Le juriste Thomas Hochmann montre comment l’extrême droite instrumentalise la liberté d’expression pour la dévoyer et diffuser ses messages de haine et de mensonge. Sur tous les plateaux de télévision, les « nouveaux censurés » lancent à la moindre contradiction et à longueur de journée leur cri d’orfraie : « On ne peut plus rien dire… ». Contre ce piège rhétorique, il propose une stricte application du droit qui interdit les discours haineux et les campagnes de désinformation, sans nuire pour autant au débat public.
Éditorialistes réactionnaires et personnalités politiques d’extrême droite entretiennent la confusion dès que leurs propos soulèvent des réactions courroucées, en dénonçant la censure, l’impossibilité de dire… dans une exemplaire « contradiction performative ». Ils se présentent comme « de courageux dissidents menacés par la pensée unique ». Or, « la liberté d'expression n'est pas une liberté de parler sans être contredit. » Au contraire, la controverse est même le fondement de celle-ci. S’opposer à une conférence, critiquer fermement les positions d’un individu, le traiter de fasciste ou de raciste, n’est nullement une atteinte à la liberté d’expression mais une mise en œuvre de ce droit. Les autorités doivent permettre son exercice, tout en assurant l’ordre. L’entrave à la liberté d’expression est toutefois un délit prévu à l’article 431-1 du Code pénal, qui a été appliqué lorsque des menaces de mort ont été proférées lors de bousculades contestataires, notamment.
« L‘épouvantail du “wokisme“ » est brandi à dessein pour jeter le discrédit sur la recherche et les universités. « La dénonciation du “wokisme“ est une stratégie redoutable d'inversion des rôles, qui permet aux agresseurs de se présenter comme des victimes, aux dominants de rechercher la sympathie que peut inspirer une position minoritaire persécutée, aux intolérants d'accuser d'intolérance ceux qui les combattent. »
Les autorités chargées d'appliquer les limites de la liberté d'expression font montre d'une certaine réticence à appliquer les règles, sachant à quelle campagne elles s'exposent en prononçant une sanction. Ainsi, bien que les disposition n’exigent aucunement que la totalité d’un groupe soit attaquée par des discours de haine, la Cour de cassation a estimé en 2021 qu’Éric Zemmour ne visait pas l’ensemble des immigrés dans son discours incriminé. De même, une certaine interprétation de la provocation à la haine, qui domine la jurisprudence française, fait régulièrement échec à la condamnation de nombreux propos qui tendent à susciter des sentiments d’hostilité, les magistrats estimant qu’ils ne contiennent aucune exhortation explicite. Les mesures prises par l’Arcom sont rares, timides (bien loin des plafonds fixés par la loi) et donc peu dissuasives, « face aux chaînes qui semblent violer quotidiennement leurs obligations ». Pourtant, elles sont très souvent dénoncés comme des actes de censure.
« L'utilisation du langage des droits et libertés pour opprimer les minorités et affaiblir la démocratie est un phénomène ancien, qui gagne aujourd'hui en importance. » Alors qu’aux États-Unis, au nom du « libre marché des idées », on estime préférable de les laisser toutes « en compétition » plutôt que de permettre aux pouvoirs publics de distinguer le vrai du faux, la conception européenne, au contraire, n’exige aucunement la neutralité de l’État face aux discours de haine : « la répression des propos qui incitent à la violence ou à la discrimination n’entre donc pas en tension avec la liberté d'expression, mais en constitue une limite parfaitement justifiée. » « Il ne faut pas tomber dans ce piège de la neutralité. Lutter contre les campagnes de haine et de désinformation orchestrées par l'extrême droite ne revient pas à discriminer entre des opinions qui devraient pouvoir librement s'exprimer, mais simplement à faire respecter les règles existantes, au soutien de la liberté d'expression et du débat public. »
Thomas Hochmann explique enfin qu’il est parfaitement possible de débattre de l’intégration des personnes d’origine étrangère, de la place de l’islam et des musulmans en France, « à condition de ne pas tomber dans la provocation à la haine ou à la discrimination ». « L’injure, la diffamation ou la provocation à la haine contre les juifs sont interdites, tandis que la critique du gouvernement Israélien est évidemment permise. » L’attaque contre les musulmans peut parfois se cacher derrière une prétendue critique de la religion et l’antisémitisme derrière la critique d’Israël, mais ces discours de haine camouflés doivent simplement être démasqués.
« L'extrême droite a transformé la liberté d'expression en slogan pour couvrir des propos qui n'ont rien à voir avec elle et délégitimer les règles juridiques qui l’encadrent. »
Avec ce texte bref, incisif et efficace, Thomas Hochmann clarifie la notion de liberté d’expression et nous fournit des armes juridiques pour défaire le piège rhétorique tendu par l’extrême droite pour distiller sa haine. Faute d’accès aux médias dominants, nous pouvons déjà reprendre ses arguments dans les repas de famille.
Ernest London
Le bibliothécaire-armurier
« ON NE PEUT PLUS RIEN DIRE… »
Liberté d’expression : le grand détournement
Thomas Hochmann
74 pages – 5 euros
Éditions Anamosa – Paris – Mars 2025
anamosa.fr/livre/on-ne-peut-plus-rien-dire/
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