Il raconte la vie de Clyde Ross né dans le Mississippi dans les années 1920 où le système de servitude pour dettes maintient beaucoup de noirs sous le joug des magnats du coton propriétaires des terres. La majorité des citoyens sont privés du droit de vote. Après la seconde guerre mondiale, avec beaucoup d’autres, il fuit vers le Nord pour se mettre sous la protection de la loi. À Chicago, il tentera d’acquérir une maison pour sa famille. Les subventions gouvernementales étant réservées aux quartiers blancs, il occupera trois emplois pour rembourser les traites de son emprunt. Exclus des prêts bancaires immobiliers, les Noirs sont la proie des prêteurs sans scrupules. En 1968, avec d’autres, il demandera réparation.
À la fin du XVIIIème siècle, la question des réparations se posait clairement et les réclamations étaient souvent satisfaites. La cause des réparations va être trouver différents défenseurs au XIXème et au XXème siècle, avant de se regrouper en 1987 sous l’égide de la National Coalition of Blacks for Reparations in America (N’Cobra). Les réponses sont désormais invariables : » Nous leur avons appris à travailler. Nous leur avons apporté la civilisation chrétienne et ils ont appris à parler la noble langue anglaise au lieu de leur charabia africain. Nous sommes quittes. » (Éditorial du Chicago Tribune en 1891).
Pendant vingt-cinq ans, le député de Détroit John Conyers a proposé au Congrès de se pencher sur l’esclavage et ses conséquences. La question n’a jamais été débattue mais il est impossible de faire table rase du passé, de faire disparaître cette créance en regardant ailleurs.
« À l’origine de l’Amérique, il y a la spoliation des Noirs et la démocratie blanche. »
Lorsqu’on a amené les premiers esclaves africains dans la colonie de Virginie en 1619, il n’était pas encore la cible du racisme brutal que subiraient leurs descendants. Les mariages mixtes étaient possibles, tout comme les rébellions de Noirs et de Blancs, par exemple sous la conduite de Nathaniel Bacon pour incendier Jameston en 1676.
Pendant deux cent cinquante ans, la législation américaine va faire en sorte de transformer les Noirs en une classe d’intouchables, une classe laborieuse, corvéable à merci, sans possibilité de se rebeller, alors même qu’elle élève tous les hommes blancs au rang de citoyens. Aux États-Unis, grâce au racisme « institutionnalisé », il n’y a plus les riches et les pauvres mais les Noirs et les Blancs.
« En 1840, le coton récolté grâce aux travail des Noirs représente 59% des exportations du pays. Les ramifications de cette société esclavagiste s’étendent vers le Nord, jusqu’aux métiers à tisser de la Nouvelle-Angleterre et de l’autre côté de l’Atlantique, jusqu’en Grande-Bretagne, où a lieu une transformation économique majeur qui va modifier le cours de l’histoire mondiale. »
Les racines de la richesse et de la démocratie américaines se trouvent dans la destruction de la famille, celle de tous ces noirs séparés, privés de leur liberté de mouvement. Cette société esclavagiste constitue les fondations économiques de l’Amérique.
Au début de la guerre de Sécession, ceux qui envisageaient de mettre fin à l’esclavage étaient traités en hérétiques.
En 1919, une dizaine de villes, dont Chicago et Washington DC, connurent un « Été rouge », frappées par une succession de pogroms visant les afro-américains.
Le New Deal, si souvent cité en exemple, à l’instar de la démocratie qui l’a produit, s’est bâti sur les lois racistes du Sud. L’assurance vieillesse et l’assurance chômage excluaient les ouvriers agricoles et les domestiques, emplois occupés en majorité par des Noirs. Lorsque Roosevelt signe le Social Security Act, 65% des Afro-Américains à l’échelle nationale et 80% dans le Sud n’y ont pas accès.
Posséder une maison est un embléme de la citoyenneté américaine mais refusé aux Noirs. « Le secteur immobilier porte même la ségrégation au rang de principe moral. » Le gouvernement fédéral adopta les principes discriminatoires du marché, l’inscrivant dans la politique publique, adoptant une clause restrictive pour l’assurance par l’État de tous biens immobiliers, qui interdit la vente à tout autre qu’un blanc.
Beaucoup de progressistes pensent que combattre la pauvreté et les inégalités sans distinction de couleur suffit. Mais la pauvreté noire n’est pas la pauvreté blanche. De même, il y a une confusion autour des objectifs de la discrimination positive due à une incapacité à regarder en face l’histoire particulière des désavantages imposés aux Noirs. « Ignorer le fait que l’une des plus vieilles républiques du monde a été bâtie sur la suprématie blanche, prétendre que les problèmes d’une société duale sont les mêmes problèmes que ceux du capitalisme sans régulation, c’est cacher le péché du pillage national derrière le péché du mensonge national. Un mensonge qui refuse de voir que réduire la pauvreté aux États-Unis et mettre un terme à la suprématie blanche sont deux choses différentes. Un mensonge qui refuse de voir que combler l’écart dû aux inégalités sociales ne réduira pas l’écart dû au racisme. »
« Célébrer la liberté et la démocratie tout en oubliant que l’Amérique prend ses origines dans l’économie de l’esclavage, c’est du patriotisme à la carte. »
Après ce réquisitoire sans concession, la conclusion de Ta-Nehisi Coates est sans appel : « la prospérité américaine a été mal acquise et sélective dans sa distribution. Il est temps de laver notre linge sale en public, de régler nos comptes avec les fantômes du passé. » « Je ne parle pas seulement d’indemnisation pour les injustices d’autrefois, je ne parle pas d’une aumône, d’une enveloppe, d’un dessous-de-table. Je parle d’une prise de conscience collective qui déboucherait sur une renouveau spirituel. »
Il rappelle que l’Allemagne, après la Seconde Guerre mondiale, a payé des « compensations » à l’État d’Israël, c’est-à-dire aux victimes du gouvernement précédent. Le PNB du pays a été multiplié par trois au cours des douze années que dura l’accord. 15% de la croissance et 45 000 emplois sont dus aux investissements (la moitié des voies ferrées, un tiers du réseau électrique, les deux tiers de la flotte marchande,…) effectués avec l’argent des réparations. Ce ne fut pas sans débats, parfois houleux : les survivants de l’Holocauste craignaient de blanchir l’Allemagne et de trahir la mémoire des disparus.
La colère de Ta-Nehisi Coates est toujours noire. Ce livre uppercut atteint sa cible avec précision, celle des faits, des chiffres et d’une réalité qu’il ne connait que trop bien.
LE PROCÈS DE L’AMÉRIQUE
Ta-Nehisi Coates
Traduit de l’anglais (États-unis) par Karine Lalechère
Préface de Christiane Taubira
120 pages – 12 euros
Éditions Autrement – Paris – Septembre 2017
« The Case for Reparations » – The Atlantic Media Co – 2014
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