir jamais été un « gauchiste », comme Christian Rioux qui a milité au sein d’une organisation marxiste-léniniste canadienne dans les années 1970-1980, mais avoir plutôt été attiré par le Front National jusqu’à un déclic survenu en classe de seconde, pendant un cours d’histoire sur la guerre d’Algérie et les décolonisations : « Mon racisme ordinaire ne faisait pas le poids face au doute et à la critique, deux des piliers de la pratique du métier d'historien que je découvrais. Mes préjugés commencèrent à s’effriter au moment où se révélait en moi ma vocation. Je me trouvais à la croisée des chemins. Je compris qu'il existait en histoire des faits vrais et vérifiables et des mensonges habillement maquillés en faits que la critique historienne permettait de mettre au jour. »
Figure établie du conservatisme au Québec, correspondant parisien pour le journal Le Devoir, Christian Rioux, avec ses éditoriaux du vendredi dont il est question ici, représente « une sorte de passerelle hebdomadaire […] entre les lignes éditoriales de la droite française et du conservatisme nord-américain ». Nous ne reprendrons pas en détail les déclarations contestées par l’auteur, amalgames, citations erronées ou sélectives, mais nous nous contenterons de retenir ses conclusions, beaucoup plus générales, même si elles sont loin de rendre compte de l’entièreté de l’ouvrage.
L’histoire est au coeur de ce régime de « vérité alternative » car, comme l’explique Gérard Noiriel « ce privilège accordé à l’histoire tient au fait que c’est le domaine du savoir où il est encore possible d’apparaître aux yeux du grand public comme un vrai chercheur tout en poursuivant une oeuvre de propagande politicienne. » « Tel un historien, Christian Rioux aime s’entourer de sources, très nombreuses. Il ne les soumet jamais à la critique, cependant, un acte essentiel à tout discours prétendant au vrai. Le vrai existerait du simple fait que le chroniqueur l’énoncerait et que son acte d’énonciation serait celui d'un esprit en porte-à-faux avec une doxa étouffant la liberté d’expression. »
Jean-Pierre Le Glaunec, à l’encontre des méthodes qu’il dénonce, prend soin d’exposer la spécificité états-unienne du problème racial, depuis la déclaration d’indépendance jusqu’à Black Lives Matter, en veillant à citer ses sources. Il conteste bien entendu que les manifestants canadiens, comme français, s’identifieraient, à tort et dans un « mimétisme culturel », à cette histoire éloignée de celle de leurs nations éclairées par l’ « esprit des Lumières », et « feraient fausse route en imaginant que tous les problèmes des populations afrodescendantes prendraient leur source à la fontaine du racisme en général ». Il rappelle que « sans le soulèvement de la masse de la future nation haïtienne, et sans les résistances des esclaves des colonies françaises en général, en Martinique, en Guadeloupe, en Guyane, il n'y aurait pas eu d'abolition général de l'esclavage par la Convention française le 4 février 1794. » « La France, dont les principes républicains et universalistes sont ardemment défendus par les chroniqueurs adeptes du populisme de droite, est la seule nation à avoir aboli l'esclavage et à l’avoir rétabli ainsi. » « Universalisme et construction de l'altérité, par le biais du langage de la race, coexistent sans difficulté dans l'histoire de France, même sans guerre de sécession ou ségrégation institutionnalisée, comme c'est le cas aux États-Unis. »
Pour Rioux, ces manifestations internationales de soutien seraient une preuve de « l’impérialisme culturel américain » et la situation dans les banlieues françaises serait « plus rose qu’on voudrait le croire ». Les véritables abandonnés seraient en réalité « ces “petits blancs“ refoulés hors des centres-villes embourgeoisés et des banlieues ethniques […], ignorés des partis et des médias ».
Excellente analyse de quelques discours d’un « penseur du déclin » parmi d’autres, pour en extraire quelques grands principes méthodologiques et idéologiques, pour mettre en lumière une rhétorique qui dissimule un système de valeurs : « Leur philosophie est fondée sur des crises dont ils grossissent à outrance les traits ou qu’ils fantasment pour mieux les faire exister. Ils aiment se dire censurés, mais sont invités sur les plateaux de télévision et dans les studios de radio à l’heure de grande écoute. Ils se lisent entre, se citent, se répètent. » Jean-Pierre Le Glaunec retourne contre eux, contre leurs discours, l’arme qu’ils prétendent utiliser : l’histoire.
Ernest London
Le bibliothécaire-armurier
UNE ARME BLANCHE
La mort de George Floyd et les usages de l’histoire dans le discours néoconservateur
Jean-Pierre Le Glaunec
146 pages – 12 euros
Éditions Lux – Montréal – Mars 2021
luxediteur.com/catalogue/une-arme-blanche/
Du même auteur :
L'Armée indigène
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